samedi 13 octobre 2018

HAENDEL – Concerto grosso opus 6 N°7 – Raymond LEPPARD (1966) – par Claude Toon



- Tiens M'sieur Claude, après l'imposante chronique sur la symphonie "pathétique" de Tchaïkovski, petit détour divertissant par le baroque…
- Oui Sonia, cela dit les concertos grosso de Haendel sont plus profonds qu'ils n'y paraissent, sous réserve d'une interprétation sans faille…
-  Heu, je reviens après un tour sur le web… Un seul exemplaire CD à 170 $ et quelques exemplaires du coffret original de 3 vinyles, c'est frustrant…
- Je vous l'accorde… Les enregistrements de Raymond Leppard ont été édités par Philips qui a laissé tomber le classique. Attendons que DECCA les réédite…
- Vous avez déjà mentionné ce chef britannique à propos du Water Music, également de Haendel, comme un très bon cru sur instruments modernes, vous récidivez ?
- Ô que oui, instruments anciens ou modernes… Un débat stérile ! L'esprit avant la lettre ; une règle. Et ici, quel esprit au cœur d'une musique aussi attachante….

Haendel vers 1740 par John Theodore Heins
Pour le plus grand nombre, Haendel est synonyme du Messie, un oratorio dont tout le monde connaît au moins le célèbre Alléluia, intermède choral et incantatoire devenu un best of des mariages dans des arrangements plus ou moins réussis… Incontestablement, le compositeur allemand, exact contemporain de Jean-Sébastien Bach, qui travaillera essentiellement en Angleterre (il repose à Westminster à côté de Purcell), a œuvré principalement dans le répertoire de l'oratorio et de l'opéra d'inspiration biblique ou mythologique : 76 œuvres au moins. (Bach concentrera son travail sur des centaines de cantates pour la liturgie et bien entendu les passions, donc une inspiration majoritairement religieuse.) Bien entendu, pour orchestre, il y a aussi les partitions phares comme celle de Water music. Également organiste et claveciniste de talent, Haendel a laissé des œuvres pour clavier.
Contrairement au grand baroqueux italien Vivaldi qui écrira des centaines de concertos, ou Bach qui en composera aussi un certain nombre pour diverses formations instrumentales, Haendel s'est intéressé au concerto plus tardivement et sous des formes très précises : des concertos pour orgue et des concertos grosso.
Notons quelques exceptions : trois concertos pour hautbois et les trois élégants concertos a due cori pour cors, hautbois, bassons et cordes, œuvres colorés présentées dans un article du blog et dont Raymond Leppard avait gravé à la fin des années 60 une très limpide interprétation avec l'English Chamber Orchestra. (Clic)
Les concertos pour orgue comme les concertos grosso ont été écrits à une fin précise : assurer des interludes divertissants ou méditatifs entre les différentes parties ou les actes des oratorios ou des opéras. Les concertos grosso sont réunis en deux cahiers : l'opus 3 date de 1717-1719 pour l'écriture et leur publication de 1734. L'ensemble comporte six concertos pour vents et cordes à la manière de Corelli et présente un caractère assez hétérogène. L'opus 6, plus tardif, est destiné à un ensemble de cordes et un continuo avec clavecin. L'ensemble sera achevé en 1739.
Interlude, intermède… On pourrait s'attendre à des petits concertos sympathiques mais sans grande profondeur. N'a-t-on pas toujours considéré Haendel comme un compositeur moins essentiel que Bach ? Et bien il n'en est rien, et si la musicalité et l'originalité semblent moins affirmées que dans les Brandebourgeois, œuvres brillantes et de styles contrastés, ces concertos grosso émeuvent, mais à une condition : l'interprète doit y engager son âme.
Pour mieux connaître la vie et le parcours de Haendel, rendez-vous à l'article consacré à Water music. (Clic)
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Lincoln's Inn Fields Theater
À partir des années 1737-38, le public anglais semble se lasser de l'opéra en italien, langue officielle et obligée pour les livrets en cette époque du baroque tardif et des premières prémisses de l'âge classique. L'un des must de Haendel, Xerxès (Serse), de 1738, en italien, marque pourtant pas sa richesse et son sujet dramatique ce passage à l'opéra classique qui sera porté à des sommets par Mozart qui n'hésitera pas à préférer l'allemand au grand dam de petits compositeurs courtisans de la cour d'Autriche. (Voir la scène à ce sujet dans Amadeus de Milos Forman.) Mais le public est versatile et parfois opportunément…
La fréquentation du Lincoln's Inn Fields Theater et d'autres salles de concert londoniennes s'en ressent et Haendel va pratiquement abandonner l'écriture d'opéra au bénéfice d'oratorios, genre qu'il avait déjà abordé depuis 1707. Le premier témoignage de cette transition dans le travail du maître est Saül (Père du roi David), une œuvre ambitieuse sur un livret en anglais de Charles Jennens, assez théâtral dans le bon sens du terme. Après Israël en Égypte la même année, Le Messie en 1742 sera la consécration de ce virage stylistique dans sa carrière. Le public est content d'entendre chanter des épopées d'inspiration biblique dans leur langue, tandis que le vieux continent préfère le latin pour les catholiques et l'allemand pour les luthériens… Détail important, depuis 1735, Haendel n'hésite pas à animer les entractes en improvisant lui-même à l'orgue ou en jouant les concertos pour cet instrument de l'opus 4. Les spectateurs se pressent, ne serait-ce que pour l'entendre… C'est ainsi que va germer l'idée des concertos grosso pour supplanter ces contraignantes performances.
En 1739, les douze concertos grosso de l'opus 6 sont composés en moins d'un mois !!! Certains en une seule journée. Ça m'a toujours laissé sur le flanc cette puissance créatrice des grands noms de la musique classique. Ils sont écrits pour deux violons et un violoncelle solistes (ce trio appelé concertino n'est pas requis dans le 7ème, comme par hasard), un ensemble classique de cordes et un continuo faisant appel au clavecin. Haendel dédaigne la forme tripartite italienne pour une suite de 4 à 6 mouvements.
Pendant près de vingt ans, les oratorios agrémentés des concertos feront les beaux jours du tout musical british, notamment à Covent Garden où auront lieu les créations…
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Covent Garden vers 1740
Pourquoi avoir choisi d'illustrer cet article en commentant le concerto N°7 ? Et bien le souvenir encore vivant de sa découverte lors d'un concert radiodiffusé vers 1978 où le maestro Riccardo Mutti l'avait retenu comme "ouverture". Un concert symphonique sur instruments modernes… Le largo m'avait beaucoup ému à l'époque. Voilà une réponse toute simple qui explique pourquoi je ne  m'étends pas trop sur l'analyse. Une seconde vidéo permettra d'écouter les six derniers concertos, beaucoup de fantaisie malgré un évident air de famille.
Dans les années 60-70, le chef anglais Raymond Leppard a su concilier les sonorités modernes du English Chamber Orchestra avec une approche baroqueuse très lumineuse même si éloignée des timbres acidulés et du phrasé allègre des baroqueux. 1740, le baroque tardif va doucement laisser la place à l'époque classique… Il faut aussi tenir compte de cette évolution dans l'interprétation… C'est ici le cas. Pour en savoir plus sur cet artiste un peu oublié du fait de ses 92 printemps (Clic).
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1 – Largo : Un premier mouvement d'une lenteur céleste et de seulement dix mesures ! Les violons énoncent par deux fois un thème à l'accent quasi religieux soutenu aux violoncelles par un arpège descendant pour la mesure 1 et ascendant pour la mesure 2. Un soupir impose un silence méditatif sur le 4ème temps de chaque mesure. Une sobriété d'écriture surréaliste pour une émotion mystique bien en accord avec les intentions du compositeur : intégrer cette musique concertante qui semble du domaine du simple intermède dans un oratorio d'inspiration théologique… Encore faut-il que le chef articule de manière intime voire nocturne le double motif. Et là, mes amis, peu importe que l'on fasse appel à des orchestres baroques ou modernes. Seule l'inspiration du chef saura nous apporter ce petit pincement au cœur émanant de ces deux mesures et du méditatif développement qui va suivre, une musique tout aussi limpide… Ce largo se prolonge sereinement telle la prière d'un prophète dans le désert…
Et c'est bien là que l'on mesure l'art de Raymond Leppard, sa maîtrise pour créer cette atmosphère contemplative qui sied à ce passage. Démonstration que Haendel ne compose en rien pour égayer les entractes, mais bien pour assurer des traits d'union fervents et épiques entre les divers épisodes héroïques et sacrés de ses oratorios. Attention, le legato et le soyeux un peu sombre des instruments modernes ne contribuent en rien à cette réussite. Nous entendrons la même passion dans l'interprétation de Andrew Manze avec un orchestre baroque avec instruments d'époque…

2 – Allegro : [1:07] cet allegro très joyeux, rythmé voire scandé par les traits staccato des divers groupes de cordes, imprime son ambiance de liesse que l'on retrouve dans les parties dédiées aux chants de reconnaissance envers le divin dans les oratorios. Il n'est pas rare dans ces concertos écrits en 1739 d'entendre des thèmes qui seront "parodiés" dans la plupart des œuvres chorales à venir dans les quinze années suivantes. (Parodier : réutiliser dans le vocabulaire musical de l'époque.) On reconnaîtra le phrasé robuste et trépidant qui a rendu si célèbre les œuvres festives comme Water Music.

3 – Largo e piano : [3:55] Nouveau moment de sérénité mais moins mystique de prime abord. Haendel aimait les contrastes dans ces tempi et il n'est pas étonnant d'écouter cette belle page après l'agitation de l'allegro. On notera une petite coda illuminée d'arpèges du clavecin. Toujours ce désir du compositeur d'apporter des petites touches de couleurs.

4 – Andante : [6:52] Nouvelle rupture de ton avec un andante que Leppard aborde allegretto. La mélodie fait songer immanquablement à celle d'un air pour un soliste lyrique. Encore un aspect du mode de composition : l'alternance marquée des nuances p vs f qui anime avec vivacité cette andante allègre.

5 – Hornpipe : [10:57] On pense à l'instrument en forme de cornemuse mais simplifié dans le sens où il ne possède qu'un seul bourdon, voire pas de sac destiné à créer une réserve d'air. Non, là nous parlons d'un rythme de danse populaire et originaire d'Irlande et plus généralement des iles britanniques. À la manière de Bach qui utilisait souvent des airs de danses (gavotte, sarabande, etc.), Haendel conclut joyeusement et sans aucune intention particulière en rapport avec l'esprit des oratorios. C'est gai tout simplement à défaut d'être très imaginatif. (Partition - page 100)
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La discographie de cet ensemble de concertos considérés d'un niveau égal à ceux de Bach ou de Vivaldi est assez vaste. Pour l'instant, l'intégrale de Raymond Leppard n'est disponible en CD ou en LP qu'à des prix surréalistes. Attendons que Decca qui réédite le catalogue Philips ait la bonne idée de la rééditer.
Une fois de plus, les virtuoses yankees de l'Orpheus chamber Orchestra se distinguent par la clarté du discours. La prise de son est superbe. On aurait pu attendre un peu plus de religiosité dans les deux largos ceci dit… (DG – 5/6)
Dans le style baroque, avec des instruments virevoltants, Christopher Hogwood nous propose un concert de chambre éloigné des salles de concerts et des oratorios. Une gravure plus en accord avec les options baroques, un son plus léger que celui de l'English Chamber Orchestra. Des tempos sans doute un peu timides (Decca – 5/6).
Pour conclure, l'intégrale de Andrew Manze avec The academy of ancient music réunit toutes les qualités requises : son baroque acidulé mais jamais râpeux, noblesse justifiée par le rôle échu à ces concertos au sein d'œuvres d'inspiration biblique. Incontournable. L'âge classique qui va naître transparait dans l'énergie déployée par ces artistes. (HM – 6/6).

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