- On reprend le boulot
sérieusement M'sieur Claude… Après les joyeuses œuvrettes de l'été, retour au
grand répertoire avec Schubert…
- Et oui Sonia, j'avais
déjà commenté le 2ème trio immortalisé dans Barry Lindon. Place au 1er
qui lui est contemporain…
- Ah ! Donc une œuvre
ambitieuse de la vie de Franz à voir le numéro de catalogue ?
- Absolument, mais une
musique résolument optimiste qui sera créée entre amis dans une soirée privée,
optimiste même si Schubert à moins d'un an à vivre.
- Vous avez choisi
l'interprétation du Beaux Arts Trio, c'est la première fois que nous en parlons
je crois ?
- Oui un ensemble
légendaire qui a dominé l'univers du trio de 1955 à 2008 ! Le pianiste Menahem
Pressler continue à 94 ans à prendre sa retraite en pente douce.
Le Beaux Arts Trio dans les années 60 : Piano : Menahem Pressler violon : Daniel Guilet violoncelle : Bernard Greenhouse |
On débat depuis près de deux siècles sur la chronologie des
deux trios de Schubert composés l'un et l'autre en l'année 1827, de l'été
à l’automne sans doute. Il n'y a apparemment pas de réponse certaine
d'autant que les deux ouvrages, comme la plupart des œuvres majeures du maître viennois
n'ont été publiée qu'après la mort bien prématurée de ce dernier, par Diabelli, en 1836 pour le 1er et le 2nd en 1829 chez Probst. Après avoir méprisé Schubert
de son vivant, les musiciens et autres compositeurs éclairés découvraient enfin
que le public et les mécènes de l'époque avaient ignoré sans doute l'un des
compositeurs de musique de chambre les plus géniaux de l'histoire avec Mozart, Haydn,
Beethoven et plus tardivement Brahms… Depuis, ces deux trios sont des
piliers du répertoire et au XXème siècle, les parutions
discographiques ne se comptent plus.
Une
certitude, cette composition a été écrite à l'intention de trois grands
artistes de l'époque qui étaient tous proches de Beethoven,
le dieu musical de Vienne lors de sa mort en cette année 1827. Les trois dédicataires étaient Carl
Maria von Bocklet, pianiste et ami de Schubert, Ignaz Schuppanzigh au violon et Joseph Linke au violoncelle. Familier des
créations des œuvres de Beethoven, la richesse des deux trios de Schubert ne
posait pas de difficultés pointues aux trois hommes. Cela dit, si la première a
eu lieu en janvier 1828 lors d'une Schubertiade, rien ne permet de penser
que les trios aient été rejoués par les trois hommes ultérieurement. D'autant
que Ignaz Schuppanzigh disparaitra rapidement,
en 1830. Pour conclure sur cette
genèse, les deux trios ont été créés début 1828,
et l'on pense que le 1er aurait vu le jour pendant l'été 1827 et le second en novembre, ce qui
clôt a priori le débat !
Comme
on a pu le lire dans des articles précédents, Schubert
ne connut jamais les feux de la rampe comme Haydn,
Mozart ou Beethoven.
Peu ou pas éditées, ces œuvres ne seront jouées qu’en comité restreint chez lui ou
chez des amis. La création de ces deux trios par trois des virtuoses les plus
en vue de l'époque sera donc une exception, le bonheur éphémère d'un homme qui
ne sut pas s'imposer. Au début du romantisme, les compositeurs ne vont plus
dépendre d'un prince de la noblesse ou de l’Église. Schubert
sera la première victime de cette nouvelle donne qui le prive de l'accès à la
notoriété dans les cours européennes et de revenus financiers confortables. Non
issu d'une famille de riche banquier, son quasi contemporain Mendelssohn aurait pu connaître le même
sort…
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Soirée musicale autour de Schubert |
Soirée |
L'aventure
musicale du Beaux Arts Trio à
l'exceptionnelle longévité débute le 13 juillet 1955. Elle ne prendra fin que le 23 août 2009, soit 54 ans plus tard, le pianiste n'ayant jamais été
remplacé et continuant d'interpréter épisodiquement Chopin
ou d'autres et d'enseigner ou plutôt de conseiller de jeunes apprentis virtuoses à
l'université de l'Indiana.
Lors
de sa fondation, la formation comportait :
Piano : Menahem
Pressler dont je viens d'esquisser l'actuelle fin de carrière à
94 ans. Né en 1923, le pianiste
devra fuir l'Allemagne nazie pour l'Italie puis la Palestine (Israël) où il
terminera ses études. Presque toute sa famille disparaîtra dans les camps
d'extermination. En 1946, il
remporte un prix à un concours consacré à Debussy.
Il devient citoyen américain de cœur et sa carrière de soliste est lancée. Rapidement
il se produit à Carnegie Hall accompagné par l'orchestre
de Philadelphie dirigé par Eugène Ormandy
! Belle carte de visite… Il fonde en 1955 avec Daniel Guilet
et Bernard Greenhouse le Beaux
Arts Trio.
Violon : Daniel
Guilet : Né en 1899
en Russie mais d'origine française, ce violoniste revient vivre en France et reçoit les cours de Enesco
à Paris. Il sera un complice de Maurice Maurice Ravel.
Départ pour les USA en 1941 où Toscanini l'invite à jouer avec son NBC Orchestra. Il rejoint le Beaux Arts Trio en 1955 et ne le quittera qu'en 1969
pour se consacrer à l'enseignement. Il nous quittera en 1990 à l'âge de 91 ans.
Violoncelle : Bernard Greenhouse : Né en 1916 à Newark, il étudie à la célèbre
Julliard School. Il se perfectionnera entre 1946 et 1948 avec Pablo Casals. Il commencera une carrière
de soliste en un temps où, contrairement au violon et au piano, le violoncelle
n'a pas la cote comme de nos jours. Jouant sur un stradivarius (Paganini-Countess of Stanlein de 1707) à
partir de 1958, il avait rejoint comme co-fondateur le Beaux
Arts Trio dès 1955.
Il quitte le trio en 1987. Il est
décédé en 2011 à 95 ans. Pratiquer
le trio serait-il un élixir de jouvence 😃 ?
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Menahem Pressler |
1 - Allegro moderato : Schubert
ignore-t-il que l'année 1828 sera à
la fois une descente en enfer à cause de la maladie et la période des œuvres les
plus ambitieuses, abouties et géniales que sont principalement les trois
dernières sonates ou encore le quintette à deux violoncelles ? Petite
énumération qui permet de nos jours d'entendre le mot "miracle" dans
les propos d'un Max Pol-Fouchet. Les deux trios ne suggèrent pas les tourments,
sans doute une certaine nostalgie dans les passages p. Schubert
ne veut-il pas autre chose que proposer des œuvres magnifiquement composées sur
la forme mais en aucun cas funestes sur le fond, comme il va être souvent de
mode dans ce XIXème siècle romantique ? On peut le supposer à
l'écoute de l'introduction plutôt allègre, vivacité préliminaire que l'on
retrouve dans le second trio également.
Daniel Guilet |
Prophétique
sans le savoir, Schubert, par ses jeux de
tonalités, préfigure le chromatisme wagnérien et, par son goût prononcé pour
les variations, anticipe le style de Brahms.
L'exemple le plus stupéfiant de cette technique étant l'andante du quatuor La
jeune fille et la mort. Si dans ce trio, la forme sonate
avec ses reprises et ses réexpositions structure le mouvement, on entendra des
passages d'une pétulante variété en termes d'oppositions mélodiques. Ainsi [3:12]
la musique semble émaner d'un clair-obscur avant de développer les deux
premiers thèmes de manière volubile. Le talent du Beaux
Arts Trio est de mettre en avant tous ces changements de climats
et de lumière, comme ce crescendo aux accents douloureux qui marque le centre
du mouvement [5:02]. Ces artistes restituent avec élégance, je pourrais écrire
galanterie, la délicatesse et les sonorités toute viennoises de cet allegro très
justement noté moderato. La coda est particulièrement facétieuse.
Bernard Greenhouse |
3 - Scherzo. Allegro : Motif
sautillant au clavier, une augure de bonne humeur de nouveau pour ce trio qui
se veut un divertimento haut de gamme. Tout à fait divertimento ? Peut-être pas,
car cette scansion semble fiévreuse, comme si Schubert tentait sans totalement nous
convaincre de nous amuser. Oui, une ambiguïté palpable à travers la rythmique syncopée, voire
interrogative, imposée aux trois instruments. [V3-3:12] Plutôt inattendue, voici
une valse, mais une valse tristounette en guise de Trio. Dans ces quelques
minutes de musique chatoyante mais élégiaque, Schubert
se met à nu : ne jamais attrister ni se confier directement, garder comme un
carnet secret ces déceptions et désillusions face à l'incompréhension vis à vis à
trop de ses ouvrages… [V3-4:40] Le Scherzo est rejoué da capo.
4 - Rondo. Allegro vivace : Le premier
thème espiègle et jubilatoire introduit ce rondo final. Le piano plus discret
le soutient par une mélodie sinueuse et fraîche. Le même piano qui va reprendre
ce thème lyrique. On retrouve le si bémol majeur, tonalité principale de ce
trio. Une tonalité qui depuis l'adolescence du compositeur souligne le désir
d'une jeunesse ardente et enthousiaste. Une chorégraphie va se développer
d'épisodes en épisodes fougueux voire rigolards. La musiques sautille, tantôt faussement
timide, tantôt expansive. Je n'en dis pas plus, c'est vraiment génial de
drôlerie et de fantaisie ! Quant à l'interprétation… les trois musiciens
distillent avec maestria toute la facétie picaresque du rondo. Culte ! (Partition)
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Maintes fois
rééditées, les gravures à la folie bonne enfant du trio Stern-Istomin-Rose
restent définitivement quasi indétrônables sur le podium des interprétations
cultes. (Sony - 6/6)
Magnifique album
du trio Wanderer
(comme très souvent). L'ensemble joue les reprises de l'allegro portant ainsi
sa durée à 15 minutes. On ne voit pas le temps passer tant le phrasé est
articulé et énergique. En complément le second trio et le Notturno (2008 Harmonia mundi – 6/6).
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