samedi 8 septembre 2018

SCHUBERT - Trio N°1 D898 - BEAUX ARTS TRIO - par Claude Toon



- On reprend le boulot sérieusement M'sieur Claude… Après les joyeuses œuvrettes de l'été, retour au grand répertoire avec Schubert…
- Et oui Sonia, j'avais déjà commenté le 2ème trio immortalisé dans Barry Lindon. Place au 1er qui lui est contemporain…
- Ah ! Donc une œuvre ambitieuse de la vie de Franz à voir le numéro de catalogue ?
- Absolument, mais une musique résolument optimiste qui sera créée entre amis dans une soirée privée, optimiste même si Schubert à moins d'un an à vivre.
- Vous avez choisi l'interprétation du Beaux Arts Trio, c'est la première fois que nous en parlons je crois ?
- Oui un ensemble légendaire qui a dominé l'univers du trio de 1955 à 2008 ! Le pianiste Menahem Pressler continue à 94 ans à prendre sa retraite en pente douce.

Le Beaux Arts Trio dans les années 60 :
Piano : Menahem Pressler
violon : Daniel Guilet
violoncelle : Bernard Greenhouse
On débat depuis près de deux siècles sur la chronologie des deux trios de Schubert composés l'un et l'autre en l'année 1827, de l'été à l’automne sans doute.  Il n'y a apparemment pas de réponse certaine d'autant que les deux ouvrages, comme la plupart des œuvres majeures du maître viennois n'ont été publiée qu'après la mort bien prématurée de ce dernier, par Diabelli, en 1836 pour le 1er et le 2nd en 1829 chez Probst. Après avoir méprisé Schubert de son vivant, les musiciens et autres compositeurs éclairés découvraient enfin que le public et les mécènes de l'époque avaient ignoré sans doute l'un des compositeurs de musique de chambre les plus géniaux de l'histoire avec Mozart, Haydn, Beethoven et plus tardivement Brahms… Depuis, ces deux trios sont des piliers du répertoire et au XXème siècle, les parutions discographiques ne se comptent plus.
Une certitude, cette composition a été écrite à l'intention de trois grands artistes de l'époque qui étaient tous proches de Beethoven, le dieu musical de Vienne lors de sa mort en cette année 1827. Les trois dédicataires étaient Carl Maria von Bocklet, pianiste et ami de Schubert, Ignaz Schuppanzigh au violon et Joseph Linke au violoncelle. Familier des créations des œuvres de Beethoven, la richesse des deux trios de Schubert ne posait pas de difficultés pointues aux trois hommes. Cela dit, si la première a eu lieu en janvier 1828 lors d'une Schubertiade, rien ne permet de penser que les trios aient été rejoués par les trois hommes ultérieurement. D'autant que Ignaz Schuppanzigh disparaitra rapidement, en 1830. Pour conclure sur cette genèse, les deux trios ont été créés début 1828, et l'on pense que le 1er aurait vu le jour pendant l'été 1827 et le second en novembre, ce qui clôt a priori le débat !
Comme on a pu le lire dans des articles précédents, Schubert ne connut jamais les feux de la rampe comme Haydn, Mozart ou Beethoven. Peu ou pas éditées, ces œuvres ne seront jouées qu’en comité restreint chez lui ou chez des amis. La création de ces deux trios par trois des virtuoses les plus en vue de l'époque sera donc une exception, le bonheur éphémère d'un homme qui ne sut pas s'imposer. Au début du romantisme, les compositeurs ne vont plus dépendre d'un prince de la noblesse ou de l’Église. Schubert sera la première victime de cette nouvelle donne qui le prive de l'accès à la notoriété dans les cours européennes et de revenus financiers confortables. Non issu d'une famille de riche banquier, son quasi contemporain Mendelssohn aurait pu connaître le même sort…
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Soirée musicale autour de Schubert
Soirée
L'aventure musicale du Beaux Arts Trio à l'exceptionnelle longévité débute le 13 juillet 1955. Elle ne prendra fin que le 23 août 2009, soit 54 ans plus tard, le pianiste n'ayant jamais été remplacé et continuant d'interpréter épisodiquement Chopin ou d'autres et d'enseigner ou plutôt de conseiller de jeunes apprentis virtuoses à l'université de l'Indiana.
Lors de sa fondation, la formation comportait :
Piano : Menahem Pressler dont je viens d'esquisser l'actuelle fin de carrière à 94 ans. Né en 1923, le pianiste devra fuir l'Allemagne nazie pour l'Italie puis la Palestine (Israël) où il terminera ses études. Presque toute sa famille disparaîtra dans les camps d'extermination. En 1946, il remporte un prix à un concours consacré à Debussy. Il devient citoyen américain de cœur et sa carrière de soliste est lancée. Rapidement il se produit à Carnegie Hall accompagné par l'orchestre de Philadelphie dirigé par Eugène Ormandy ! Belle carte de visite… Il fonde en 1955 avec Daniel Guilet et Bernard Greenhouse le Beaux Arts Trio.
Violon : Daniel Guilet : Né en 1899 en Russie mais d'origine française, ce violoniste revient vivre en France  et reçoit les cours de Enesco à Paris. Il sera un complice de Maurice Maurice Ravel. Départ pour les USA en 1941Toscanini l'invite à jouer avec son NBC Orchestra. Il rejoint le Beaux Arts Trio en 1955 et ne le quittera qu'en 1969 pour se consacrer à l'enseignement. Il nous quittera en 1990 à l'âge de 91 ans.
Violoncelle : Bernard Greenhouse : Né en 1916 à Newark, il étudie à la célèbre Julliard School. Il se perfectionnera entre 1946 et 1948 avec Pablo Casals. Il commencera une carrière de soliste en un temps où, contrairement au violon et au piano, le violoncelle n'a pas la cote comme de nos jours. Jouant sur un stradivarius (Paganini-Countess of Stanlein de 1707) à partir de 1958, il avait rejoint comme co-fondateur le Beaux Arts Trio dès 1955. Il quitte le trio en 1987. Il est décédé en 2011 à 95 ans. Pratiquer le trio serait-il un élixir de jouvence 😃 ?
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Menahem Pressler
1 - Allegro moderato : Schubert ignore-t-il que l'année 1828 sera à la fois une descente en enfer à cause de la maladie et la période des œuvres les plus ambitieuses, abouties et géniales que sont principalement les trois dernières sonates ou encore le quintette à deux violoncelles ? Petite énumération qui permet de nos jours d'entendre le mot "miracle" dans les propos d'un Max Pol-Fouchet. Les deux trios ne suggèrent pas les tourments, sans doute une certaine nostalgie dans les passages p. Schubert ne veut-il pas autre chose que proposer des œuvres magnifiquement composées sur la forme mais en aucun cas funestes sur le fond, comme il va être souvent de mode dans ce XIXème siècle romantique ? On peut le supposer à l'écoute de l'introduction plutôt allègre, vivacité préliminaire que l'on retrouve dans le second trio également.
Daniel Guilet
Sur une suite d'accords staccato du piano, violon et violoncelle déroulent une mélodie enjouée notée f, pleine de jeunesse, rieuse. [V1-0:48] Ce premier thème est repris de manière facétieuse par le piano en complicité avec des pizzicati du violoncelle et des trilles du violon. Premier développement guilleret qui va conduire au second thème de cet allegro [V1-1:48] L'exposé de celui-ci est confié au violoncelle, enchanteur, secret, bonhomme, en un mot la quintessence du charme typique de l'imagination mélodique de Schubert. Thème repris par le violon. Comme souvent (moins que dans le trio 2), le compositeur varie l'esprit et les climats par d'incessants changements de tonalités ; uniquement des modes majeurs, les plus chaleureux : Si bémol majeur (tonalité principale), Fa majeur, Mi majeur, etc.
Prophétique sans le savoir, Schubert, par ses jeux de tonalités, préfigure le chromatisme wagnérien et, par son goût prononcé pour les variations, anticipe le style de Brahms. L'exemple le plus stupéfiant de cette technique étant l'andante du quatuor La jeune fille et la mort. Si dans ce trio, la forme sonate avec ses reprises et ses réexpositions structure le mouvement, on entendra des passages d'une pétulante variété en termes d'oppositions mélodiques. Ainsi [3:12] la musique semble émaner d'un clair-obscur avant de développer les deux premiers thèmes de manière volubile. Le talent du Beaux Arts Trio est de mettre en avant tous ces changements de climats et de lumière, comme ce crescendo aux accents douloureux qui marque le centre du mouvement [5:02]. Ces artistes restituent avec élégance, je pourrais écrire galanterie, la délicatesse et les sonorités toute viennoises de cet allegro très justement noté moderato. La coda est particulièrement facétieuse.

Bernard Greenhouse
2 - Andante un poco mosso : Le mouvement lent dont le premier thème est chanté par le violoncelle ne peut que rappeler que Schubert est un compositeur de Lieder. Tout le morceau s'articule telle une complainte de deux solistes lyriques (substitués par le violoncelle et le violon) accompagnés par une lancinante suite d'accords au piano. La partie centrale développe un épisode plus épique. On songera en écoutant la rythmique horlogère du piano à une ballade (au sens propre), une rêverie nocturne. Je vous laisse imaginer votre propre scène bucolique…

3 - Scherzo. Allegro : Motif sautillant au clavier, une augure de bonne humeur de nouveau pour ce trio qui se veut un divertimento haut de gamme. Tout à fait divertimento ? Peut-être pas, car cette scansion semble fiévreuse, comme si Schubert tentait sans totalement nous convaincre de nous amuser. Oui, une ambiguïté palpable à travers la rythmique syncopée, voire interrogative, imposée aux trois instruments. [V3-3:12] Plutôt inattendue, voici une valse, mais une valse tristounette en guise de Trio. Dans ces quelques minutes de musique chatoyante mais élégiaque, Schubert se met à nu : ne jamais attrister ni se confier directement, garder comme un carnet secret ces déceptions et désillusions face à l'incompréhension vis à vis à trop de ses ouvrages… [V3-4:40] Le Scherzo est rejoué da capo.

4 - Rondo. Allegro vivace : Le premier thème espiègle et jubilatoire introduit ce rondo final. Le piano plus discret le soutient par une mélodie sinueuse et fraîche. Le même piano qui va reprendre ce thème lyrique. On retrouve le si bémol majeur, tonalité principale de ce trio. Une tonalité qui depuis l'adolescence du compositeur souligne le désir d'une jeunesse ardente et enthousiaste. Une chorégraphie va se développer d'épisodes en épisodes fougueux voire rigolards. La musiques sautille, tantôt faussement timide, tantôt expansive. Je n'en dis pas plus, c'est vraiment génial de drôlerie et de fantaisie ! Quant à l'interprétation… les trois musiciens distillent avec maestria toute la facétie picaresque du rondo. Culte ! (Partition)
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Maintes fois rééditées, les gravures à la folie bonne enfant du trio Stern-Istomin-Rose restent définitivement quasi indétrônables sur le podium des interprétations cultes. (Sony - 6/6)
Magnifique album du trio Wanderer (comme très souvent). L'ensemble joue les reprises de l'allegro portant ainsi sa durée à 15 minutes. On ne voit pas le temps passer tant le phrasé est articulé et énergique. En complément le second trio et le Notturno (2008 Harmonia mundi – 6/6).

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