vendredi 28 septembre 2018

LES FRERES SISTERS de Jacques Audiard (2018) par Luc B.



S’asseoir dans une salle de cinéma pour y regarder un western, c’est pas banal. Mais que le western en question soit réalisé par un français, c’est carrément inédit ! (je ne parle pas des parodies, genre LUCKY LUKE avec Dujardin…). Au départ, c’est le projet de l’acteur John C. Reilly, qui achète les droits d’un bouquin de Patrick de Witt, et en propose l’adaptation à Jacques Audiard, après DE ROUILLE ET D’OS.

Le casting est américain, mais l’équipe technique française, les extérieurs sont tournés en Espagne, (Almeria, où tournait Sergio Leone), et même en France. Audiard pouvait tourner réellement en Californie mais la physionomie des paysages lui semblait trop connue, trop identifiable. Le plan où Morris et Warm chevauchent le long du Pacifique est filmé à Lacanau, dans les Landes ! LES FRERES SISTERS est un western qui ne renvoie pas forcément aux codes du genre, pas de plan à la Ford ni de tronches à la Leone. On est certes en terrain connu (types à cheval, chapeaux, feu de camp, grands espaces…) mais aussi dans un western qui parait neuf, différent, une impression...  Parce qu’Audiard fait du Audiard, western ou pas, il n’est pas dans l’hommage, le clin d’œil, mais avec un scénar qui parle de fratrie, de filiation, de tueurs (terrains qu’il connait bien) et qui se déroule aux Etats Unis en 1851.

Les frères Sisters, Elie l’aîné, Charlie le cadet, sont donc des tueurs, à la solde du Commodore. On les voit à l’œuvre dès la première scène : ils font le job, pas de pitié. Premier plan sublime d'ailleurs, ces flammes crachées par les flingues, qui strient la nuit noire. Leur mission consiste à retrouver un prospecteur, aussi chimiste, Hermann Kermit Warm, qui détiendrait une formule pour trouver de l’or. Il est pris en filature par le détective John Morris, en attendant que les frangins viennent finir la besogne.
 
Un film où l’on se déplace beaucoup, qui traverse les Etats, les villes, les paysages. Et ils font quoi les frères, quand ils voyagent ? Ils discutent, parlent, papotent, évoquent l’enfance, s’angoissent pour l’avenir, rient ou se disputent. Un western causant ? Ce n’est pas le premier, RIO BRAVO c’est 2h20 de dialogues, et voyez les 8 SALOPARDS de Tarantino, 3h15 de huis-clos ! Chez les Sisters, les rôles sont inversés : Charlie est le cadet, mais c’est lui le chef. Il a le vin mauvais, comme leur père violent, il a « cet héritage empoisonné qui lui coule dans les veines ». Et qu'il transmettrait surement à sa progéniture... Une malédiction pour celui qui se rêve en légende de l’Ouest : les fameux frères Sisters !

Pour Elie, tuer, c'est un gagne pain.  Il a envie de décrocher après ce contrat, s’installer, fonder une famille. Il s’endort en reniflant l’odeur d’une étoffe offerte par une femme… Il semble avoir plus d’humanité. Davantage pour les chevaux que pour ses contemporains qu’il dézingue à tout de bras, mais tout de même… Voir la scène à Mayfield, avec la prostituée. Mayfield, une ville tenue par une patronne de bar transgenre, où l’intrigue va se corser. Les Sisters qui jusque-là traquaient, vont devenir des proies. Bien que le rythme ne soit pas intrépide, le film offre son lot de rebondissements. Les personnaages évoluent, les situations aussi, rien n'est figé, on est sans cesse en mouvement. Il y a de l’action, un peu d’humour (la découverte de la brosse à dent !), et comme souvent chez Audiard, on flirte avec le fantastique.

Dès la scène d’ouverture avec ce cheval embrasé, la découverte de l'or, ces plans d’ouverture à l’iris, la dernière séquence, avec la mère, merveilleuse, emprunte de magie. La musique d’Alexandre Desplat et ses accents à la fois westerniens et contemporains soulignent l’étrangeté de certaines scènes. Autre aspect surprenant, le projet de phalanstère d’Hermann Kermit Warm, au Texas ! Warm et Norris sont lettrés, des intellectuels. Dans cet Ouest sauvage et brutal (à l’image du film) il semblerait qu’il y ait de la place pour le rêve, l’utopie, un « espace de démocratie » explique Warm. C’est vers cet espoir que finiront de chevaucher les protagonistes, fatigués de violence.  

Comme souvent avec Jacques Audiard, on a affaire à un film d’hommes (lui qui fustigeait le Festival de Venise pour son manque de femmes en compétition, c’est remarquable !). Un quatuor merveilleusement interprété par John C. Reilly (qui me fait penser à Gene Hackman en vieillissant !), Joaquin Phoenix, Jake Gyllenhaal et Riz Ahmed. A noter aussi la très très très courte prestation de Rutger Hauer, sans doute le rôle le plus facile de sa carrière** ! La mise en scène est millimétrée, plus posée dans ses cadres, filme toujours la violence au plus près. C'est formellement très beau, très maîtrisé (maniéré disent les détracteurs, la forme masquerait le manque de fond), impressionnant travail sur la photographie. Le faux-rythme peut sans doute dérouter, mais cette chevauchée sauvage vaut son pesant de plombs.

Comme souvent, la musique et le montage de la bande annonce ne correspondent pas à l'esprit du film... 



couleur  -  2h00  -  format scope
** ATTENTION SPOLIER !!! Rutger Hauer joue le Commodore, mort dans son cercueil !!

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