- Tiens M'sieur Claude… Don
Quichotte, le chevalier dépenaillé, addict aux romans héroïques, etc. Il n'y a
pas que Richard Strauss qui s'est passionné pour le personnage…
- Mon dieu non Sonia, des
films, de la musique dans tous les genres, des ballets, un opéra de Massenet. Il faut dire que
le sujet est une mine d'or pour les artistes…
- Et là ? Il nous a
concocté quoi le musicien bavarois ? Un opéra ou l'un de ses poèmes
symphoniques fleuves ?
- Plutôt un poème
symphonique, mais aussi une suite de variations fantasques, et surtout une
forme de concerto pour violoncelle… Très originale et palpitant…
- Oui je vois cela, je
pense que le compositeur évoque Sancho Panza, le souffre-douleur fidèle de Don
Quichotte ? Comme moi avec M'sieurs Luc et Rockin, pfff !
- Ô Sonia n'exagérez rien
! Vous avez un bon boulot et même une copine : Nema, le self est bon… Quant à
Luc et Rockin', avouez qu'ils sont plus taquins qu'esclavagistes…
- Mouais, pas faux…
Lors
de la première partie de sa carrière et au tournant du XXème siècle, Richard Strauss va porter un intérêt
particulier pour les poèmes symphoniques, de Aus Italian (pas le
top) de 1886 (le compositeur n'a que
22 ans) jusqu'à la symphonie
Alpestre de 1915, une
dizaine de grandes fresques symphoniques vont se succéder. Par la suite, le
musicien bavarois orientera sa créativité au service de l'opéra.
Dans
la plupart de ces partitions, l'homme est au centre du sujet. Souvent des
personnages légendaires : Don Juan, Till l'Espiègle,
l'homme au sens philosophique du terme dans Ainsi parla Zarathoustra
immortalisé par Kubrick dans 2001, le
héros tout court (l'artiste lui-même ?) dans Une vie de héros,
etc. Une thématique plus épique qu'un Liszt,
l'inventeur du genre, illustrant des poèmes de grands écrivains comme dans Ce que l'on
entend sur la montagne de Victor
Hugo.
Don Quichotte date de 1897, il suit Ainsi parla Zarathoustra
de 1896 et précède Une vie de héros de 1899. Points communs aux trois œuvres et à la symphonie
Alpestre : une orchestration très riche et colorée, des durées
élargies, un souffle romantique énergique, sans compter sur le mode d'écriture
mélodique "par vagues" dans les passages de grande sensualité. J'y
reviendrai…
Comme
je le rappelais à Sonia, le roman chevaleresque de Cervantès écrit vers 1605-1615
reste une source d'inspiration inépuisable pour tous les artistes. Depuis 400 ans,
le chevalier excentrique est au centre de : BD (comme ci-contre), ballets,
films (19 depuis 1903), pièces de théâtres, gravures, tableaux, etc. et bien
sûr la musique : classique (25 œuvres au moins en comptant les opéras), et même
comédies musicales comme l'homme de la
Mancha de Jacques Brel
chroniquée par notre ami Pat (Clic).
Un
héros un peu fou, fauché et vieillissant, des péripéties, de l'amour. Richard Strauss ne pouvait passer à côté
d'un personnage aussi fantasque. Le compositeur va d'ailleurs donner à son
poème symphonique une forme originale qui correspond bien au style feuilletonesque
du roman : une introduction et une conclusion, mais surtout une série de dix
variations qui narrent chacune l'une des mésaventures parmi les plus pittoresques du
récit. Et puis, il ne peut ignorer Sancho
Panza, le compagnon fidèle et un peu naïf, alter ego de Leporello, le valet de Don Juan…
Don Quichotte méritait un
traitement musical spécifique. Il sera un violoncelle solo. Mais attention, un
héros dans l'orchestre, en aucun cas un instrument au rôle concertant et rivalisant de virtuosité avec
lui. Don Quichotte ne doit jamais prendre la forme
d'un concerto. Le soliste doit y prendre garde !
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Richard Strauss vers 1890 |
XXXXXX |
Maggy
Toon ne raffole pas de Strauss, Nema non plus, Sonia, bof… La raison, car il y
en a une est toujours la même : "Ça paraît
confus et un peu trop expansif". Une opinion qui se défend à
défaut de reposer sur une réalité structurelle, les goûts et les couleurs, etc.
Même si Richard Strauss architecture
ses grands poèmes symphoniques avec un programme assez précis, chaque partie ne
possède pas forcément une thématique qui lui est propre, on rencontre de
nombreux motifs et leitmotive qui vont resurgir ici et là sans une logique
évidente héritée de la forme sonate chère aux symphonies de ses confrères, Mahler compris. Le principe est assez
wagnérien et si on ajoute à cela une orchestration rutilante, suivre le
discours n'est pas si facile que cela… J'avoue. On comprend à cette phrase que les
mauvais disques (aggravés par des prises de son compactes) ou des concerts à la
mise en place approximative ne risquent pas de faire des nouveaux adeptes. Je
me rappelle d'une exécution au TCE de Don Quichotte
avec un violoncelliste peu motivé ; même convaincu par l'œuvre, pas de lézard,
on s'ennuie… Aujourd'hui : petit plat dans les grands avec l'une des meilleurs
interprétations rêvées : le trio Rostropovitch-
Karajan-Berlin, une gravure de 1976 pour EMI. Le chef
autrichien faisait une petite infidélité à DG.
Franchement, pour le son, on y gagne !
Je
ne présente pas les deux géants de l'archet et de la baguette ; des biographies
sont à lire :
Pour
Mstislav Rostropovitch à propos du concerto pour violoncelle de Dvorak avec Adrian
Boult (Clic).
Pour
Herbert von Karajan (plusieurs chroniques),
principalement celle consacrée au Requiem Allemand
(Clic).
Les
deux artistes ont enregistré d'autres versions : Herbert von Karajan avec Pierre Fournier pour DG, une moins engagée à l'ère du numérique avec le violoncelliste brésilien António Meneses. Mstislav Rostropovitch avec Kirill Kondrachine pendant sa période
soviétique ou encore avec Malcom Sargent en live pour la BBC.
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L'orchestration
est luxuriante, mais pour obtenir des sonorités capricieuses et joyeuses,
l'effectif est moins délirant que pour la symphonie
Alpestre avec ses bois par 3 ou 4 et ses 12 cors. Jugez plutôt :
Piccolo,
2 flutes, 2 hautbois + cor anglais, 2 clarinettes + petite clarinette et
clarinette basse, 3 bassons + contrebasson, 6 cors, 3 trompettes, 3 trombones +
tuba ténor et tuba basse, timbales, grosse caisse, caisse claire, cymbales,
triangle, tambourin, machine à vent (Clic), harpe, cordes ; alto et violoncelle
solo.
Opéra de Chicago 2016 : Don Quichotte de Massenet |
Introduction: Don
Quichotte perd la raison à la lecture des romans
|
|
Don Quichotte et Sancho
Panza
|
6:25
|
Variation I: L'aventure
avec les moulins à vent
|
8:44
|
Variation II: La
bataille contre les moutons
|
11:24
|
Variation III:
Conversation entre le chevalier et l'écuyer
|
13:09
|
Variation IV: L'aventure
avec les pèlerins
|
21:47
|
Variation V: La veillée
d'armes
|
23:44
|
Variation VI: Rencontre
avec Dulcinée
|
27:54
|
Variation VII: La
chevauchée dans les airs
|
29:09
|
Variation VIII: Le
voyage dans le bateau enchanté
|
30:25
|
Variation IX: Le combat
contre les deux sorciers
|
32:16
|
Variation X: Le duel
contre le chevalier
|
33:28
|
Finale: La mort de Don
Quichotte
|
38:10
|
Don Quichotte et Dulcinée (B. Buffet) |
Richard Strauss aimait apporter aux auditeurs des
explications claires sur ses intentions descriptives ou narratives pour chaque
passage de ses poèmes symphoniques. Un petit guide du mélomane. Le tableau
ci-dessus ne démentira pas ce principe et me coupe l'herbe sous le pied quant à
des commentaires supplémentaires qui seraient bien superflus.
Ainsi parla
Zarathoustra,
si populaire, ne lésinait pas sur le grandiose voire le cataclysmique ! Don Quichotte
conserve ses moments de bravoure symphonique mais avec un trait plus allégé,
des couleurs plus ciselées, de l'humour à travers les diverses péripéties.
Introduction : quelques
notes primesautières du hautbois soulignées par un arpège vif-argent des flûtes
préfigurent l'ironie qui va parcourir l'ouvrage. Une longue phrase aux cordes
accompagne un premier thème amusant aux clarinettes. Le chevalier se dandine. Plusieurs motifs animés se succèdent pour camper
cette Espagne moyenâgeuse. Don Quichotte s'abrutit à travers des lectures picaresques
illustrées ici par des fracas crescendo de tout l'orchestre. On ne peut nier le
modernisme de cette musique dépourvue de thème identifiable, discours imaginatif passant du coq à
l'âne : chant langoureux et galant du hautbois et de la harpe, appel lointain
et héroïque des cors, violon qui se rengorge… Strauss
parcourt les lectures de Don Quichotte
par-dessus son épaule : les récits et prouesses donnent lieu à l'intervention
sarcastique des trémolos acides des trompettes. La fantaisie symphonique se
révèle le fil conducteur de cette introduction un peu folle à l'image du héros
qui va s'autoproclamer "le chevalier errant". Quelle galère pour
l'orchestre et le chef ! Mais là c'est la Philharmonie de Berlin
et Karajan capables de tout. Aucun pathos, le
chef autrichien délaisse ses tendances hédonistes pour un flot orchestral pertinemment
clinquant, aux accents acérés, desséché, en un mot à l'image de notre Don Quichotte famélique victime de ses
fantasmes…
Don Quichotte et Sancho
Panza : L'entrée du violoncelle se
fait sur un leitmotiv évoquant l'attitude pompeuse du héros, le pas lent de Rossinante, son
destrier efflanqué. Rostropovitch adopte un
phrasé sautillant et détaché avec le minimum de vibrato. Une grande richesse de
sentiments jaillit de l'instrument : une générosité naïve, un idéalisme conquérant grotesque, en un mot : des ressorts tragicomiques… [7:31] Sancho
Panza fait son entrée à l'aide d'un leitmotiv pataud et bonhomme réunissant clarinette basse, tuba et alto. Le violoncelle-quichotte s'impatiente, brave Sancho 😉.
Var 1 : la bataille burlesque et démente avec les moulins à
vent se fait plus guerrière. Mais Strauss
s'amuse. Après cette attaque "sous acide", le violoncelle chevalier se fera pitoyable, adoptant un timbre geignard. Ridicule et pathétique Don Quichotte.
Astérix en Hispanie |
Var 3 : La plus longue des variations
évoque la complicité entre Don Quichotte
et Sancho Panza, l'évocation des
batailles perdues, mais aussi l'amour galant sans doute, avec un élégiaque passage [17:11]
avec dominante de cordes et arpèges glissandi des harpes. On retrouve le Strauss amateur de ces immenses et
mystiques mélodies chamarrées et lumineuses qui se chevauchent par vagues successives.
Var 6 : Hormis dans Aus Italian,
Richard Strauss ne se passionne guère pour
l'exotisme. Ici : oui mais fugacement. Rencontre sur fond de tambourin avec la belle Dulcinée, petit air de danse. Espiègle,
Strauss envoie notre chevalier chevaucher
dans les airs à grand renfort de machine à vent (Var 7). Les effets sont incontestablement un peu faciles mais la
facétie en musique classique a toute sa place…
Un
peu long, parfois répétitif, une orchestration ne faisant pas toujours dans la
dentelle ? Oui, possible. Mais Strauss
n'avait pas son pareil pour captiver le public, le plonger dans une ivresse
sonore pour laquelle Herbert von
Karajan avait peu de concurrent. Quant à Rostropovitch
et le son soyeux et engagé de son violoncelle, difficile de trouver plus
imaginatif… Le virtuose offre toute sa tendresse lors de la mort du vieux
chevalier qui a retrouvé… la raison ! (Partition)
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Parcourir
la discographie laisse une impression curieuse. Il semble que les violoncellistes
des nouvelles générations ne sont guère tentés par l'enregistrement de Don Quichotte.
Il est vrai que les virtuoses historiques ont laissé un patrimoine assez riche.
L'ouvrage durant une quarantaine de minutes, on trouvera des couplages des plus
variés. Si le disque Rostropovitch-Karajan demeure un must, j'ai un faible pour
trois autres gravures.
Dotée
également d'une belle prise de son, l'autre version officielle de Karajan, avec Pierre
Fournier, reste toujours disponible depuis les années 60 (ce
n'est pas le cas du disque EMI). Un orchestre somptueux et un Don Quichotte
droit dans ses bottes (DG – 5/6). En
1973, un autre grand violoncelliste français, Paul
Tortelier, se voit invité par Rudolf
Kempe à Dresde dans le cadre d'une intégrale symphonique consacrée
à Strauss que réalise le chef allemand. Réjouissant (Brillant ou EMI – 5/6).
Enfin après bien des décennies de retard, un disque de 1970 de Jacqueline Du Pré accompagnée par Sir Adrian Boult a été édité. Un souci du
détail exceptionnel de la part des deux artistes qui ne surprendra pas les
habitués du chef anglais (EMI – 5/6).
Voilà pour une première sélection…
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