samedi 28 juillet 2018

MOZART – Adagio et Fugue en Ut mineur K 546 – Otto KLEMPERER vs ENGLISH CONCERT – par Claude Toon



Andrew Manze
La musique de Mozart est en général joyeuse et empreinte de lyrisme. La gravité mystique de cette courte pièce reste un mystère ! Pourquoi et pour qui a-t-elle été écrite ?
L'extatisme et le grandiose se côtoient. Une musique aux antipodes des vivifiantes mélodies des ouvertures comme celle des Noces de Figaro ou encore de la vitalité des symphonies ou des divertimentos. Certes dans les derniers concertos pour piano et notamment dans les mouvements lents centraux, on discerne un Mozart à l'âme plus tourmentée qu'à l'accoutumée, comme si le compositeur cherchait à exorciser des angoisses que ses commanditaires ne souhaitaient pas entendre dans les œuvres commandées pour des concerts festifs, mais là même Bruckner semblera avoir connu un certain épicurisme face à la noirceur énigmatique de ce K 546.
Il transparaît à l'écoute, surtout dans l'interprétation olympienne d'Otto Klemperer, une religiosité quasi sulpicienne. Climat pour le moins surprenant chez Mozart, guère porté sur la religion et les ors du Vatican, et franc-maçon de surcroit ! Et chose encore plus curieuse, dans l'interprétation plus enflammée sur instruments d'époque et avec des tempi très allants de l'English Concert dirigé par Andrew Manze, cette spiritualité qui rappelle Bach (dans la fugue) reste bien présente… J'ai souhaité opposer ces deux visions pour montrer que, non, Klemperer ne se laisse pas aller dans des dérives majestueuses et métaphysique qu'il affectionnait, soi-disant.
Il s'agit d'une transcription pour cordes de la fugue K 426 pour deux pianos. Mozart a ajouté l'adagio lors de ce travail.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Clocher de l'église de Domburg (Piet Mondrian)
L'adagio et fugue fait partie de ces compositions d'une simplicité désarmante qui vous prennent à bras le corps dès les premières mesures, et cela sans raison bien rationnelle. Je me rappelle que, lors d'un concert donné dans les années 70 dans la cathédrale de Chartres par la philharmonie de New-York, Pierre Boulez avait ajouté cette œuvre avant l'exécution de l'immense 9ème symphonie de Mahler, ultime chant de mort sarcastique et tragique du compositeur viennois qui se savait perdu. Rapprochement intéressant tant pathétisme et force cosmique semblent traverser les deux œuvres… Sous les voutes de l'immense nef, bon Dieu (si je puis me permettre), ça glaçait le sang.
1788 : Mozart commence la descente aux enfers que seront les dernières années de sa vie (il mourra en 1791). L'incompréhension vis-à-vis de l'évolution de son art, la perte d'un enfant, la maladie Cependant il continue de travailler et s'intéresse depuis un certain temps au contrepoint que Bach avait exploré jusque dans ses plus subtils raffinements dans l'Art de la Fugue. Mozart commence par des transcriptions pour cordes de fugues écrites par le Cantor puis poursuit en composant des petites pièces pour piano. Il va s'enhardir, et on trouvera des passages fugués comme la conclusion de la symphonie "Jupiter" ou encore dans la Grande Messe en Ut, une rare contribution inachevée mais d'importance à la musique religieuse, avec le Requiem. En ut mineur, tonalité austère, Mozart offre une synthèse de sa maîtrise qui n'a rien à envier à Bach. Noté allegro, cette fugue ne cesse de se déployer vers une forme de transcendance abrupte… Le manuscrit autographe de la fugue existe, ce qui n'est pas le cas de l'adagio : une introduction étrange par sa solennité qui fait exception dans le style dynamique et exempt de pompe caractéristique chez le compositeur.

J'entends déjà des vacheries comme "Marmoréen" ou encore "gras et emphatique" à propos de la gravure d'Otto Klemperer avec un groupe imposant de cordes du Philharmonia. Le rigoureux et dictatorial chef allemand, héritier du postromantique germanique, construit une cathédrale sonore digne de celle (en pierre) de Cologne. Un Mozart en majesté ! Et pourquoi pas, en cette époque où l'on ne considère plus Mozart autrement que joué à l'authentique sur des instruments d'époque et des effectifs réduits (souvent avec bonheur bien heureusement) ? Mais Mozart, tout comme Bach et Beethoven composaient pour l'éternité et donc pour diverses options orchestrales, sous réserve que l'esprit soit présent. La hauteur de vue mystique du chef est écrasante, invite à l'humilité, et quelle exigence dans la mise en place et la lisibilité des voix de la fugue qui s'entremêlent sans jamais fusionner de manière brouillonne.

On peut ne plus aimer ce style granitique et monumental. D'où une seconde vidéo ; un jeu très alerte peut-être plus conforme à ce qui est prévu à l'origine par la transcription pour un quatuor. Une vision  à l'opposé de celle de Klemperer et qui propose une interprétation incisive, très articulée et trépidante de l'English Concert sous la direction du violoniste spécialiste du baroque Andrew Manze. Aucune ferveur monastique, mais une vivante intériorité.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire