Philippe Caza et sa vision acerbe
de la vie moderne dans le quotidien d’un français moyen.
Marcel Miquelon, le
premier des Bidochon
Caza |
Il y a
des époques dans une vie où, l’âge venant, nous avons tendance à évoluer et à
changer nos goûts et nos lectures. De Pif Gadget au journal de Tintin, de celui
de Spirou à celui de Mickey, on se retrouve à lire des bandes dessinées plus
licencieuses, plus légère, plus science-fiction. Après être passés par les Marvel
Comics, les adolescents en mal de fanzines à leur goût, se jetteront sur des
revues comme Pilote, Métal Hurlant et toutes les éditions des Humanoïdes
associés (Les Humanos), ils feront partie des fans de ces journaux qui vont éveiller
les esprits. A ses débuts, Pilote fera connaitre des auteurs comme Gotlib, Fred, Greg, Charlier, Tabary, Cabu et Bretecher, mais cela restera d'abord de la BD comique bonne-enfant même si celle-ci est excellente et restera pour la postérité de la bande dessinée pour la jeunesse.
Le style et le dessin changeront au fil des
années, le style Héroic Fantasy
prendra le dessus avec des auteurs comme Mézières
avec Valérian,
Jean Giraud dit «Moebius» ou Druillet
et Long
Sloane. Mais un auteur me marquera, ce sera Caza de son vrai nom Philippe Cazaumayou. Il commencera une carrière de
dessinateur publicitaire qu’il abandonnera vite pour se consacrer à la bande
dessinée. Dès les années 70, il partagera son activité entre les illustrations et les couvertures de diverses publications. A la
même époque, on le trouve chez Pilote ou il publie une série d’histoires aussi
insolites que leurs titres : «Quand les costumes auront des dents», voire
même une autobiographie absurde : «Fume c’est du Caza». Et puis ce
sera la série «Scène
de la vie de Banlieue», un compromis entre la Science-Fiction et les Bidochon
avec Caza
qui se représente lui-même dans ses dessins : barbu, cheveux mi-long, un look
entre le baba-cool et l’écolo made in Larzac (A l’époque, ce dernier vivait dans Les Cévennes parmi les chèvres).
Marcel Miquelon |
L’intrusion
du fantastique au quotidien des cités dortoir et des grands
ensembles dans l’univers de Caza est pour le moins inquiétante, si ce
n’est effrayante. La science-Fiction s’invite
dans la vie des citadins mis en cage. Le personnage central est Marcel Miquelon, un français plus que moyen qui vit
avec femme et enfants dans un H.L.M glauque, des scènes qui se déroulent
pratiquement tout le temps de nuit, des personnages qui n’ont jamais de couleurs
vives, tout y est uniforme. Tout comme son titre l’indique, les problèmes de
voisinages sont la trame principale de ces petites scènes de quatre à cinq
pages où l’histoire se termine pratiquement toujours mal. Marcel Miquelon finit systématiquement : soit mort, soit dans
un état déplorable (En état de
décomposition avancée). Caza lui aussi apparait dans les pages de l’album,
le seul à avoir des couleurs chatoyantes et ne s’épargne rien des méandres de la
vie occidentale moderne, il est le «gentil»,
celui qui refuse cette vie de mouton où tous les habitants à 22h00 tapante vont
ce coucher. Il fera du vaudou sur la photo de Marcel
Miquelon sans penser que cela marcherait (Et sa marchera !).
Le pauvre Marcel qui, suite à un grondement venant
d’en dessous de chez lui, descendra dans la cage d’escalier et se retrouvera
dans le métro à la station Concorde croyant rêver, il fuira vers la sortie et
tombera de l’avion du même nom. Il se retrouvera devant Saint-Pierre, se fera
dévorer par des cannibales, détruit par l’Homo-Détritus et même dans son
cercueil, il sera déranger par des coups au dessus (Le menuisier en train de clouer sa bière) etc.…
Je dis
le pauvre Marcel, mais même si ce dernier n’est
pas un personnage sympathique, c’est un anti-héro par excellence, on le prend
en pitié et on souhaiterait quelquefois qu’il arrive à sortir vivant de ses
péripéties.
La
série des trois albums «Scène de la Vie de Banlieue», «Accroche toi au
Balai» et «L’Hachélème que j’aime» est une
représentation d’un monde réel dans l’irréel et Caza cherche à le combattre avec
sa plume. Une trilogie drôle malgré son univers sombre. Un autre grand auteur
approchera ce monde impitoyable de la modernisation des villes, Enki Bilal avec sa trilogie «Légendes D’aujourd’hui» qui
comprenait «La
Croisières des Oubliés», «Le Vaisseau de Pierre» (Try Yann
sortira un album éponyme en hommage à cette BD en 1988) et «La Ville qui n’existait pas»
Ce
pavé dans la mare du conformisme ambiant, place Caza aux cotés de Robert Crumb, autre grand pourfendeur de la vie et des
villes modernes. Bien avant que l’habitant des cités dortoir ne soit relégué
à une image de pauvres, les histoires fantastique de Caza ont pris une valeur qui nous
ouvre une fenêtre sur la science humaine et sociale, mais elles n’en restent pas
moins jubilatoires.
Caza fera aussi l’illustration des
couvertures des collections «Livre de
poche» et «J’ai Lu SF», il fera de l’animation avec René Laloux (La Planète Sauvage) ainsi qu’un court-métrage
d’après une nouvelle de Marguerite Yourcenar. Caza
un dessinateur touche à tout avec un univers très terre à terre.
Gamin, j'avais été marqué, et enthousiasmé, par une "courte-BD" parue dans Pilote. Le synopsis était fort simple mais pourtant innovant pour l'époque : la panne de courant ! La panne de courant à l'heure des programmes télévisés du soir ! Terrible !
RépondreSupprimerAlors que La panne de courant était un prétexte à Caza d'aller flâner tranquillement dehors, tout le voisinage se transformait en zombie. Et s'ensuit une lutte inespérée pour la survie. Tous les zombies étant attirés par celui qui ne subissait pas la transformation. Qui était différent.
Le trait de Caza est extraordinaire. Probablement hérité des comics américains, il est à la fois limpide, expressif et extrêmement précis, tout en restant ancré dans la BD. Un maître.