LE MONDE EST A TOI de Romain Gavras (2018) par Luc B.

Romain Gavras, héritier des croisières Costa**, a dû mater 150 fois le SCARFACE de Brian de Palma. Dans lequel on voit cette image de ballon dirigeable avec l’inscription : « this world is yours » que regarde de son balcon Al Pacino. « Le monde est à toi », donc…

François, dealer, cherche à sortir de ces histoires de trafic, son projet est de devenir le distributeur de glaces Mister Freeze au Maroc. Il a besoin d’une mise de 40 000 euros : ses économies, que lui garde sa mère. Sauf que la mère, Danny, kleptomane, détrousseuse de coffres forts et grande joueuse de poker, a tout misé et tout perdu. François accepte un dernier contrat, pour le caïd Poutine, un go fast depuis l’Espagne. Il embarque avec lui son beau-père Henry, la jeune Lamya et deux gugusses bas du front et fumeurs de shit, Mohamed 1 et Mohamed 2.

Le plan ne se passe pas comme prévu…

LE MONDE EST A TOI est à la croisée de la comédie, du film de gangster, du film de banlieue (désormais un genre à part entière). Romain Gavras a beaucoup regardé De Palma, Scorsese (travelling ras du sol, contre plongées) mais aussi Guy Ritchie ou Danny Boyle, et Tarantino. Côté BO, là où les américains utilisent les Stones, Bobby Womack ou Chuck Berry, Romain Gavras envoie du Sardou (dès le générique, ça fait mal…) Balavoine ou Voulzy. Second degré, ou beaufitude assumée ? Comme dans cette scène où Poutine, totalement déchiré, écoute « J’ai le cœur grenadine » ému jusqu’aux larmes.

Car Poutine, caïd ultra-violent, est aussi un cœur d’artichaut, lunatique, personnage amusant, mais qui aurait gagné à être mieux écrit. Comme les autres, on reste en surface, sans vraiment creuser. Mis à part François, (excellent Karim Leklou, que je découvre) qui détonne par son calme, sa patience, son refus de la violence, qui croit encore aux neurones et aux belles paroles.

Sa mère Danny est timbrée. Isabelle Adjani en fait une harpie haute en couleurs, arnaqueuse aux Galeries Lafayette, planquée sous un niqab ! Elle excelle dans le rôle, apporte ce grain de folie que la mise en scène manque à insuffler. Monstrueuse comme une mama italien chez Etore Scola, aussi incontrôlable que son ex-mari Henry est apathique, amorphe. Et pas très malin, comme dans la scène où il doit jouer un faux-flic, sans réellement comprendre si c’est un vrai qui joue au faux, ou un faux qui joue au vrai… On retrouve un peu le motif du DINER DE CONS, « ah bon, il n’a pas de prénom ?! ». C’est Vincent Cassel qui s’y colle, assez drôle quand il se fait embobiner par les deux complotistes Mohamed 1 et 2, qui lui inculquent la crainte des Illuminati !

On rajoute des seconds rôles plutôt rigolos, François Damiens en caïd qui a réussi, et emploie des migrants comme personnel de maison, payés 2€ « parce qu’en plus ça rend service, c’est valorisant », ou Philippe Katerine en avocat marron et adepte de la langue de Cervantès.

Le problème, c’est que ces personnages s’inscrivent dans une intrigue qui surprend peu. Je t’arnaque, tu m’arnaques, on s'arnaque. Du déjà vu, et en mieux ! Si Romain Gavras réalise de bonnes prises de vues (barres d’immeubles, bétonnage du littoral espagnol) valorise les cadres larges, son inspiration vient surtout du clip (il est surtout un réalisateur de clips de rap, de pub, et l’esthétique qui va avec), avec ces mecs en survêt avachis sur des capots d'Audi, yo man... Une bonne idée : le fauteuil de Poutine, réplique de celui de Pacino, mais ici décoré à l’effigie PSG Fly Emirates… Si certains parlent de Tarantino à la française, je leur rappelle que QT est célèbre pour ses dialogues ciselés et malins, quand chez Gavras on nage dans les « Va niquer ta mère, j’t’encule ta race ».        

Le film est amusant sans vraiment être drôle. Rythmé sans vraiment être passionnant. On ne comprend pas toujours les actions de personnages, comme Lamya, dont les décisions déconcertent. LE MONDE EST A TOI détonne dans l’univers de Danny Boon ou Christian Clavier, certes, mais ça fait un peu pshitt à l’arrivée. Malgré des citations contemporaines (messagerie Périscope, terrorisme, burkini, migrants, fake news…) Romain Gavras ne réussit pas franchement à renouveler les genres qu’il aborde. Mais ça marchera sur M6 ou TF1 dans un an et demi…

**pardon... fils du réalisateur Costa Gavras !

couleur  -  1h40  -  scope