mercredi 8 août 2018

"Royaume de Vent et de Colères" de Jean-Laurent Del Socorro (2015), by Bruno


     Voici un petit roman qui remporté le prix Elbakin du meilleur roman francophone de l'année 2015. Pas mal pour le premier essai de monsieur Jean-Laurent Del Socorro. Un inconnu, si ce n'est pour les passionnés de jeux de rôle qui le connaissent déjà à travers le jeu Cirkus. Un jeu d'espionnage mêlé à du fantastique ; Cirkus est le nom de code d'une agence indépendante d'espions dont les membres, qui ont pour couverture des métiers du spectacle, doivent faire le moins possible usage de la violence.


   Ce roman a la particularité de s'immiscer dans des événements historiques pour y développer une petite dimension fantastique. Rien de bien méchant, rien qui ne s'apparenterait à la démesure hollywoodienne. Rien à voir avec les larges libertés, associées à l'ignorance, que l'on retrouve trop souvent - systématiquement ? - dans les œuvres cinématographiques d'outre-Atlantique. A certains moments, ça frôle même le roman historique.

Le lieu, le décor, c'est principalement la ville de Marseille, en l'an 1596, au temps des conflits de religion qui ont ébranlé le royaume de France et la couronne. Deux années avant que ne soit promulgué l'Edit de Nantes qui mit fin, en France, aux guerres de religions.
Le consul de la ville phocéenne, Charles de Casaulx, a renié l'autorité de l'héritier du trône de France, Henri de Bourbon, roi de Navarre, et escompte bien garder le contrôle de "sa" ville qu'il régente depuis octobre 1591.
On a parlé de "République de Marseille" bien que Charles de Casaulx ait plutôt gouverné comme un despote. Toutefois, il fut l'instigateur de la création de l’hôpital l'hôtel Dieu (aujourd'hui un hôtel) et resta vigilant sur les approvisionnements nécessaires pour subvenir aux besoins des habitants, quitte à ponctionner des navires faisant halte au port.
La majeure partie semble se recentrer sur le fameux vieux quartier du Panier et le Vieux-Port.

   La particularité de ce roman est qu'il n'y a pas vraiment, à proprement parler, de personnage principal. Surtout pas de héros au sens propre. Cependant, malgré tout, il semble bien qu'il y en ait deux à qui l'auteur a donné un petit peu plus de place. Soit :

   - Axelle, une métisse, ancienne mercenaire, reconvertie en aubergiste. Un commerce qu'elle tient avec son époux, également ancien mercenaire. Lieu qui fait office de premier décor et où se croiseront - généralement pour leur entrée en scène - une majorité de protagonistes.
   - Gabriel, un chevalier usé par l'âge et les regrets, un ancien huguenot, qui a dû renier sa foi protestante, doutant et s'interrogeant sans cesse sur ses décisions passées et présentes. Arrivé à Marseille pour se mettre sous les ordres de Charles de Casaulx.

   Vient ensuite le moine de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, Armand, devant cacher son homosexualité et surtout, le fait qu'il a été instruit dans l'Art. C'est l'acteur faisant le lien avec le surnaturel. Ici réduit à l'art de la manipulation d'une "pierre d'équilibre" exacerbant et développant des capacités psy ou télékinétiques, au détriment de la santé de son utilisateur. Un art de mauvaise réputation et honni par le peuple car généralement utilisé à mauvais escient. Écœuré par l'utilisation que ses supérieurs lui demande d'en faire, à savoir la destruction et le meurtre (la guerre), il prend le risque de fuir son institution.
   Puis Victoire, la dirigeante d'une guilde de tueurs se louant au plus offrant. Plus toute jeune, elle songe à raccrocher, avant qu'il ne soit trop tard et qu'un petit jeunot ambitieux ne vienne prendre sa place d'une manière radicale.
   Et enfin, Silas, un dangereux assassin qui a laissé derrière lui sa Turquie natale pour se rallier à Victoire, en devenant son plus fidèle lieutenant.

Marseille 1596

     Ce roman a la particularité d'être vif et prenant. Sans temps morts. Pour ce faire, l'auteur a utilisé une recette audacieuse. Des chapitres courts, de quelques pages, chacun dédié à un des personnages clefs du roman. C'est-à-dire qu'à chaque chapitre, on pénètre la psyché d'un de ces personnages. Ce qui nous permet de voir le monde et les événements tel qu'ils le perçoivent. Ainsi, on ne cesse de passer de la vision d'un acteur à un autre. Et, ainsi, il n'y a pas de parti pris. Pas de jugement. Chacun des protagonistes possèdent ses zones d'ombres et de lumières. Et tous, enchaînés à un lourd passé, ou même, pour certains, à un présent qu'ils espèrent bientôt résolu, recherchent une forme de rédemption.
On pourrait légitimement croire la méthode bancale, incitant à la confusion, mais l'auteur, de par son style précis et concis, maintient ainsi un intérêt croissant. A la limite, seul le parcours chaotique de Gabriel pourrait paraître un peu plus difficile à appréhender.

     Les protagonistes que l'on peut considérer comme les plus noirs, comme l'assassin Turc et sa patronne, la dirigeante de la guilde, révèlent un chemin tortueux et impitoyable qui les a entraînés, aiguillés par un instinct de survie dans un monde féroce et implacable, à emprunter la voie criminelle. Un chemin dont il est difficile de sortir une fois entamé.
Pour les autres, ceux a contrario que l'on devrait estimer assez vertueux, on découvre par la suite - grâce à des flashbacks - un sombre passé, parfois perclus de fautes inavouables. Une culpabilité qui les ronge.
L'auteur nous plonge au cœur de leur âme. Sans arbitrage, sans préjugés.
Du coup, on est tellement absorbé par les tragédies, les vicissitudes, les sentiments et les doutes des personnages, que le sort incertain de la ville de Marseille passe complètement au second plan.

   Un style net, précis, clair, dépourvu de verbiage, qui permet de rester collé à l'histoire, y être totalement enchaînée. (et plongé dans les geôles du château d'If jusqu'au dénouement ).
Une belle réussite unanimement saluée.




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