mercredi 20 juin 2018

The DARKNESS "Pinewood Smile" (octobre 2017), by Bruno


       Est-ce que The Darkness serait un groupe incompris ? Possible. Notamment parce que l'humour, le second degré du groupe, et plus particulièrement celui de Justin Hawkins, n'est pas apprécié, ou tout simplement pas compris. Il y a aussi cette antique manie de la presse (Anglaise ?) de ne pas admettre que les groupes et artistes relevant de l'imposante sphère du Heavy-rock puisse pratiquer l'ironie ou la dérision.
 Pour mémoire, Queen a longtemps subi les railleries des critiques soit-disant spécialisés. Si aujourd'hui, cette formation est devenue - à juste titre - culte, vénérée même pour beaucoup, elle fut pourtant copieusement vilipendée pendant presque une décennie. Particulièrement par ses compatriotes. Cela bien que les concerts aient été systématiquement complets. Dans une moindre mesure, Slade fit aussi les frais d'une presse assassine.
       The Darkness fait partie du lot, et la mention des deux grands groupes Anglais n'est pas innocente dans le sens où le groupe des frères Hawkins leur doit beaucoup.


       Certes, les chevilles et la tête de Justin avaient un temps largement enflées. L'alcool abaissant définitivement les barrières tempérant l'ego. Les mauvais conseils d'un management cupide n'avait aidé en rien. Après un départ fulgurant avec un premier album inégal mais poussé par quelques imparables joyaux de Heavy-rock, et bonifié par l'incontournable slow-qui-tue-que-même-les-filles-qui-n'aiment-pas-le-harderoque-tombent-en-pâmoison, la troupe s'était fourvoyé avec un second opus, "One Way Ticket to Hell ... and Back", sur-produit. En dépit du titre, ils eurent bien du mal à en revenir ...



- "Quand tu joues la musique de Satan, tu dois en subir les conséquences !!" Luc, psaume 2 de la chronique 665 (censuré par le comité).
Le succès fut - relativement - rapide mais le déclin particulièrement foudroyant. Ce fut l'abîme.
- "Voilà ! Sentence ! C'est la Sentence ! Cette musique des forces obscures ouvre la porte à des entités de basses dimensions qui profitent du pouvoir hypnotique de ces vibrations négatives pour prendre possession des âmes incrédules. L'alcool et les substances chimiques sont des créations d'entités maléfiques ..." Luc, psaume 2,4, chronique 665 (censuré par le comité).

Justin Hawkins est contraint d'entamer prestement une cure de désintoxication pour préserver sa santé déclinante. Toujours affaibli après son traitement, il quitte le groupe.
- "C'est le maaalll !! C'est la preuve qu'il a été possédé par le mal"
- "Mais crénom ! Il a grillé un fusible ! S'il-vous-plait ? On peut le sortir un instant ... le temps qu'il reprenne ses esprits."
- "Boïng !!!" - 😇 "C'est fait"
- "Merci... euh ... j'avais demandé de le sortir, pas de l'assommer ...  j'espère qu'il vit toujours ? Hein ? Il bouge plus ... Bon, on reprend"

       Devant la difficulté de remplacer un chanteur doublé d'un authentique showman de cette stature, les membres restant sur le carreau sont contraint de continuer sous un nouveau patronyme, Stone Gods. Et The Darkness entame une longue descente vers l'oubli. Jusqu'à un jour de mars 2011 où l'Angleterre les retrouve sur scène, en pleine possession de leurs moyens, revitalisés, enchaînant des tournées qui les mènent jusqu'au Japon. Enfin, en 2012, un nouvel album, "Hot Cakes", fait son apparition. On frôle l'excellence. Le groupe est vraiment régénéré. Un retour réussi haut-la-main et c'est sans contexte l'un des meilleurs disques de Heavy-rock de l'année.

       Le dernier opus en date, s'il ne parvient pas à égaler "Hot Cakes", est également digne d'intérêt.
Bon, okay, la présentation du livret est dégueulasse. Faut être con, ou orgueilleux, ou complètement barré pour accepter une telle présentation. Enfin, il y a hélas bien pire, et dans le genre mauvais goût, le petit monde des harderoqueurs n'est pas avare en la matière ; surtout depuis ces drôles d'années 80 où la barre a été placée très haut. Il faut probablement la prendre dans un esprit "Zappa-family". Il manque la brosse à dents ou le tube de dentifrice. La précédente pochette, celle de "Last of Our Kind", n'est guère mieux. Enfin, une fois plongé dans ce "Pinewood Smile", quelques bonnes surprises surgissent. Pas immédiatement, car les premières écoutes peuvent se révéler décevantes et déroutantes. Quelques écoutes peuvent donc s'avérer nécessaires pour apprécier cette pièce à sa juste valeur, et se laisser happer par l'univers délirant et déluré de The Darkness.

     La troupe a - dans les grandes lignes - réussi là ce qu'elle avait foiré sur "One Way Ticket to Hell ... and Back". A savoir, ressusciter l'esprit de Queen sans tomber dans la caricature, et surtout en parvenant à fusionner avec les influences de Thin Lizzy, d'AC/DC, d'Aerosmith ainsi que du Glam-rock anglais des 70's. De ce courant, plutôt que les paillettes (glitter) c'est plutôt l'art du refrain accrocheur doublé du second degré qui est cultivé. On pense à T. Rex et à Slade.

En aparté, les membres n'ont jamais caché leurs influences. Au contraire, ils les revendiquent haut et fort, invitant même les profanes  à s'y pencher sérieusement. Dan s'affiche souvent avec des tee-shirts Thin-Lizzy et le frérot, lui, n'y va pas par quatre chemins en affichant carrément les quatre têtes des membres de Queen (inspirées de la pochette de "Hot Space" ) tatouées sur ses phalanges.
C'est une forme de synthèse qui parvient à se jouer des codes tout en restant respectueux des groupes qui les ont inspirés. Les musiciens n'hésitent pas à cultiver des clichés musicaux inhérents au genre, à les utiliser à bon escient, sans jamais se compromettre dans la caricature. C'est un exercice d'équilibriste qui accomplit des figures périlleuses sur un filin d'acier séparant l'ironie de la plus sérieuse des révérences.
Poncifs ou stéréotypes musicaux donc mais aussi scéniques tels que les postures de guitar-hero et de chanteur macho.
C'est évident. Les frères Hawkins connaissent toutes les ficelles du Cock-rock, du Rock bravache, et du Heavy-rock en général, et ils les exploitent sans retenue. Cependant, c'est fait avec discernement et toujours à propos. Ils ont l'art pour composer une musique décalée avec un matériel généralement des plus sérieux. Cela avec un aplomb, un timing, une mise en place quasi parfaite, qui les sauvent du pastiche ringard.
Même dans leurs clips, et cela dès les premiers, ils n'ont aucun a priori à se moquer d'eux même, ainsi que des clichés érodés des musiciens de Hard-rock prétentieux ou idiots.

     "Pinewood Smile" a réussi à redresser la barre ; ce qu'un "Last Of Your Kind" n'était pas parvenu à faire, en dépit de quelques instants de bravoure. 

     La troupe attaque très fort avec un "All The Party Girls" vindicatif, lorgnant vers le Heavy-Metal. Sur une basse lourde jouant un riff offensif et sur laquelle se greffe une guitare abrasive, Justin n'a aucun complexe à jouer à la diva. Son chant lyrique tranche avec la musique foncièrement dure. C'est une charge héroïque de guerriers scintillants et pailletés sortis d'une vision éculée d'Hollywood. "Buccaneers of Hispania" est un "sea-movie", la musique et le chant créant un décor donnant vie aux paroles. C'est un galion toutes voiles dehors, fendant mers sombres et profondes et tempêtes à la poursuite de navires à piller ; des boucaniers sans-peurs, le sabre à la main, le coutelas entre les dents, prêts et impatients à faire couler le sang. La musique de ce titre est une forme de Latino-kitsch Heavy-rock découpée par un refrain ("We are the Buccaneers of Hispania, Buccaneers of Hispania" ... oui, c'est très concis ...) en forme de sanglant abordage sonique. Paradoxalement, c'est sur cette partie particulièrement agressive que ressort l'influence évidente de Queen. Ou plutôt dans ce cas, celle de Brian May, dans ce qu'il a réalisé de plus Heavy.
"Southern Trains" représente la dernière et la plus proche salve taquinant le Heavy-Metal. Une pièce qui fait fort en matière d'injures et de vulgarité. "En essayant de dîner avec un cul dans le visage !" (super Justin)


     Avec "Solid Gold" on retrouve le Darkness imparable, celui du maître du riff imparable et du refrain fédérateur. Héritier des AC/DC, Queen, Thin Lizzy, Bad Company. Et justement, au sujet de l'art du riff, Dan Hawkins a parfois été évoqué comme l'un des meilleurs rythmiciens du Royaume-Uni. Les revues d'instruments à cordes (électriques) s'accordent pour souligner la perfection de sa mise-en-place, de son timing. 

Certains évoqueront un titre commercial en raison de son évidence, du fait que ça sonne déjà comme un classique. Cependant, sous son couvert de chanson mainstream, c'est une chanson provocatrice traitant avec ironie de l'arrogance, de la prétention, de la vanité et de la fatuité que peuvent engendrer le succès. "Solid Gold" est le délire d'un groupe à succès, certain de son talent et convaincu de pondre à jamais de l'or massif avec ses chansons. "Nous sommes Immortels parce que nos chansons ne mourront jamais. Et nous n'arrêterons jamais de sortir de l'or massif. Et nous n'arrêterons jamais de déféquer de l'or massif" - "Il y a un A.R. de chez Sony, s'il aime ce qu'il entend dans ses oreilles stupides, je m'offrirais une voiture plus rapide ... il cherche à nous faire boire et manger, désespéré de ne pas nous signer"
Dans la continuité de ce style carré et évident, d'un Rock-arena apte à faire scander les foules, "Rack of Glam"et "Rock in Space" sont également en bonne place. Ce dernier véritable B.O. de blockbuster de Space-opera ou de comics portés à l'écran.

     Comme tout bon groupe de Heavy/Classic-rock qui se respecte, les ballades sont une des composantes indissociables du répertoire. Généralement minoritaires, elles n'en sont que plus appréciables, le groupe concentrant toute sa sensibilité et ses rêveries. C'est le cas "Why Don't The Beautiful Cry ?", superbe ballade mélancolique, légèrement Soulful, une ode aux pleurs de la gent féminine ou plutôt, une grande interrogation existentielle : mais pourquoi est-ce-que lorsque les femmes pleurent, ce n'est jamais aussi beau qu'au cinéma ? ... ? Le pire c'est que c'est chanté et joué avec le plus grand des sérieux. Autre ballade sentimentale "Seagulls (Losing my Virginity)" dont le titre ne laisse aucun doute sur le sujet. Les maladresses et le romantisme naïf des premiers ébats. Tandis que "Happiness" se joue - on se moque - des stupides chansons d'ado. "Stampede of Love" va même plus loin ; c'est même limite méchant. "You walked in and the ground shook. I can't believe how much food you took ... to the naked eye you're a perfect sphere ; stomach balding out to here. I don't know if my heart can last. I ain't ever had a love this vast ... Feeding time, prepare for the stampede of love". Guère sympathique, mais de son côté Justin est un échalas. Néanmoins, le contraste entre le sujet déluré et le sérieux et la justesse de l'orchestration - avec quatre mouvements distinctifs : d'abord acoustique et printanier, puis country, du gros Hard-rock pour le break, retour sur printemps et papillons, puis coda en agression punk - est saisissant. 
Et dans le genre paroles tordues "Japanese Prisoner of Love", mené tambour battant, n'est pas en reste. Bien que ce dernier traite de l'incarcération arbitraire. "The 7th circle of hell, right here in my cell. Did you forget you're a prisoner, as well ? Sensual déprivations, human rights voliations ... I used to sit on a toilet with a seat ..." ; "solitarily confined, taken by force from behind by a surly white supermacist in the shower" (sic !)

de G à D : Justin Hawkins, Frankie Poullain, Dan Hawkins et Rufus T. Taylor et 

     Au milieu de cette profusion de riffs cinglants, de soli assassins, de basse volubile, de chants polymorphes, on remarque un excellent jeu de batterie, alerte et énergique, bien plus riche que précédemment. 

En effet, la jeune Emily Dolan Davies ne fait plus partie de la bande. Si elle n'était pas la meilleure batteuse du Royaume-Uni (un brin raide), elle apportait charme et glamour à un groupe à qui l'on a souvent reproché de pécher par excès de machisme. Dorénavant c'est Rufus Tiger Taylor qui a pris la relève. Et pas qu'un peu, puisqu'il s'est investi dans la composition et qu'en plus des chœurs - partie primordiale de l'identité groupe - il est capable de chanter à l'occasion quelques versets. 
Rufus Tiger n'est autre que le fiston de Roger Taylor (le batteur de Queen) ... Logique.
Pour revenir en deux mots à l'investissement dans l'écriture, c'est la première fois depuis le premier disque que toutes les chansons sont signées par les quatre membres de la troupe. Ce qui explique la richesse de ce dernier opus.

     Finalement, The Darkness est aussi un groupe qui aime prendre quelques risques. En ne craignant pas l'auto-dérision et en n'ayant aucun a priori pour écrire des paroles que l'on pourrait considérer comme inappropriées ou impropres au genre. De même que quelques incursions musicales à faire grincer des dents les plus intransigeants.
L'humour et la dérision n'empêchent aucunement de produire un Heavy-rock d'excellente qualité.

No.Titre
1."All the Pretty Girls"3:18
2."Buccaneers of Hispaniola"3:06
3."Solid Gold"4:32
4."Southern Trains"2:52
5."Why Don't the Beautiful Cry?"3:36
6."Japanese Prisoner of Love"4:19
7."Lay Down with Me, Barbara"4:05
8."I Wish I Was in Heaven"3:21
9."Happiness"3:13
10."Stampede of Love"3:54
Total 36:16



🎶♩🚀🚃🎸

🚑vroum vroum

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