L’iranien
Asghar Farhadi (A PROPOS D’ELLY, LA SEPARATION) a installé ses caméras en Espagne,
pour un thriller sur fond de brouilles familiales. Il y a un réel
mystère qui émane des premières images, une main gantée qui découpe des coupures
de journaux, et des plans dans un vieux clocher envahi de poussière et de
pigeons.
Après
cela, Farhadi nous présente ses personnages, et c’est peu dire qu’ils sont
nombreux. On a une appréhension au départ, se perdre dans ce dédale de sœurs, de
cousines, d’oncles et tantes. Laura, qui vit en Argentine avec son mari
Alejandro, revient dans sa famille pour le mariage de sa sœur. Avec son jeune
fils, et sa fille Irène. Installation, embrassades, retrouvaille avec les amis,
comme Paco, propriétaire avec sa femme d’un domaine viticole. Puis le mariage,
et la fiesta. C’est toujours casse gueule ce type de film, choral, il faut vite
tisser les liens entre chacun, exposer le contexte, mais sans faire du
surplace. Farhadi excelle dans cet exercice, sa caméra toujours en mouvement capte
en quelques images ce qu’il y a à savoir, ça bouge, c’est fluide. Ca parait simple, mais c'est de la belle mise en scène. Je repense
aux scènes de la Colinière dans LA REGLE DU JEU de Renoir.
On
s'attarde sur Irène et Filipe, le fils de Paco. Ça se
bécoque en haut du clocher, et déjà le voile se lève sur quelques secrets de
famille. La fête déborde de couleurs, de musique, de rires, on a franchement
envie d’y être pour profiter de la sangria. Et puis vlan : coupure d’électricité.
Rien de grave, on en rigole. « C’est à cause de la pluie » signale l’EDF
local. Le courant revient, mais Irène, qui s’était couchée un peu patraque, n’est
plus dans son lit. Sur lequel sa mère retrouve des coupures de journaux,
relatant un enlèvement d’enfant, dans la même région, dix ans plus tôt…
Changement d'ambiance, la nuit, la pluie, on lance
les recherches. Les pistes sont nombreuses : fugue, farce, ou enlèvement. Mais qui ?
Les ouvriers des vendanges ? Les jeunes types qui filmaient la soirée ?
Dont on regarde les vidéos pour trouver des indices, des inconnus. Et le père, Alejandro ? C’est louche
qu’il ne soit pas venu au mariage. On le dit riche, mais on apprend qu’il est
fauché. Alors on en vient à creuser le passé familial, pour trouver un mobile...
On
peut trouver le départ un peu long, mais cela permet de s’installer dans le
récit, et les personnages. Les deux derniers tiers
parviennent à être palpitants, sans pour autant donner dans la surenchère de
suspens. On cherche nous aussi à comprendre (même si certains secrets bien
enfouis ne le sont pas tant que ça…), à cerner tous ces personnages, saisir
leurs motivations. L’arrivée d’Alejandro à la moitié du film apporte une pièce
supplémentaire à la réflexion.
On
peut être surpris du dénouement, car c’est le metteur en scène qui nous donne
la clé, quand les personnages en sont encore à patauger. Mais ça ajoute une
dimension à l’épilogue (un peu expédiée), où l’on peut soupçonner de futures réunions
de famille bien pesantes.
Dans
un film choral, il ne faut pas qu’une interprétation en écrase une autre.
Farhadi dirige toute sa troupe au millimètre, même si Javier Bardem, tout en
force tranquille et sensible, en impose davantage à l’écran. L’arrivée d’Alejandro,
alcoolo devenu bigot, joué par l’argentin Ricardo Darìn, rééquilibrera l’édifice.
Pénélope Cruz lumineuse au départ, verse dans un registre forcément plus dramatique,
à chaudes larmes. Il faut citer aussi la magnifique Barbara Lennie (découverte
dans LA PIEL QUE HABITO d’Almodovar), mais tous sont formidables, sans doute la
première qualité de ce film.
Les
paysages sont bruts, léchés par le soleil et la poussière, la photographie est
très belle. Farhadi est sans doute plus à l’aise dans l’exploration des névroses
familiales que dans l’aspect purement polar. Mais cet ingrédient, ainsi que le casting people/hollywoodien Cruz/Bardem (qui n'est pas sans rappeler l'utilisation du couple Kidman/Cruise d'EYES WIDE SHUT) permet à
EVERYBODY KNOWS d’être à la fois un film d’auteur, et un suspens divertissant, apte à séduire un plus large public.
couleur - 2h10 - format 1:1.85
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