Les rues de la Nouvelle-Orléans |
Donc, Nouvelle Orléans vers 1930. Norman Jewinson, réalisateur toujours parmi nous à 92 ans, et à
l'inspiration inégale (Rollerball
vs L'affaire Thomas Crown, encore avec Steve McQueen) reconstitue avec finesse
la ville en pleine crise économique. Grosses berlines noires, intérieurs cossus style
art déco pour certains, bouis-bouis crasseux pour les autres, le petit cireur
de chaussure afro-américain à la gouaille de titi parisien, les femmes fatales
qui vivent au crochet de personnages plus ou moins recommandables… Et surtout
l'univers du jeu, celui des parties de poker clandestines ou professionnelles.
Eric Stoner, dit Le Kid
(Steve McQueen), la petite trentaine,
tente de se faire une place au soleil dans le cercle fermé des rois ou des as
(sympa la figure de style) du poker. Si le jeune joueur peut compter sur le sex-appeal naturel de l'acteur qui l'incarne, l'empathie et la
modestie ne sont pas toujours son fort. Rôle d'une belle ambiguïté tenu par un
comédien investi qui surfe sur deux facettes : le type cool qui sympathise avec le petit cireur noir, et l'idéaliste ambitieux dont l'unique désir est de faire chuter par tous les moyens les idoles du tapis vert. Il ambitionne
d'occuper le trône tenu par une légende du jeu : Lancey Howard (Edward G. Robinson). Autour d'eux,
gravitent les personnages addicts aux jeux et les parasites : les donneurs de cartes professionnels,
les femmes qui jouent les nymphomanes pour profiter des gagneurs tout en méprisant
les perdants, des gangsters minables ou placés gagnants.
Le Kid, Melba et Christianne |
Le Kid est
coaché par "Le jongleur" (Karl Malden),
ancien joueur désabusé qui se limite à organiser des parties à enjeux
importants et à jouer le rôle de donneur professionnel. Criblé de dettes, il se
coltine Melba
(Ann-Margret), femme vulgaire et
arriviste qui aggrave l'ardoise de son compagnon du moment, n'a que mépris pour lui et pratique le gringue
appuyé vers une faune masculine plus jeune dont Le Kid qui se dérobe car intègre et fidèle. Dans cette
capitale des jeux stupides et violents, "Le jongleur" demandera au Kid vaguement
en couple avec Christiane
(Tuesday Weld) d'accompagner Melba
(qui a toujours la pêche*) à un combat de
coqs où les deux volatils équipés de griffes d'acier, surexcités par une foule
revenue à l'âge des arènes antiques, vont s'entretuer et terminer sous forme
d'un magma de plume et de sang ; le moins déchiqueté est le gagnant au grand bonheur
ou inversement des parieurs. Une scène magnifique mais rude qui illustre bien les succédanés
vers lesquels se tourne l'Amérique de la Dépression. "Le jongleur" n'a pas eu le
choix ce soir là, convoqué toute affaire cessante par Slade (Rip Torn),
un malfrat BCBG à qui il doit des dizaines de milliers de dollars (de
l'époque). Ayant appris qu'une partie entre Le Kid et Lancey Howard doit avoir lieu, Slade
exige que "Le
jongleur" distribue les cartes en trichant au bénéfice du jeune poulain pour
se venger de Lancey
Howard qui l'a rincé malgré son âge déclinant quelques jours
auparavant. Que fera "Le jongleur" ? Tricher ? Là, je ne vous
dis rien…
Le Kid attire
une inimitié affichée des parents de Christiane, deux courageux paysans au bord de
la misère, qui détestent le jeu, les gains soi-disant faciles et peu recommandés
par la religion. Une scène en aucun cas moraliste ou manichéenne, Le Kid
arrivera à les faire rire avec quelques tours de cartes, mais là, du domaine de
la prestidigitation. Rare moment où Le Kid affiche son humanité, se débarrasse de sa
dégaine cool de jeune loup, de sa morgue. Derrière ce portrait plutôt
sympathique, se cache un type habile au carte, mais qui trop pressé d'atteindre
une gloire bien factice risque de chuter en enfer.
Ambiance tendue (Full ou Quinte flush ?) |
Arrive la dernière mise, on joue "la table",
tous les billets, celle qui verra la consécration ou l'humiliation. On joue au
poker "retourné" : quatre cartes visibles, mais la première distribuée retournée. Le
Kid a deux paires et possibilité de Full (si l'une des paires devient un
brelan de trois cartes de même valeur), un beau jeu dans ce style de poker. Lancey Howard
a une série 8, 9, 10 et dame de carreaux, plus risqué ! Trois cas possible : une couleur plus faible que le full mais plus forte que deux paires, ou alors le miracle : une
quinte flush (avec le valet caché),ou alors une autre couleur… soit rien du tout, un jeu sans intérêt. Qui
bluffe qui ? L'objectif parcourt en gros plan les regards des spectateurs statufiés,
et surtout les yeux d'un bleu glacé du Kid et le regard épuisé mais volontairement impénétrable
de Lancey.
On se croirait dans l'ultime lutte à mort du bon,
la brute et le truand de Sergio
Leone. Les murmures, reflets des pensées de l’assistance, nous atteignent : "il bluffe",
"Lancey
est enfin fini" ; un mélange de haine, de jalousie et de jouissance malsaine…
Lancey
retourne sa carte…
Un film captivant sur la désintégration des êtres par
l'obsession du jeu. Certes, un rythme lent, quelques marivaudages qui auraient
gagné en concision. Mais des acteurs parfaits au sommet de leurs talents, des seconds rôles, des trognes,
comme on en voit de moins en moins… La jeunesse attend désormais plus de
frénésie. Pourtant le suspens prend aux tripes…
Nota : pour ceux qui n'ont pas vu le film et voudrait
connaître la fin, trop impatients, la seconde vidéo découvrira la ou les cartes
"magiques". C'est vous qui voyez.
Distribution
: Metro-Goldwyn-Mayer
Durée : 102
minutes (1h42)
(*) Elle est de Luc cette vanne !
Ah j'adore ce film!! La fin avec le gosse dans la rue est fabuleuse (on sait toi et moi qui gagne la partie, hein?).
RépondreSupprimerLe gosse à Steve:
"Alors tu joues? Lève toi et viens jouer avec moi encore une fois! J'ai pas peur moi. De quoi tu as peur toi?..."
M'a fait penser à If de Kipling:
"...ou perdre en un seul coup le gain de cent parties, sans un geste et sans un soupir..."
Une belle leçon de vie
on contrôle la table, les lumières, les jeux de cartes qui finissent déchirés
RépondreSupprimerEt je me demande pourquoi, même dans les films, les gens jouent-ils dans les casinos? Les gens se répètent et jouent aujourd'hui sur https://casinoenlignefr.net/ Internet ...
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