Il
y a tellement de guitaristes que l'on site si souvent en tant que précurseurs éclairés, et/ou en tant qu'incontournables influents, alors que Lonnie Mack reste dans l'ombre, sous-estimé, voire même occulté.
Pourtant,
dans les années 80, il y avait bien un jeune gars du Texas qui ne
cessait de revendiquer son influence et l'importance de son apport.
Il reprenait sur scène son titre le plus célèbre, un instrumental
que beaucoup croyait de sa main tant il paraissait alors novateur
alors qu'il datait de 1963. Il s'était même personnellement impliqué dans le retour discographique de ce musicien qui avait
quitté la scène pendant de longues années, dépité par l'industrie musicale. Il s'agissait bien
évidemment de Stevie Ray Vaughan. Ce dernier proclamait même que Lonnie était le meilleur joueur de vibrato.
Lonnie « Mack » McIntosh, quatrième d'une famille de cinq enfants, vit le jour le 18 juillet 1941, dans une région particulièrement rurale de l'Indiana. Les McIntosh, originaires des reliefs escarpés du Kentucky où ils travaillaient dans les mines de charbon, avaient dû, suite à leur fermeture, émigrer dans l'Indiana pour se reconvertir en tant que métayers. Ces "sang-mêlés" d’Écossais et d'Amérindiens sont musiciens et jouent du Bluesgrass et chantent le Gospel. Un bon moyen pour aider à supporter le dur labeur quotidien. Madame McIntosh pratique la guitare et monsieur le banjo. Très tôt, ses parents l'initient à la musique, et lui enseignent ses premiers accords dès l'âge de cinq ans. Lonnie apprend rapidement la technique de finger-picking (qu'il a perfectionné auprès d'un guitariste aveugle) et débute par la Country. Poussé par un conflit incessant avec un professeur qui l'aurait surnommé "Mule", il quitte le cursus scolaire dès ses douze ans - ou treize suivant les biographies -, et commence à jouer dans la rue, puis dans les clubs de Cincinnati, puis des alentours. Il finit pas rayonner régulièrement du Nord Kentucky au Sud l'Indiana et de l'Ohio. Ainsi, avant sa majorité, il parvient à vivre de sa musique. Cependant, il doit parfois se produire tous les jours de la semaine ; parfois même à deux reprises dans la même journée.
Riche de quelques pécules, il recherche une nouvelle guitare pouvant non seulement répondre à ses attentes mais aussi pouvant se démarquer des modèles Fender et Gibson en vogue. Finalement, c'est le patron d'un magasin d'instruments de musique de Cincinnati qui parle d'un prototype qu'il a vu lors de sa visite à l'usine Gibson, à Kalamazoo. Lonnie Mack intéressé passe commande et en 1958, à dix-sept ans, il devient l'heureux propriétaire d'une des premières Gibson Flying V , fraîchement sortie d'usine. La numéro 7, précisément. Ainsi, il devient le premier musicien indissociable de la singulière Flying V (1). C'est le coup de foudre ; il abandonne sa Fender Jazz Master pour prendre comme compagne cette numéro 7 à laquelle il restera fidèle jusqu'à la fin de ses jours.
Avec
le recul, il pense l'avoir payée un peu plus cher que le prix
d'origine, entre 340 et 360 dollars (2), mais bien sûr ne regrette absolument rien.
Malgré cette somme rondelette pour l'époque, il n'a aucun scrupule à effectuer immédiatement une modification importante. Le jeu au vibrato étant devenu une part intégrante de son jeu, il en rajoute un à sa Gibson. Un Bigsby, avec une
barre fichée entre les deux pointes de bas de caisse pour le maintenir. Il est le premier à avoir effectué cette customisation sur une Flying.
En
1960, alors qu'il est soliste pour Troy Seals, il
récupère une cabine Leslie. Initialement, cet imposant et encombrant effet de diffuseurs rotatifs créant un son "tournant et décalé", a été spécialement conçue (par Donald Leslie) pour les orgues Hammond, (ce qui déplu au début à Laurens Hammond qui essaya de contrer cette invention). Ainsi, Lonnie est le premier musicien à coupler sa guitare avec l'effet
tournoyant d'une cabine Leslie.
Suivit d'une réputation grandissante, il est embauché par le label King Records (de Cincinnati) en qualité de musicien de studio ; il fera des séances, entres autres, pour Freddie King, Hank Ballard et James Brown. Un jour, après une session pour un trio vocal féminin The Charmaines (3), lui-même et l'ingénieur du son, qui passe à la batterie, profitent du temps restant de location de studio, pour s'amuser un peu. Ils s'enregistrent interprétant une version instrumentale et personnelle - plus énergique et rock - du « Memphis Tennesse » de Chuck Berry. Juste pour le plaisir, sans jamais penser à commercialiser cette récréation impromptue.
Mais, alors qu'il est sur la route, honorant son emploi d'accompagnateur professionnel, il découvre, à sa grande stupéfaction, que la détente improvisée était devenue l'objet d'un 45 tours qui passe à la radio. Le label Fraternity a récupéré la session et la édité après l'avoir rebaptisé « Memphis ». Initiative récompensée puisque c'est un des succès de l'été 63, caracolant à la cinquième pièce des charts. Le solo de guitare de cette session est généralement considérée comme l'un des premiers, voire le premier, soli de Blues-rock. Le label enthousiasmé par ce succès, contacte Lonnie et l'invite à réitérer la chose, cette fois-ci avec une composition personnelle. « Wham ! » sort la même année, et s'il fait moins bien en matière de vente (24ème place dans les charts), il s'inscrit pour l'éternité comme une pièce novatrice qui va rester dans les mémoires. D'une façon ou d'une autre, car en effet, l'appellation "Whammy bar" - désignant la tige de vibrato - a été inspirée par le nom du nom de cette pièce instrumentale.
Il avait déjà eu l'opportunité de réaliser quelques 45 tours aux alentours de ses dix-sept ans (dans un style bien plus en phase avec la Country), mais édités par d'obscurs labels aux finances très limitées, ils se sont rapidement perdus dans la nature. Là, c'est comme si du jour au lendemain, il était passé de l'ombre à la lumière.
Fraternity veut battre le fer pendant qu'il est encore chaud et renvoie donc Lonnie en studio afin de réaliser dans la foulée un 33 tours complet.
« The Wham of that Memphis Man ! » sort rapidement dans l'année et il est tout simplement phénoménale. On y découvre non seulement un guitariste talentueux, précis, virtuose, et un excellent chanteur baigné par le Gospel. Certains n'hésitent pas alors de le considérer comme meilleur que le sacro-saint Elvis Presley. Dans l'Amérique des années 60, c'est une exceptionnelle marque de respect.
On retrouve donc sur ce premier opus, "Wham !", un instrumental emblématique pourvu d'une verve telle que la déploiera vingt ans plus tard Stevie Ray Vaughan.
Il y avait bien eu Link Wray (dont le fameux "Rumble"), Dick "The Surf-Guitar" Dale et Duane Eddy ("Peter Gunn") mais rien d'aussi virtuose. De plus, il émane de ses instrumentaux une force, une certaine puissance (également portée par la section rythmique) qui faisaient défaut à ces derniers. Seul Freddie King avait déjà su allier ses attributs sur ces, ô combien extraordinaires, pièces instrumentales.
Le slow-blues "Down and Out" déploie un long solo que l'on peut considérer comme l'archétype des envolés solitaires types du British-blues, et même du Heavy-blues (la disto en sus) à venir.
Cependant, si beaucoup connaissent Lonnie Mack pour sa maîtrise de la guitare, peu mettent en avant ses indéniables dons de chanteurs. C'est oublier qu'il a été formé à l'école du Gospel. Une évidence sur "Where There's a Will" et plus encore sur "I'll Keep You Happy" (de Hank Ballard) qui aurait pu paraître niais chez bon nombre de chanteurs blancs de l'époque tentant alors une timide immersion dans la musique sentimentale afro-américaine. Lonnie, lui, nous fait croire à son histoire ; il semble totalement impliqué, saisit même par les paroles qu'il roucoule. Sa voix alterne naturellement entre une clarté angélique et un timbre rauque autoritaire et mordant, n'hésitant pas à hurler sa souffrance, comme un authentique Bluesman, ou un Soulman.
Les paroles de la chanson "Why " sont à l'opposé des chansons populaires de Rhythm'n'blues et de Rock'n'Roll "fleur-bleue" de l'époque. Ici, point de papillons et de rubans dans les cheveux. C'est sombre, funeste, déchirant. Débutant comme un doux slow, le chanteur finit par crier la douleur d'une séparation qu'il ne peut supporter. C'est un violent crescendo qui culmine sur des pensées qui évoquent à demi-mots la possibilité du suicide. Jusqu'alors, aucun mâle blanc n'avait osé se mettre à nu, exposer ainsi sa fragilité.
Le contraste entre ses instrumentaux anticipant le Blues-rock (tout comme ceux de Freddie King) et ses douces ballades est saisissant (tout comme pour les premiers enregistrements de Freddie King... ). C'est presque une forme de schizophrénie : sur ses chansons, et plus généralement les ballades, Soul, Gospel et/ou Country, il se révèle un romantique particulièrement sensible, alors que sur ses instrumentaux il dévoile un tempérament nettement plus brut et sauvage qui ressort. Quelque chose d'indomptée et de redoutable. Le gars n'est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche et cela s'entend.
Même si les chœurs des Charmaines (embauchés pour l'occasion) possèdent parfois un petit goût doux-amer de charmantes vieilleries, "The Wham of That Memphis Man", malgré les ans, a gardé cette incroyable fraîcheur et consistance dignes des meilleurs productions de Black Top Records. Un disque charnière, entre Blues, Soul, Gospel et Rock, finalement difficile à classer ; d'autant que Lonnie semble maîtriser tous les styles qu'il aborde, les mélangeant même sans accrocs.
De
nombreux guitaristes ont dû longtemps laisser leurs oreilles
ausculter ses sillons, de Jimi Hendrix à Roy Buchanan et S.R. Vaughan. Sans oublier John Fogerty qui a dû consciencieusement potasser le premier album de Lonnie Mack. Clapton, Nugent, Steve Gaines, Duane Allman, Jeff Beck, Adrian Belew, Dicky Betts, Keith Richards, Joe Bonamassa, Warren Haynes et Jimmy Page ont reconnu son influence et son impact sur la guitare. Même le haut-en-couleurs et fantasque bassiste Bootsy Collins en a fait une de ses idoles.
Néanmoins,
de façon incompréhensible, alors que l'album parvient tout de même à faire une incursion dans le Top 5 - ce qui est énorme pour un premier album édité par un label local - sa carrière ne décolle pas vraiment, et il
redevient un temps un sideman. Probablement que des personnes au pouvoir décisionnel fort considéraient qu'il n'avait pas le physique de l'emploi pour accéder à certaines sphères médiatiques. Probablement trop rural. C'est parfois à se demander si les amérindiens ainsi que les "sang-mêlés" n'ont pas trop la côte au pays de l'oncle Sam.
Fraternity garde néanmoins foi en son poulain et continue de sortir des 45 tours les années suivantes, même si les ventes ont diminué. Cependant, il faut bien avouer que ce qui a été enregistré de 1964 à 1967 (à l'exception de "Sha-Ba-Hoola" et l'adaptation de "Turn On Your Love Light" de Bobby Bland) n'a plus le même éclat que ce qui compose cet album.
Il rejoint un temps, toujours en tant que simple accompagnateur, un bluesman du coin, de Cincinnati, également injustement au creux de la vague, avec qui il partageait quelques points communs, Freddie King.("Freddy King Sing Again").
Il lui faut attendre 1968 pour pouvoir bénéficier d'un inattendu regain d'intérêt grâce à un article élogieux d'une nouvelle revue dédiée à la musique populaire, "Rolling Stone", qui ne manque d'ailleurs de souligner ses talents de chanteurs. "Les chansons de Lonnie ont une sincérité et une intensité difficiles à trouver".
Fraternity garde néanmoins foi en son poulain et continue de sortir des 45 tours les années suivantes, même si les ventes ont diminué. Cependant, il faut bien avouer que ce qui a été enregistré de 1964 à 1967 (à l'exception de "Sha-Ba-Hoola" et l'adaptation de "Turn On Your Love Light" de Bobby Bland) n'a plus le même éclat que ce qui compose cet album.
Il rejoint un temps, toujours en tant que simple accompagnateur, un bluesman du coin, de Cincinnati, également injustement au creux de la vague, avec qui il partageait quelques points communs, Freddie King.("Freddy King Sing Again").
Il lui faut attendre 1968 pour pouvoir bénéficier d'un inattendu regain d'intérêt grâce à un article élogieux d'une nouvelle revue dédiée à la musique populaire, "Rolling Stone", qui ne manque d'ailleurs de souligner ses talents de chanteurs. "Les chansons de Lonnie ont une sincérité et une intensité difficiles à trouver".
Ce
n'est qu'en 1969 qu'il est a nouveau sollicité par un label. Le label indépendant Elektra, alors en plein
renouveau, lui ouvre ses portes et sort deux galettes dans la même
année. Deux disques alternant entre Blues, Soul et Country. Si les
albums ne sont pas des best-sellers, ils contiennent tout de même quelques étonnantes pépites - dont un slow-blues qui aurait pu tomber dans l'oreille de Jimmy Page. Qui sait ? -, mais de bénéficient toujours d'une réédition. Elektra offre un poste de directeur artistique, et à nouveau participe à quelques sessions. Les plus célèbre sont celles pour un quatuor Angelins, que l'on retrouve sur un album intitulé "Morrison Hotel".
Il faut patienter jusqu'aux années 80 pour avoir enfin accès à ses enregistrements grâce à l'effort cumulé de Stevie Ray Vaughan et de Bruce Iglaeur (Alligator Records) qui sont allés le sortir de sa retraite anticipée pour graver de nouveaux albums.
Il faut patienter jusqu'aux années 80 pour avoir enfin accès à ses enregistrements grâce à l'effort cumulé de Stevie Ray Vaughan et de Bruce Iglaeur (Alligator Records) qui sont allés le sortir de sa retraite anticipée pour graver de nouveaux albums.
Lonnie "Mack" McIntosh est décédé le 21 avril 2016.
(1) Albert King, bien que plus célèbre, vient juste après. Sa Flying date de 1959.
(2) Le salaire moyen mensuel aux Etats-Unis en 1957 devait tourner aux alentours de 480 $.
(3) Session d'enregistrement du 45 tours "G.I. Joe" et "Don't Take Away Your Love".
🎶♩♔🎸
Lu quelque part que Lonnie Mack tenait la guitare rythmique et/ou la basse (mais non crédité) dans les albums des Doors "Morrison Hotel" et "LA Woman".
RépondreSupprimerMmm ... il me semble qu'il est crédité pour "Morrison Hotel". Ou alors, peut-être pas sur le premier pressage.
SupprimerIl est reconnu qu'il a participé à "Roadhouse Blues" et "Maggie M'Gill". Cependant, j'avais lu un article où Lonnie ou un proche (de lui-même et du label Elektra) disait que l'on aurait minimisé sa participation ; qu'au-delà de quelques lignes de basse, il y aurait eu aussi une implication au niveau de la guitare. Voire plus ?
Peut-être qu'il ne s'agissait que d'enseignement, de conseils ...
Ce qui est certain c'est que Lonnie Mack était humble. Et sa longue absence du circuit était due à une déception envers "l'industrie musicale". Elektra en faisait'il partie ?
Par contre, à ma connaissance, il n'aurait aucunement participé au fameux "L.A. Woman".
Mais, en aparté, on retrouve sur ce dernier Marc Benno à la guitare rythmique. Un autre oublié.
Tu as raison, sur "LA Woman" c'est Jerry Scheff, bassiste d'Elvis Preley.
RépondreSupprimerMinimiser sa participation ? S'il est le véritable auteur du riff de "Roadhouse blues" (une tuerie), comme on le sous-entend parfois, les autres devaient faire la gueule !
Si c'est bien le cas, celui qui devrait finalement faire le plus "la gueule", ce serait Lonnie Mack. En effet, en étant non crédité il ne peut prétendre aux royalties qu'ont générés non seulement les ventes et les passages radios de ce titre, mais aussi les reprises.
SupprimerCependant, j'ai plutôt en mémoire des larges doutes émis à l'encontre de "Peace Frog". Sauf erreur.
Une belle découverte. Un guitariste au jeu solide, expressif, bien charpenté. Et le trémolo rapide de la Leslie, génial.
RépondreSupprimerSon premier album c'est du gros son pour 1963.
Mick Green n'est pas très loin...
Ah je suis "unknown" ?! Je m'appelle Frédéric !
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