- Bizarre M'sieur Claude… Vous
avez souvent des mots cruels à propos des poèmes symphoniques de Liszt :
bourrin, braillard, concertos pour cymbales, etc. Et voici que…
- Doucement Sonia ! Liszt
est l'inventeur du poème symphonique donc sur les 13 on trouve de tout. Certains
sont en effet bien lourds, mais d'autres méritent le détour…
- Il est de qui le poème ?
Ça évoque quoi ? Une ballade en montagne comme la symphonie alpestre de Richard
Strauss ?
- Non, le poème de Victor
Hugo est plus symbolique que descriptif : la grandeur des lieux, la présence
divine sur les hauteurs, les thèmes classiques du romantisme…
- Il y a beaucoup d'enregistrements
? Surement avez-vous choisi une bonne version comme à vos habitudes…
- Non, la discographie
n'est pas pléthorique. Seules les intégrales de Bernard Haitink et de Kurt Masur
s'imposent. Le poème les Préludes fait les choux gras des compléments de
disques. Je me suis toujours demandé pourquoi ? Une affaire de goût. Les
cymbales me font mal au crâne.
- Vous voulez un
doliprane, hihihi ?
Mais
non Sonia, ce n'est pas un portrait de Napoléon ! Victor Hugo aussi a été jeune. En 1829, il a 27 ans et dans deux ans il va écrire le recueil poétique
Feuilles d'automne d'où sera extrait Ce qu'on entend sur la Montagne. Enfin
Sonia ! Hugo n'a pas toujours
été le noble vieillard chenu et barbu immortalisé par Nadar, avec son look à la Moïse, photo archi connue de l'écrivain
et poète immortel déjà en route pour le Panthéon…
- Je vous trouve bien
lyrique M'sieur Claude…
- C'est ça Sonia,
payez-vous ma tête !
Au
cours du XIXème siècle, les compositeurs novateurs commencent à se
sentir engoncés dans la forme symphonique héritée de l'époque classique et des
premiers romantiques comme Beethoven
ou Mendelssohn : quatre mouvements, le
respect des formes sonates avec ses thèmes, ses développements, son scherzo
imposé mais pas toujours indispensable, donc une architecture relativement
académique malgré le génie mélodique imaginée par les plus grands.
1830, Berlioz
écrit la symphonie
Fantastique. Cinq mouvements et surtout un programme
d'inspiration épique : celle d'un héros, l'autoportrait d'un poète en prise
avec l'opium, les amours contrariés, les sabbats de sorcières. La musique pure
s'éloigne et on peut souligner le lien entre la scène
aux champs (3ème mouvement) et la scène
au bord du ruisseau de la symphonie "Pastorale" de Beethoven. Les deux génies ont posé plus
ou moins consciemment la première pierre de ce qui va devenir le poème symphonique
sous la plume de Liszt.
1848 : Franz
Liszt, prince européen du piano en concurrence avec Chopin, n'a pas l'intention d'écrire une
symphonie classique. L'homme a montré ses préoccupations poétiques,
philosophiques et mystiques dans ses œuvres pour piano, notamment les premiers
recueils des Années
de pèlerinage commencés en 1839
: œuvres descriptives, très influencées par la littérature et divers courants
de pensée historique comme celui de Dante.
De 1848 à 1881, le
compositeur va produire 13 poèmes symphoniques de durées et d'intérêts inégaux,
la rançon de la recherche de toute forme nouvelle. La source d'inspiration est
très variée : des poèmes, la mythologie, la vie, la mort, donc un point commun
: un sujet littéraire ou un programme bien défini. Aucun des treize poèmes
n'est à dédaigner. Comme Wagner,
Liszt va épouser un style vigoureux, assez
abrupt et souvent lourdement orchestré… Son premier essai sera Ce qu'on entend sur la Montagne inspiré
par un poème de Victor Hugo. Il est
trèèèès long. 30' c'est trop pour une œuvre orchestrale en un seul mouvement ne
comportant guère que deux idées thématiques identifiables. Cela dit, c'est
assez prenant et la composition prête moins à sourire que la bataille des huns, une musique digne
d'un péplum des années 50, avec grand orgue et un climat martial de barbares en goguette.
Une précision importante, chaque mélomane aura ses préférences dans ce corpus.
Kurt Masur, Anne-Sophie Mutter et Henri Dutilleux en 2002. Création de sur un même accord. |
Et
puis, dix ans après ses premiers essais, Franz Liszt
nous offrira la Faust Symphonie, qui n'a de
symphonie que le nom, un triptyque portraiturant Faust, Marguerite et Méphistophélès, et là, stop ! Chef d'œuvre.
(Une chronique est en projet).
Une biographie concise de Franz Liszt
est à lire dans l'article consacré à la Sonate en si
mineur (Clic).
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Nous
connaissons bien Kurt Masur dans le blog, le
chef d'origine prussienne, qui a vécu en Allemagne de l'Est, héros de la chute du mur de Berlin et directeur de l'orchestre National de France au début du
siècle. Il nous a quittés en 2015 et
j'avais consacré un RIP à ce grand chef dont l'intégrale des poèmes symphoniques et des Dante et Faust Symphonies de Liszt est l'une de ses plus grandes
réussites au disque, une référence pour ce répertoire. Il est ici à la tête de
l'orchestre du Gewandhaus de Leipzig qu'il
conduisit de 1970 à 1996 (26 ans !)
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
L'Oisans, Charles Bertier (1860-1924) |
"Ce siècle avait
deux ans" : premier ver de l'un des 52 poèmes du recueil Feuilles d'automne écrit en 1831 par Victor Hugo. Mais si, ça vous parle, on a presque tous planché
là-dessus (ou essayé). Ce qu'on entend sur la montagne est le 12ème
poème. On trouve le texte assez facilement sur le net (Clic). À sa lecture, deux idées s'imposent : la description des
manifestations de la nature dans les hauteurs (notamment en Bretagne !?), et un
hymne assez appuyé au Créateur. D'ailleurs pour ceux comme moi qui ont passé le
Bac il y a des lustres, Victor Hugo
insiste bien aux vers 70-71 :
Qu'écoute
l'Éternel durant l'éternité,
L'une disait : NATURE ! Et
l'autre : HUMANITÉ !
Donc
pour ceux qui choisissent l'inénarrable et abscons commentaire de texte composé,
aucune excuse ! Ah, un autre ver qui a dû séduire l'ami Franz
Liszt, le 56 : Cependant, à côté de l'auguste fanfare, Liszt, les fanfares, il en raffole,
jusqu'aux acouphènes…
Blague
potache à part, le poème symphonique assez développé, il faut bien le dire,
s'étire sur une trentaine de minutes qui vont alterner des passages glorieux
(j'ai fait attention de ne pas écrire "pompiers") et des passages
plus méditatifs. Bien entendu, comme dans tous les ouvrages de ce type,
l'adaptation par le compositeur est assez libre.
L'orchestration
s'appuie sur un effectif similaire à celui de la 9ème
symphonie de Beethoven
mais avec une harpe en plus :
1
picolo, 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes + clarinette basse, 2 bassons, 4
cors, 3 trompettes, 3 trombones + tuba, tamtam, cymbales, grosse caisse, 1
harpe et les cordes.
En commentant
ce poème symphonique, je cède à la tentation de faire coïncider les différentes
parties de la composition avec des vers du texte d'Hugo. Une entreprise risquée
et sujette à une très forte subjectivité. Mais cette règle liminaire étant établie, pourquoi
pas ? Chacun pourra à l'écoute et à la lecture s'amuser au même jeu…
"Ce fut d'abord
un bruit large, immense, confus / Plus vague que le vent dans les arbres
touffus" : deux vers que j'associe facilement à l'introduction.
Un roulement tenu et lointain de la grosse caisse pp. Aux cordes : un trémolo frémissant sur un motif répétitif de
deux triples croches (ré-mi pour les violons) noté myterioso e tranquilo. En effet,
nous traversons une atmosphère sombre, imaginons un ciel aux couleurs indéfinies, gris ou parcouru de
nuages aux formes fantastiques. L'immensité est bien là emplie de sonorités inquiétantes. Quelques sauts d'intervalles de mesures en mesures simulent des
bourrasques irrégulières… Les bois et les cors interviennent discrètement par
deux fois puis chassent les cordes pour prendre la main et animer ce paysage que Liszt
voit cyclopéen. [1:40] Un premier thème lyrique est énoncé par le hautbois
puis repris par les deux types de clarinettes et les bassons. À noter que la
harpe s'est invitée au dialogue et renvoie (peut-être) au ver : "Et pensif,
j'écoutais ces harpes de l'éther". Ce début plutôt contemplatif
évolue vers un récit musical plus épique, comme si le soleil venait illuminer
vaillamment les roches et toute la perspective, y compris la mer au pied des
sommets. Le rythme prend de l'ampleur, le discours s'accélère suivant le chant
mélodieux des cordes…
[3:16] Ce qu'on entend sur la Montagne repose
comme précisé plus haut sur la dualité entre une thématique élégiaque - nous venons d'écouter les prémisses - et une violence extatique ; et déjà nous y
voilà. Par des traits sauvages aux cordes opposés à des brefs et rugueux chorales
de cuivres jaillit la seconde partie. Nous voici dans l'univers fougueux et
un tantinet fracassant que Liszt affectionne.
[4:41] Nouvelle idée plus poétique en guise d'intermède égaillé par des facéties
de bois et un motif interrogateur des cordes.
"Plein d'accords
éclatants, de suaves murmures, / Doux comme un chant du soir, fort comme un
choc d'armures". Victor
Hugo cultive l'antinomie sémantique : éclatants vs murmures, doux vs choc d'armure. Liszt va faire de même. [5:25] Et c'est
parti pour une marche en plein vent ponctuée des premiers coups de cymbales. [6:23]
Quelques légers coups de tamtam nous entrainent vers l'écoute de ce "chant du soir"
dans lequel domine la mélopée de la clarinette. [7:32] Liszt
aime les contrastes et propose un duo violon solo-harpe très tendre, une simple
prière reprise par des bois. [9:19] Retour
du solo de violon, en un mot l'émergence d'un leitmotiv qui montre l'intérêt du compositeur pour ce
principe expérimenté par Berlioz
et qui sera exploité comme technique de base par Wagner
(voir l'article consacré à Tristan
– Clic). Il en résulte une assez grande
variété de motifs mélodiques au-delà de la simplicité apparente d'opposer les deux
thématiques abruptes définies en début de paragraphe.
XXXX |
[24:39] Retour du flot musical mystérieux avec de légères notes de timbales et un appel lointain du cor. La coda
laisse un à un flûte, trompette, clarinette, violoncelles entonner un hymne
secret qui permet à ce poème symphonique de s'achever par l'une des plus élégantes pages orchestrales de la plume de Liszt.
De cristallins arpèges de harpe et de frémissants trémolos des cordes nous
plongent dans le silence conclusif. Les douze poèmes symphoniques à venir
devront beaucoup dans leur écriture à ce "prototype" du poème
symphonique, un peu expansif mais néanmoins captivant. Les fans de Richard Strauss établiront un lien entre le beau solo de violon et son équivalent dans Une vie de Héros par exemple.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Kurt
Masur
offre sa rigueur habituelle (certains parleraient à tort de rigidité) au
bénéfice d'une œuvre un peu touffue quand dirigée de manière moins experte. Il
existe d'autres versions exotiques proposées par différents labels et que je ne
connais pas, elles ne semblent pas s'être imposées. La vision de Bernard Haitink, aux tempi moins farouches est la
seule à rivaliser avec celle de Masur.
Elle date également des années 70' mais ne quitte jamais le catalogue (Decca - Phillips).
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Tu parles de Berlioz et de la scène au champs dans la symphonie Fantastique, il a récidivé quelques années plus tard avec Harold en Italie et le troisième mouvement "Sérénade d'un montagnard des Abruzzes à sa maîtresse" et aussi dans "L'évocation à la nature" dans "La Damnation de Faust". Pour ce qui est de "Ce qu'on entend sur la montagne", je m'attendais à quelques chose de plus doux, plus romantique !! Bon ! Bien sur ce n'a rien à voir avec le tintamarre des "Préludes", la cavalcade de "Mazeppa" ou encore la noirceur de "Prométhée", je m'attendais plus à une chose comme le poème symphonique n°9 "Hungaria". Mais bon ! C'est du Liszt et on ne peut plus refaire le bonhomme, l'un n'empêchant pas l'autre, je ne connais pas tout ses poèmes symphoniques (hormis ceux qu j'ai citée) mais celui la entre dans mes critères de sélection ! J'aime bien !
RépondreSupprimerJe rajouterais, que quelques fois, j'ai eu l'impression d'entendre l'ouverture du "Carnaval Romain" à certain moment ! Et puis l'image en clin d'oeil du "Génie des alpages" du regretté F'Murr est tout a fait à propos !
RépondreSupprimer