- Tiens
M'sieur Claude, après l'imposante chronique sur la symphonie "pathétique"
de Tchaïkovski, petit détour divertissant par le baroque…
- Oui Sonia,
cela dit les concertos grosso de Haendel sont plus profonds qu'ils n'y
paraissent, sous réserve d'une interprétation sans faille…
- Heu, je reviens après un tour sur le web… Un
seul exemplaire CD à 170 $ et quelques exemplaires du coffret original de 3 vinyles,
c'est frustrant…
- Je vous
l'accorde… Les enregistrements de Raymond Leppard ont été édités par Philips
qui a laissé tomber le classique. Attendons que DECCA les réédite…
- Vous avez
déjà mentionné ce chef britannique à propos du Water Music, également de
Haendel, comme un très bon cru sur instruments modernes, vous récidivez ?
- Ô que oui, instruments
anciens ou modernes… Un débat stérile ! L'esprit avant la lettre ; une règle.
Et ici, quel esprit au cœur d'une musique aussi attachante….
Haendel vers 1740 par John Theodore Heins |
Pour le plus grand nombre, Haendel
est synonyme du Messie,
un oratorio dont tout le monde connaît au moins le célèbre Alléluia, intermède
choral et incantatoire devenu un best of des mariages dans des arrangements
plus ou moins réussis… Incontestablement, le compositeur allemand, exact
contemporain de Jean-Sébastien Bach, qui travaillera essentiellement en
Angleterre (il repose à Westminster à côté de Purcell),
a œuvré principalement dans le répertoire de l'oratorio et de l'opéra
d'inspiration biblique ou mythologique : 76 œuvres au moins. (Bach concentrera son travail sur des
centaines de cantates pour la liturgie et bien entendu les passions, donc une
inspiration majoritairement religieuse.) Bien entendu, pour orchestre, il y a
aussi les partitions phares comme celle de Water music. Également organiste et claveciniste
de talent, Haendel a laissé des œuvres pour
clavier.
Contrairement au grand baroqueux italien Vivaldi qui écrira des centaines de concertos,
ou Bach qui en composera aussi un certain
nombre pour diverses formations instrumentales, Haendel
s'est intéressé au concerto plus tardivement et sous des formes très précises :
des concertos pour
orgue et des concertos grosso.
Notons quelques exceptions : trois concertos pour
hautbois et les trois élégants concertos a due cori pour cors, hautbois,
bassons et cordes, œuvres colorés présentées dans un article du blog et dont Raymond Leppard avait gravé à la fin des
années 60 une très limpide interprétation avec l'English
Chamber Orchestra. (Clic)
Les concertos pour orgue comme les concertos grosso
ont été écrits à une fin précise : assurer des interludes divertissants ou
méditatifs entre les différentes parties ou les actes des oratorios ou des
opéras. Les concertos grosso sont réunis en deux cahiers : l'opus 3 date de 1717-1719 pour l'écriture et leur publication de 1734. L'ensemble comporte six concertos pour vents et cordes à la
manière de Corelli et présente un
caractère assez hétérogène. L'opus 6, plus tardif, est destiné à
un ensemble de cordes et un continuo avec clavecin. L'ensemble sera achevé
en 1739.
Interlude, intermède… On pourrait s'attendre à des
petits concertos sympathiques mais sans grande profondeur. N'a-t-on pas
toujours considéré Haendel comme un compositeur
moins essentiel que Bach ? Et bien il n'en est
rien, et si la musicalité et l'originalité semblent moins affirmées que dans les
Brandebourgeois, œuvres brillantes et de styles contrastés, ces concertos
grosso émeuvent, mais à une condition : l'interprète doit y engager son âme.
Pour mieux connaître la vie et le parcours de Haendel,
rendez-vous à l'article consacré à Water music. (Clic)
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Lincoln's Inn Fields Theater |
À partir des années 1737-38, le public anglais semble se lasser de l'opéra en italien,
langue officielle et obligée pour les livrets en cette époque du baroque tardif et
des premières prémisses de l'âge classique. L'un des must de Haendel, Xerxès (Serse), de 1738, en italien, marque pourtant pas sa richesse et son sujet
dramatique ce passage à l'opéra classique qui sera porté à des sommets par Mozart qui n'hésitera pas à préférer l'allemand
au grand dam de petits compositeurs courtisans de la cour d'Autriche. (Voir la
scène à ce sujet dans Amadeus
de Milos Forman.) Mais le public est
versatile et parfois opportunément…
La fréquentation du Lincoln's Inn Fields Theater et
d'autres salles de concert londoniennes s'en ressent et Haendel
va pratiquement abandonner l'écriture d'opéra au bénéfice d'oratorios, genre
qu'il avait déjà abordé depuis 1707.
Le premier témoignage de cette transition dans le travail du maître est Saül
(Père du roi David), une œuvre ambitieuse sur un livret en anglais de Charles Jennens, assez théâtral dans le
bon sens du terme. Après Israël en Égypte la même année, Le Messie
en 1742 sera la consécration de ce
virage stylistique dans sa carrière. Le public est content d'entendre chanter
des épopées d'inspiration biblique dans leur langue, tandis que le vieux
continent préfère le latin pour les catholiques et l'allemand pour les luthériens…
Détail important, depuis 1735, Haendel n'hésite pas à animer les
entractes en improvisant lui-même à l'orgue ou en jouant les concertos
pour cet instrument de l'opus 4. Les spectateurs se
pressent, ne serait-ce que pour l'entendre… C'est ainsi que va germer l'idée
des concertos
grosso pour supplanter ces contraignantes performances.
En 1739,
les douze concertos
grosso de l'opus 6 sont composés en moins d'un mois !!! Certains en
une seule journée. Ça m'a toujours laissé sur le flanc cette puissance créatrice
des grands noms de la musique classique. Ils sont écrits pour deux violons et
un violoncelle solistes (ce trio appelé concertino n'est pas requis dans le 7ème, comme par hasard), un ensemble classique de cordes et un continuo faisant
appel au clavecin. Haendel dédaigne la forme
tripartite italienne pour une suite de 4 à 6 mouvements.
Pendant près de vingt ans, les oratorios agrémentés
des concertos feront les beaux jours du tout musical british, notamment à
Covent Garden où auront lieu les créations…
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Covent Garden vers 1740 |
Pourquoi avoir choisi d'illustrer cet article en
commentant le concerto N°7 ? Et bien le
souvenir encore vivant de sa découverte lors d'un concert radiodiffusé vers 1978 où le
maestro Riccardo Mutti l'avait
retenu comme "ouverture". Un concert symphonique sur
instruments modernes… Le largo m'avait beaucoup ému à l'époque. Voilà une
réponse toute simple qui explique pourquoi je ne m'étends pas trop sur l'analyse.
Une seconde vidéo permettra d'écouter les six derniers concertos, beaucoup de
fantaisie malgré un évident air de famille.
Dans les années 60-70, le chef anglais Raymond Leppard a su concilier les sonorités
modernes du English Chamber Orchestra avec
une approche baroqueuse très lumineuse même si éloignée des timbres acidulés et
du phrasé allègre des baroqueux. 1740,
le baroque tardif va doucement laisser la place à l'époque classique… Il faut
aussi tenir compte de cette évolution dans l'interprétation… C'est ici le cas.
Pour en savoir plus sur cet artiste un peu oublié du fait de ses 92 printemps (Clic).
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1 – Largo : Un
premier mouvement d'une lenteur céleste et de seulement dix mesures ! Les
violons énoncent par deux fois un thème à l'accent quasi religieux soutenu aux
violoncelles par un arpège descendant pour la mesure 1 et ascendant pour la mesure
2. Un soupir impose un silence méditatif sur le 4ème temps de chaque
mesure. Une sobriété d'écriture surréaliste pour une émotion mystique bien en
accord avec les intentions du compositeur : intégrer cette musique concertante
qui semble du domaine du simple intermède dans un oratorio d'inspiration
théologique… Encore faut-il que le chef articule de manière intime voire
nocturne le double motif. Et là, mes amis, peu importe que l'on fasse appel à
des orchestres baroques ou modernes. Seule l'inspiration du chef saura nous
apporter ce petit pincement au cœur émanant de ces deux mesures et du méditatif
développement qui va suivre, une musique tout aussi limpide… Ce largo se
prolonge sereinement telle la prière d'un prophète dans le désert…
Et c'est bien là que l'on mesure l'art de Raymond Leppard, sa maîtrise pour créer
cette atmosphère contemplative qui sied à ce passage. Démonstration que Haendel ne compose en rien pour égayer les
entractes, mais bien pour assurer des traits d'union fervents et épiques entre
les divers épisodes héroïques et sacrés de ses oratorios. Attention, le legato et
le soyeux un peu sombre des instruments modernes ne contribuent en rien à cette
réussite. Nous entendrons la même passion dans l'interprétation de Andrew Manze avec un orchestre baroque
avec instruments d'époque…
2 – Allegro : [1:07]
cet allegro très joyeux, rythmé voire scandé par les traits staccato des divers
groupes de cordes, imprime son ambiance de liesse que l'on retrouve dans les
parties dédiées aux chants de reconnaissance envers le divin dans les oratorios.
Il n'est pas rare dans ces concertos écrits en 1739 d'entendre des thèmes qui seront "parodiés" dans la
plupart des œuvres chorales à venir dans les quinze années suivantes. (Parodier :
réutiliser dans le vocabulaire musical de l'époque.) On reconnaîtra le phrasé
robuste et trépidant qui a rendu si célèbre les œuvres festives comme Water
Music.
3 – Largo e
piano : [3:55] Nouveau moment de sérénité mais moins mystique
de prime abord. Haendel aimait les
contrastes dans ces tempi et il n'est pas étonnant d'écouter cette belle page
après l'agitation de l'allegro. On notera une petite coda illuminée d'arpèges du
clavecin. Toujours ce désir du compositeur d'apporter des petites touches de
couleurs.
4 – Andante : [6:52]
Nouvelle rupture de ton avec un andante que Leppard
aborde allegretto. La mélodie fait songer immanquablement à celle d'un air pour
un soliste lyrique. Encore un aspect du mode de composition : l'alternance marquée des
nuances p vs f qui anime avec vivacité cette andante allègre.
5 – Hornpipe : [10:57]
On pense à l'instrument en forme de cornemuse mais simplifié dans le sens où il
ne possède qu'un seul bourdon, voire pas de sac destiné à créer une réserve
d'air. Non, là nous parlons d'un rythme de danse populaire et originaire d'Irlande
et plus généralement des iles britanniques. À la manière de Bach qui utilisait souvent des airs de
danses (gavotte, sarabande, etc.), Haendel
conclut joyeusement et sans aucune intention particulière en rapport avec
l'esprit des oratorios. C'est gai tout simplement à défaut d'être très
imaginatif. (Partition - page 100)
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La discographie de cet ensemble de concertos considérés
d'un niveau égal à ceux de Bach
ou de Vivaldi est assez vaste. Pour l'instant,
l'intégrale de Raymond Leppard n'est
disponible en CD ou en LP qu'à des prix surréalistes. Attendons que Decca qui
réédite le catalogue Philips ait la bonne idée de la rééditer.
Une fois de plus, les virtuoses yankees de l'Orpheus chamber Orchestra se distinguent
par la clarté du discours. La prise de son est superbe. On aurait pu attendre
un peu plus de religiosité dans les deux largos ceci dit… (DG – 5/6)
Dans le style baroque, avec des instruments
virevoltants, Christopher Hogwood nous
propose un concert de chambre éloigné des salles de concerts et des oratorios.
Une gravure plus en accord avec les options baroques, un son plus léger que
celui de l'English Chamber Orchestra.
Des tempos sans doute un peu timides (Decca
– 5/6).
Pour conclure, l'intégrale de Andrew
Manze avec The
academy of ancient music réunit toutes les
qualités requises : son baroque acidulé mais jamais râpeux, noblesse justifiée
par le rôle échu à ces concertos au sein d'œuvres d'inspiration biblique.
Incontournable. L'âge classique qui va naître transparait dans l'énergie
déployée par ces artistes. (HM – 6/6).
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