mardi 7 août 2018

LES FRERES JACQUES - par Pat Slade





Je suis quelqu’un d’éclectique dans mes goûts comme vous avez pu le constater pour ceux qui suivent mes péripéties en concert ou dans ma vie de tous les jours que je fais quelques fois entrapercevoir dans les lignes de mes chroniques (Mais je ne cherche pas à faire de prosélytisme !), je peux autant me passionner pour le dernier Motörhead que pour le premier enregistrement d’Aristide Bruant tout en passant par Boby LapointeMylène Farmer et des petits jeunes qui montent comme Radio Elvis. Pourquoi cet avant propos me direz vous ?  Parce que depuis un certain temps, j’écris pour de très bons artistes de province et que je me dois de rester sérieux dans mes propos (Mais la tâche ne me rebute pas, bien au contraire !), j’ai donc décidé d’ouvrir une petite parenthèse avec Les Frères Jacques histoire de me dégourdir la cervelle. Sur ce, bonne lecture.




« Frères Jacques, frère Jacques …♫♪»





Ils n’étaient pas frères, du moins pas tous, il y en avait deux vrais : André et Georges Bellec, et deux faux : François Soubeyran et Paul Tourenne et surtout ils ne s’appelaient pas Jacques. 40 ans en justaucorps, collants, gants et chapeaux, une tenue qui sera  leur marque de fabrique et leur pièce d’identité. 

A.Bellec-F.Soubeyran-G.Bellec-P.Tourenne
C’est André Bellec, formé au chant, à la danse et à l’art du mime, qui aura l’idée d’un groupe de chanteurs. Instructeur d’art dramatique pendant la guerre, il décide de poursuivre son aventure artistique avec l’idée de créer un groupe alliant le chant et la comédie. Il entraîne son frère Georges et cherche à recruter d’autres membres. Il propose au futur cinéaste Yves Robert de les rejoindre, mais ce dernier décline l’offre ne se voyant pas chanteur, mais ce dernier va les aider en leurs présentant François Soubeyran, chanteur d’opérette et Paul Tourenne, régisseur d’orchestre.   

Mais pour se trouver un nom, la chose n’est pas aisée. La mode d’après guerre était alors aux groupes de parentés comme les Andrews Sisters, les Marx Brothers etc… Et pourquoi ne pas franciser le tout ? Et comme les quatre hommes ne sont pas du genre sérieux, ils aiment à «Faire le Jacques» (Faire l’imbécile) et qui évoque aussi une chanson enfantine, et ce sera un technicien de studio qui lancera : «Et pourquoi pas frère ?». Mais il leur manque un style musical propre à eux-même et ce sera le cinquième membre du groupe : le pianiste Pierre Philippe, qui va mettre en place leur sonorité si particulière. Il va les faire travailler très dur pour fignoler les morceaux au plus juste. Hormis leur pianiste, ils vont rencontrer Jean-Denis Maclès un décorateur de théâtre qui va créer leurs célèbres costumes : Collants noirs, justaucorps d’une couleur différente pour chacun, les gants blanc et de multiples chapeaux adaptables à chaque chanson. Ce costume très inspiré de la danse sera souvent source de blagues, mais les quatre hommes y resteront fidèles jusqu’à leurs dernier tour de chant en 1982.

Pendant quelques années, ils vont allier théâtre et chant passant les nuits d’une scène à l’autre, d’un cabaret rive-gauche aux planches d’un théâtre. Leur style et leur humour et leurs costumes vont très vite les faire remarquer. Ils connaissent en 1946 leur premier succès intitulé «L’entrecôte». C’est en 1947 qu’ils vont prendre leurs quartier au cabaret de la Rose Rouge et cela pour cinq ans, ils vont multiplier les succès comme «Sérénade de la purée» ou «Nous voulons une petite sœur» chanson de Francis Poulenc que moi-même j’apprendrais à l’école (Ah souvenir !!). Et l’année suivante ils enregistreront leurs premiers 78 tours de 4 titres. Les Frères Jacques ont désormais le vent en poupe et les engagements se multiplient, au théâtre de la renaissance, ils vont jouer dans «La Gaité de l’Escadron» de Courteline et ils seront pendant cinq mois à Bobino dans «Les Pieds Nickelés» mis en scène par Yves Robert. Mais le plus important c’est leur rencontre avec Jacques Canetti l’agent artistique de chez Polydor qui leur fera signer un contrat pour plusieurs enregistrements et il leur proposera le répertoire de Jacques Prévert et de Joseph Kosma. Si l’auteur des feuilles mortes est plutôt septique sur l’interprétation de ses textes par les Frères Jacques, ces derniers ne se sentent pas à la hauteur du défi, et pourtant ce sera un succès, ils obtiendront le Grand Prix du disque avec le titre «L’Inventaire». Le succès croissant va les sortir de Paris et du pays, Les Frères Jacques s’exportent à l’étranger, de l’Amérique du sud au Liban, de la Turquie au Etats-Unis, du Canada au Japon, les Frères Jacques est une vitrine de prestige représentant la France à l’étranger.

L’arrivé du rock et de la mode yéyé ne les déstabiliseront pas. Ils continueront leur petit bonhomme de chemin avec la même constance. Ils fouleront toutes les scènes et même celles du paquebot France. Ils seront honorés du Prix In Honorem de l’Académie Charles-Cros pour l’ensemble de leur œuvre. Le style Frères Jacques restera immuable tout au long de leur carrière, de la chanson traditionnelle au style humoristique, de la poésie à la satire et de la chanson triste à la chanson paillarde, ils auront forgé leurs succès sur de petites bluettes que peu d’artistes auraient osé aborder.             


En 1966  Pierre Philippe le pianiste et cinquième membre du groupe décide de prendre sa retraite après 20 ans de bon et loyaux service, il laissera sa place à Hubert Degex (Qui était le chef d’orchestre des albums en français de Petula Clark).Ils traversent le temps et les modes sans ombrage, ils seront nommés Chevalier des Arts et Lettres. En 1972, un passage dans le très avant-gardiste Théâtre de la Ville leur amène un public plus jeune. Plus ils vieillissent, plus leurs enthousiasmes séduit les jeunes générations. En 1976, ils fêtent leurs 7.000 récitals au Théâtre Antoine, mais ils ne se reposeront pas sur leurs lauriers pour autant, ils continueront les tournées à l’étranger et surtout en Afrique (Pas moins de 13 pays les ont découverts) ou leurs succès est immense.

Le «Récital d’adieu» débutera en 1979, le spectacle tournera deux ans en France et dans les pays environnants. Leur ultime concert a lieu début 1983 au Théâtre de Boulogne-Billancourt. Ils laissent une discographie longue comme le bras, plus de 400 chansons, des prestations devant Charlie Chaplin et la reine d’Angleterre, ils ont même partagé la scène avec Edith Piaf et Brigitte Bardot. Ils aligneront en 36 années de carrière et auront apporté les lettres de noblesse à la confrérie des fantaisistes de cabaret. Les Frères Jacques vont s’éteindre un à un, le dernier sera Paul Tourenne en 2016.


Une Page et une image se tournait, mais elle aura permis de montrer au monde que la chanson française sait se diversifier dans les styles les plus improbables tout en ayant une image humoristique et rétro et ça les Frères Jacques l’avaient compris.




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