vendredi 12 octobre 2018

I FEEL GOOD de Gustave Kevern et Benoit Délépine (2018) par Luc B.


Les films du duo Kevern - Délépine traitent généralement de braves gens, laissés pour compte, qui taillent la route pour espérer retrouver un ailleurs plus radieux, ou un sens à leur vie de besogneux. Jacques, lui, il taille l’autoroute. En peignoir et mules. On devine qu’il s’est tiré de son hôtel sans payer la note, et traverse la France pour retrouver sa sœur Monique qui dirige une communauté Emmaüs.

Parce que Jacques a une idée brillante. Celle qui fera de lui un homme riche, et pdg influent, admiré, reconnu. Comme les Tapie, Bolloré, Messier, dont il collectionne les photos dans un album Panini ! Il bouquine aussi les mémoires de Bill Gates, son idole. Il en surligne au feutre jaune les meilleurs passages : chaque cm² du bouquin est jauni ! L’idée de Jacques est de monter une start-up pour aider les gens moches à devenir beaux, via un partenariat avec une clinique de chirurgie esthétique low-cost en Roumanie. Parce qu’il faut comprendre que porter beau permet de retrouver une dignité, et accessoirement du travail. Ou réaliser ses rêves. Et vus les profils, les tronches, les bras cassés qui trainent à Emmaüs, Jacques a un bel avenir devant lui…

Gustave Kevern et Benoit Délépine pourraient presque être des Ken Loach français. Des types qui filment le prolétariat, les veilles de grand soir, qui injectent dans leurs films du social, du politique, de la lutte des classes, sans pour autant en faire des tracs pour la Fête de l’Huma. Jacques et Monique ont eu des parents communistes. Jolie scène quand Jacques vocifère que « le communisme c’est 100 millions de morts » et que Monique elle, préfère se souvenir lorsqu’elle distribuait l’Humanité avec son père… Ken Loach, oui, mais avec du Jacques Tati pour l’humour, la poésie visuelle, et un peu de Jean Pierre Mocky aussi, pour l’aspect de bric et de broc, et interprétation amateur, le côté anarchique, aussi bien dans la production !

I FEEL GOOD regorge l'allusions à l’ère Jupiter-Macron, Jacques a la formule facile, la faconde, le slogan qui claque (« Tout ce qui ne nous tue pas, nous rend moins mort »). On ne sait pas s'il y croit lui-même, mais il persuade les autres. Raison pour laquelle il jette son dévolu sur cette communauté, sur des gens qui n’ont plus grand-chose, sauf l’espoir. Mais Jacques n'est pas un cynique, ni un escroc, il y croit à son truc, il se voit entrepreneur. 

Les auteurs abordent toujours leurs personnages avec tendresse. On peut trouver la fable un brin naïve, mais la leçon fait mouche. Le film passe de la comédie douce-amère, à la satire, au burlesque. Davantage de gags dans ce film, certains très bons (la piscine de quatre mètres carrés, le bronzage de la Miss, le visage incrusté dans le pare-brise, les parents incinérés, le pédiatre !!) comme l’ultime et hilarante pirouette.

Cette fois, le duo de réalisateur semble avoir fait quelques efforts dans la forme ! (MAMMUTH était exécrable à l’image, ST AMOUR un peu léger sur les bords). Tous ces objets entassés, récupérés, forment des tableaux abstraits, comme ce drôle de décor, presque de science-fiction, très colorés. Il y a de bonnes idées visuelles (la poubelle à verre, Jacques et Monique dans leur caravane, séparée par une porte). C’est réellement tourné chez Emmaüs, et les compagnons tiennent leurs propres rôles - donc une interprétation bancale parfois, comme chez Mocky. Les plans sont filmés en focale longue, avec un arrière-plan flou. Ca m’agace toujours un peu, mais ici, cela fonctionne, cela participe à l’étrangeté du décor. Comme ce parti-pris de faire des champs, mais jamais de contre champs ! Dans un dialogue, on verra le visage qui parle, mais jamais celui qui répond (scène de dispute avec le père). Il y a des images vraiment pensées, comme Jacques devant un papier peint de coucher de soleil aux tropiques, qui rappelle fortement le Pacino chez de Palma qui rêve de grandeurs.

La fin prend des allures de road-movie dans une limo rapiécée de 12 mètres de long (merveilleuse scène du voyage en avion… dans un semi-remorque !). Jean Dujardin, alourdi, le cou engoncé dans des cols trop petits, tient le film. Il compose un type lunaire, un peu idiot, mais y rajoute une dose d’humanité, une petite dose de méchanceté, et surtout beaucoup de tristesse, de regret dans le regard. En face, Yolande Moreau campe, par contre, un personnage comme elle en est (trop) coutumière. La musique est signée des gars de Zebda, qui jouent live sur le générique de fin.

Joli film, drôle, poétique et burlesque.

couleur  -  1h40  -  format 1:1.78

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