lundi 1 octobre 2018

LE KID DE CINCINNATI de Norman Jewison (1965) – par Claude Toon




Les rues de la Nouvelle-Orléans
Matinée cinéma sur le câble. Je zappe en sirotant mon café, en général pour… rien. Tiens, sur TCM après les dernières images de l'ile de la terreur, un nanar de la Hammer de Terence Fisher avec Peter Cushing en savant farfelu et débrouillard, on annonce Le Kid de Cincinnati… Je situe mal la date de sortie, mais cela évoque un bon souvenir, le monde du poker clandestin ou professionnel dans la moiteur de la Nouvelle Orléans et surtout un combat de titans, cartes à la main, entre un encore jeune Steve McQueen et un Edward G Robinson bedonnant  et aux cheveux plus que grisonnants mais aux nerfs d'acier… Le matin, ce n'est jamais télé mais, je hais les protocoles contraignants. Waouh : 1965, je me sens vieux…
Donc, Nouvelle Orléans vers 1930. Norman Jewinson, réalisateur toujours parmi nous à 92 ans, et à l'inspiration inégale (Rollerball vs L'affaire Thomas Crown, encore avec Steve McQueen) reconstitue avec finesse la ville en pleine crise économique. Grosses berlines noires, intérieurs cossus style art déco pour certains, bouis-bouis crasseux pour les autres, le petit cireur de chaussure afro-américain à la gouaille de titi parisien, les femmes fatales qui vivent au crochet de personnages plus ou moins recommandables… Et surtout l'univers du jeu, celui des parties de poker clandestines ou professionnelles.
Eric Stoner, dit Le Kid (Steve McQueen), la petite trentaine, tente de se faire une place au soleil dans le cercle fermé des rois ou des as (sympa la figure de style) du poker. Si le jeune joueur peut compter sur le sex-appeal naturel de l'acteur qui l'incarne, l'empathie et la modestie ne sont pas toujours son fort. Rôle d'une belle ambiguïté tenu par un comédien investi qui surfe sur deux facettes : le type cool qui sympathise avec le petit cireur noir, et l'idéaliste ambitieux dont l'unique désir est de faire chuter par tous les moyens les idoles du tapis vert. Il ambitionne d'occuper le trône tenu par une légende du jeu : Lancey Howard (Edward G. Robinson). Autour d'eux, gravitent les personnages addicts aux jeux et les parasites : les donneurs de cartes professionnels, les femmes qui jouent les nymphomanes pour profiter des gagneurs tout en méprisant les perdants, des gangsters minables ou placés gagnants.

Le Kid, Melba et Christianne
Si on déteste les huis clos et les parties de cartes, on change de chaîne. Pareil pour les anecdotes sentimentales qui parfument le film sans vraiment apporter un plus à la narration. Car le poker, et lui seul, forme l'épicentre du film, terme bien choisi tant les protagonistes mettent en péril leur existence au quotidien dans le geyser omniprésent des cœurs, des trèfles, des as, des six, des paires, des brelans et de la mythique quinte flush (cinq cartes qui se suivent dans la même couleur ; avec le roi, la quinte flush royale devient la main la plus forte au poker, bien avant le carré d'as). Un "atout" du film : les détails du jeu sont suffisamment bien évoqués pour ne pas laisser au bord du chemin les indifférents aux jeux de cartes et de fric.
Le Kid est coaché par "Le jongleur" (Karl Malden), ancien joueur désabusé qui se limite à organiser des parties à enjeux importants et à jouer le rôle de donneur professionnel. Criblé de dettes, il se coltine Melba (Ann-Margret), femme vulgaire et arriviste qui aggrave l'ardoise de son compagnon du moment, n'a que mépris pour lui et pratique le gringue appuyé vers une faune masculine plus jeune dont Le Kid qui se dérobe car intègre et fidèle. Dans cette capitale des jeux stupides et violents, "Le jongleur" demandera au Kid vaguement en couple avec Christiane (Tuesday Weld) d'accompagner Melba (qui a toujours la pêche*) à un combat de coqs où les deux volatils équipés de griffes d'acier, surexcités par une foule revenue à l'âge des arènes antiques, vont s'entretuer et terminer sous forme d'un magma de plume et de sang ; le moins déchiqueté est le gagnant au grand bonheur ou inversement des parieurs. Une scène magnifique mais rude qui illustre bien les succédanés vers lesquels se tourne l'Amérique de la Dépression. "Le jongleur" n'a pas eu le choix ce soir là, convoqué toute affaire cessante par Slade (Rip Torn), un malfrat BCBG à qui il doit des dizaines de milliers de dollars (de l'époque). Ayant appris qu'une partie entre Le Kid et Lancey Howard doit avoir lieu, Slade exige que "Le jongleur" distribue les cartes en trichant au bénéfice du jeune poulain pour se venger de Lancey Howard qui l'a rincé malgré son âge déclinant quelques jours auparavant. Que fera "Le jongleur" ? Tricher ? Là, je ne vous dis rien…
Le Kid attire une inimitié affichée des parents de Christiane, deux courageux paysans au bord de la misère, qui détestent le jeu, les gains soi-disant faciles et peu recommandés par la religion. Une scène en aucun cas moraliste ou manichéenne, Le Kid arrivera à les faire rire avec quelques tours de cartes, mais là, du domaine de la prestidigitation. Rare moment où Le Kid affiche son humanité, se débarrasse de sa dégaine cool de jeune loup, de sa morgue. Derrière ce portrait plutôt sympathique, se cache un type habile au carte, mais qui trop pressé d'atteindre une gloire bien factice risque de chuter en enfer.

Ambiance tendue (Full ou Quinte flush ?)
La partie aura bien lieu et sera la coda du film. Tous les protagonistes sont présents, enfermés time no limit dans une suite d'hôtel. On ne sortira plus de cette antichambre démente. Trois autres joueurs participent, pas pour longtemps, il repartiront les poches vides. Norman Jewinson en grand maître de cérémonie organise la joute : on contrôle la table, les lumières, les jeux de cartes qui finissent déchirés un à un à la corbeille après quelques tours. La table est le centre d'un anneau stellaire de personnages venus espérer la chute de Lancey Howard et assister à la curée sur le vieux… Les heures passent, on fume des cigares ; la tension est telle qu'on finit par les chiquer… "Le jongleur" a demandé d'être secondé par "doigts de fée" (Joan Blondell), une ancienne joueuse pittoresque et au verbe haut qui connait tout le monde. Il y a les pauses. La fumée envahit l'espace. Même de jour, on ferme les persiennes comme si l'univers devait se réduire à une salle obscure claustrophobique. La caméra est précise, enchaîne les gros plans sur les gestes comme dans le pickpocket ou l'argent de Bresson. Les couleurs et les éclairages sont très léchés. Jewinson a fait appel à chef opérateur de renom : Philip H. Lathrop. Un homme qui a travaillé avec Douglas Sirk et Orson Wells
Arrive la dernière mise, on joue "la table", tous les billets, celle qui verra la consécration ou l'humiliation. On joue au poker "retourné" : quatre cartes visibles, mais la première distribuée retournée. Le Kid a deux paires et possibilité de Full (si l'une des paires devient un brelan de trois cartes de même valeur), un beau jeu dans ce style de poker. Lancey Howard a une série 8, 9, 10 et dame de carreaux, plus risqué ! Trois cas possible : une couleur plus faible que le full mais plus forte que deux paires, ou alors le miracle : une quinte flush (avec le valet caché),ou alors une autre couleur… soit rien du tout, un jeu sans intérêt. Qui bluffe qui ? L'objectif parcourt en gros plan les regards des spectateurs statufiés, et surtout les yeux d'un bleu glacé du Kid et le regard épuisé mais volontairement impénétrable de Lancey. On se croirait dans l'ultime lutte à mort du bon, la brute et le truand de Sergio Leone. Les murmures, reflets des pensées de l’assistance, nous atteignent : "il bluffe", "Lancey est enfin fini" ; un mélange de haine, de jalousie et de jouissance malsaine…
Lancey retourne sa carte
Un film captivant sur la désintégration des êtres par l'obsession du jeu. Certes, un rythme lent, quelques marivaudages qui auraient gagné en concision. Mais des acteurs parfaits au sommet de leurs talents, des seconds rôles, des trognes, comme on en voit de moins en moins… La jeunesse attend désormais plus de frénésie. Pourtant le suspens prend aux tripes…

Nota : pour ceux qui n'ont pas vu le film et voudrait connaître la fin, trop impatients, la seconde vidéo découvrira la ou les cartes "magiques". C'est vous qui voyez.

Distribution : Metro-Goldwyn-Mayer
Durée : 102 minutes (1h42)
(*) Elle est de Luc cette vanne !



3 commentaires:

  1. Ah j'adore ce film!! La fin avec le gosse dans la rue est fabuleuse (on sait toi et moi qui gagne la partie, hein?).
    Le gosse à Steve:
    "Alors tu joues? Lève toi et viens jouer avec moi encore une fois! J'ai pas peur moi. De quoi tu as peur toi?..."
    M'a fait penser à If de Kipling:
    "...ou perdre en un seul coup le gain de cent parties, sans un geste et sans un soupir..."
    Une belle leçon de vie

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  2. on contrôle la table, les lumières, les jeux de cartes qui finissent déchirés

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  3. Et je me demande pourquoi, même dans les films, les gens jouent-ils dans les casinos? Les gens se répètent et jouent aujourd'hui sur https://casinoenlignefr.net/ Internet ...

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