Sortons des sentiers battus pour
aller à la rencontre de la vraie chanson, à des années lumières de Christophe
Maé et autre Tal. Francesca Solleville, une des doyennes de la chanson
rive-gauche, 86 printemps et toujours dans les bacs !
Du lyrique à la chanson
Combien
d’artistes, féminines de surcroît, peuvent se vanter d’avoir eu une longue et
prolifique carrière tout en restant en marge du système du show business ?
Nous pouvons les compter sur presque les doigts des deux mains : Colette Magny, Germaine Montero,
Monique Morelli, Pia
Colombo, Catherine Sauvage, Cora Vaucaire, Catherine
Ribeiro, Anne Sylvestre, Juliette Greco ou même Isabelle
Aubret (pile-poil les deux
mains !), toutes ces artistes de la chanson réaliste ou engagée ont
laissé une trace dans notre patrimoine culturel.
Et Francesca
Solleville fait partie de ces grandes dames qui vont rester sur le
bas-côté hormis chez un certain public bien ciblé. Cette périgourdine née d’un
père gascon et d’une mère italienne se passionne pour la littérature française
tout en apprenant le chant lyrique. Elle monte sur Paris suivre des études de
lettres à la Sorbonne et elle obtient une licence tout en suivant des cours de
chants auprès de la cantatrice Marya Freud. Elle
est engagée dans les chœurs de Radio France. A partir de 1958, elle abandonne cette voie pour chanter ses auteurs préférés dans
les cabarets Rive-Gauche, très influencée par Germaine
Montero. Léo Ferré va aussi la pousser à
continuer et Jacques Douai, celui qui était surnommé
«Le troubadour des temps modernes», (du
fait d’avoir repris beaucoup de chansons médiévales et de folklore français
ancien) va la guider jusqu’à la maison de disque : Boîte à Musique. En 1959
sort son premier 45 tour «Francesca Solleville chante Aragon et Mac Orlan»,
et déjà elle se démarque par ses goûts pour les poètes et les auteurs engagés.
Elle chante dans de nombreux cabarets comme à l’Écluse avec Barbara ou à la Contrescarpe où Elsa Triolet et Louis Aragon
viendront l’écouter chanter. Son premier album sort en 1962 et est intitulé «Récital n°1» Elle y chante les poètes comme Paul Fort, Baudelaire, Aragon et Jean Ferrat.
Elle recevra le Grand Prix de l’Académie Charles-Cros pour son deuxième album «Récital n°2».
La chanson engagée sera une grande partie de son cheval de bataille, contre le
nazisme («L’Affiche
Rouge»), le franquisme («Je n’irais pas en Espagne»), la guerre du
Vietnam avec un album «Poèmes
Vietnamiens chantés par Francesca Solleville», elle soutient aussi
la cause ouvrière, la cause des noires en Amérique «200 mètres (Mexico 68)», «Complainte pour
Angela Davis» et le Chili «Camarade Chili», «Chanson pour Victor Jara». Elle
fera aussi un album en duo avec Mouloudji dans lequel ils
reprennent des textes d’Aristide Bruant. En 1989, le bicentenaire de la révolution
sera pour elle un passage obligé pour enregistrer «Musique, citoyennes !» ou
apparaissent des morceaux comme «La Carmagnole», «Hymne des Montagnards aux Jacobins (la Marseillaise)» ou
«Hymne sur l’abolition de l’esclavage»,
20 titres très appuyés sur la révolution de 1789.
Les albums s’enchainent les
uns derrière les autres (24 albums studio et 2 en public) et elle est
toujours le chaînon artistique entre beaucoup de poètes, d’Aragon à Ferré. Elle
est à elle seule plusieurs pages essentielles de l’histoire de la chanson. A partir
de 1994, les enregistrements vont s’espacer,
avec 7 albums et toujours sur les planches, elle arrive à faire bouillir la
marmite. Mais même si elle a levé un peu le pied, en 2017, elle enregistre «Dolce Vita».
14 titres avec des textes de Michel Bühler, Allain Leprest, Yvan Dautin,
Aimé Césaire, Bernard
Dimey, des noms qui ne diront pas grand-chose à la jeune génération des
geeks et des lecteurs de mangas. La voix de la blonde a évidemment changé avec
le temps, mais elle est juste et l’émotion dans sa narration est toujours
présente. Ne cherchez pas de guitares et de batteries, ici nous sommes aux antipodes
du Rock’n’roll, l’accordéon, le piano et le violon sont les instruments
d'accompagnements, idéal pour porter les textes et la voix de Francesca
Solleville.
Imaginez l’ambiance feutrée d’un cabaret de Saint-Germain
des Prés et écouter des titres comme «La page
Blanche» ou «La Dame Cendrillon»
L’histoire d’une SDF. Des textes toujours aussi engagés «Vous êtes marrants les riches» déclamés à la
manière de Boby Lapointe, ou dramatique «Le mur Méditerranée» où s’échouent les corps
sans vie des réfugiés. Ce disque est plus qu’un disque, c’est un démenti, Francesca
Solleville
est toujours là et elle chante toujours, soit avec tendresse, soit avec le
poing levé. Une pochette où elle est photographiée devant la fontaine de Trévi à
Rome immortalisée par Fellini dans «La Dolce Vita». Un album en forme d’autobiographie
comme avec «J’en veux», inventaire de
vie et colère contre celui d’en haut dans sa tour d’ivoire : «Mais
là-haut dans ta tour d'ivoire / Comme toujours tu n'veux rien savoir / Entre
nous j'vais t'faire un aveu / J't'en veux, j't'en veux / Oui, j't'en veux».
Christian Pacoud (Auteur-compositeur-interprète) dira d’elle :
«elle est le
point sur le i d’humanité», je rajouterais même le poing !
Elle n’aime pas que l’on dise qu’elle est une grande dame de la chanson
française, elle est une grande dame tout simplement qui partage sa générosité
avec son public qui ne lui a jamais fait défaut malgré les années qui passent.
L’ayant vu sur scène (Fête de l’Humanité)
il ya bien longtemps, je peux dire que Francesca Solleville symbolise un engagement
artistique que peu d’artistes atteindront au cours de leurs carrières, jamais
elle ne déposera les armes. Et pourquoi des auteurs lui offrent des textes ?
Écoutez la chanter, écoutez «Dolce Vita» et vous comprendrez.
«Francesca,
toute droite, chante, j’allais dire fonce, et son chant devient évidence, comme
une part d’elle-même et des autres à laquelle on ne peut échapper»
Jean Ferrat
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