Andrew Manze |
L'extatisme
et le grandiose se côtoient. Une musique aux antipodes des vivifiantes mélodies
des ouvertures comme celle des Noces de Figaro
ou encore de la vitalité des symphonies
ou des divertimentos. Certes dans
les derniers concertos pour piano et notamment
dans les mouvements lents centraux, on discerne un Mozart
à l'âme plus tourmentée qu'à l'accoutumée, comme si le compositeur cherchait à
exorciser des angoisses que ses commanditaires ne souhaitaient pas entendre
dans les œuvres commandées pour des concerts festifs, mais là même Bruckner semblera avoir connu un certain
épicurisme face à la noirceur énigmatique de ce K 546.
Il
transparaît à l'écoute, surtout dans l'interprétation olympienne d'Otto Klemperer, une religiosité quasi
sulpicienne. Climat pour le moins surprenant chez Mozart,
guère porté sur la religion et les ors du Vatican, et franc-maçon de surcroit !
Et chose encore plus curieuse, dans l'interprétation plus enflammée sur
instruments d'époque et avec des tempi très allants de l'English
Concert dirigé par Andrew Manze,
cette spiritualité qui rappelle Bach
(dans la fugue) reste bien présente… J'ai souhaité opposer ces deux visions
pour montrer que, non, Klemperer
ne se laisse pas aller dans des dérives majestueuses et métaphysique qu'il
affectionnait, soi-disant.
Il s'agit d'une
transcription pour cordes de la fugue K 426
pour deux pianos. Mozart a ajouté l'adagio
lors de ce travail.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Clocher de l'église de Domburg (Piet Mondrian) |
L'adagio et fugue fait partie de ces compositions d'une
simplicité désarmante qui vous prennent à bras le corps dès les premières
mesures, et cela sans raison bien rationnelle. Je me rappelle que, lors d'un
concert donné dans les années 70 dans la cathédrale de Chartres par la philharmonie de New-York, Pierre Boulez avait ajouté cette œuvre
avant l'exécution de l'immense 9ème
symphonie de Mahler,
ultime chant de mort sarcastique et tragique du compositeur viennois qui
se savait perdu. Rapprochement intéressant tant pathétisme et force cosmique semblent traverser les deux œuvres… Sous les voutes de l'immense nef,
bon Dieu (si je puis me permettre), ça glaçait le sang.
1788 : Mozart
commence la descente aux enfers que seront les dernières années de sa vie (il
mourra en 1791). L'incompréhension vis-à-vis
de l'évolution de son art, la perte d'un enfant, la maladie… Cependant il
continue de travailler et s'intéresse depuis un certain temps au contrepoint que
Bach avait exploré jusque dans ses plus
subtils raffinements dans l'Art de la Fugue.
Mozart commence par des transcriptions
pour cordes de fugues écrites par le Cantor puis poursuit en composant des
petites pièces pour piano. Il va s'enhardir, et on trouvera des passages fugués
comme la conclusion de la symphonie
"Jupiter" ou encore dans
la Grande Messe en Ut, une rare contribution inachevée
mais d'importance à la musique religieuse, avec le Requiem.
En ut mineur, tonalité austère, Mozart
offre une synthèse de sa maîtrise qui n'a rien à envier à Bach.
Noté allegro, cette fugue ne cesse de se déployer vers une forme de
transcendance abrupte… Le manuscrit autographe de la fugue existe, ce qui n'est
pas le cas de l'adagio : une introduction étrange par sa solennité qui fait
exception dans le style dynamique et exempt de pompe caractéristique chez le compositeur.
J'entends
déjà des vacheries comme "Marmoréen"
ou encore "gras et emphatique"
à propos de la gravure d'Otto Klemperer avec
un groupe imposant de cordes du Philharmonia.
Le rigoureux et dictatorial chef allemand, héritier du postromantique
germanique, construit une cathédrale sonore digne de celle (en pierre) de
Cologne. Un Mozart en majesté ! Et
pourquoi pas, en cette époque où l'on ne considère plus Mozart
autrement que joué à l'authentique sur des instruments d'époque et des
effectifs réduits (souvent avec bonheur bien heureusement) ? Mais Mozart, tout comme Bach
et Beethoven composaient pour l'éternité et
donc pour diverses options orchestrales, sous réserve que l'esprit soit présent.
La hauteur de vue mystique du chef est écrasante, invite à l'humilité, et
quelle exigence dans la mise en place et la lisibilité des voix de la fugue qui
s'entremêlent sans jamais fusionner de manière brouillonne.
On peut ne plus aimer ce style granitique et monumental. D'où une seconde vidéo
; un jeu très alerte peut-être plus conforme à ce qui est prévu à l'origine par
la transcription pour un quatuor. Une vision à l'opposé de celle de Klemperer
et qui propose une interprétation incisive, très articulée et trépidante de l'English Concert sous la direction du
violoniste spécialiste du baroque Andrew Manze. Aucune ferveur monastique, mais une vivante intériorité.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire