- Belle mélodie au piano M'sieur
Claude… On pense à Schubert, sans doute écrite à une période heureuse à mon
sens…
- Très relatif ma chère
Sonia… Oui, Schubert, bravo, mais il ne lui reste que deux mois à vivre, cette
grande sonate semble nous arriver d'un autre monde…
- Il émane de cette sonate
une telle tranquillité, c'est très surprenant. La pochette parle de poésie et de
Vladimir Horowitz…
- Oui, la première
chronique consacrée à ce pianiste à la personnalité pittoresque, l'un des
grands du XXème siècle, l'archétype du génie caractériel…
- Ah bon, il me semble
qu'il est resté très célèbre pourtant…
- Oui, il faut admettre
que sa virtuosité et son sens de la beauté sonore étaient sans limite. Les
artistes de ce niveau ont parfois des comportements déroutants…
Schubert en 1827 |
Septembre
1827. Schubert
n'a plus que six semaines à vivre. Il va composer en cette fin d'été trois
sonates d'une ampleur quasi inconnue depuis la grande Sonate
Hammerklavier de Beethoven
de 1819. Les sonates
pour piano N°19 à 21 (D 958 à D
960). Je suis toujours stupéfait que le compositeur ait pu mener
une telle tâche en aussi peu de temps avec un pied dans la tombe (les derniers
stades de la syphilis compliqués de la typhoïde). Nous avions déjà écouté la sonate n° 19, première de ce groupe sous les
doigts de Rudolf Serkin. (Clic)
Ces
sonates forment un triptyque d'esprit
romantique cohérent et d'une variété mélodique et formelle inouïe. Pour des
œuvres de 35 à 45 minutes, il n'y a aucun temps mort ou remplissage… Les
audaces tonales des sonates n° 19 et 20 sont encore plus transcendées dans
cette ultime sonate achevée le 26 septembre, pour être précis. On parle souvent
du testament musical de Schubert
qui, disparaissant à peine plus âgé que les membres du tragique groupe des 29
dans d'autres genres musicaux, léguait 962 ouvrages à la postérité !!
Attention, petite pondération, les deux derniers "opus" sont des
œuvrettes, et de nombreuses partitions n'ont jamais été terminées, exemple : la
7ème symphonie qui n'a jamais
été orchestrée. Des musicologues ont tenté de le faire, mais bof… La sauce ne
prend pas vraiment, courageuse initiative mais pas géniale ; en m'excusant pour
cette formule un peu triviale.
Comme
je l'ai souvent expliqué, Schubert
ne verra que très peu de ses œuvres jouées et publiées de son vivant. Écriture trop
en avance sur son temps ? Trop timide et vivant à l'ombre de Beethoven mort l'année précédente ? Musique
de chambre trop difficile à interpréter pour les musiciens du début du XIXème
siècle. Un peu le tout. Heureusement, ses œuvres pour piano solo et certains
lieder agrémentent des soirées entre amis, dans des salons, les schubertiades.
On peut penser que quelques privilégiés ont pu entendre les sonates dans les
semaines qui ont suivi la fin des compositions lors de ces réunions musicales.
Schubert les avait dédiées à Hummel,
compositeur et pianiste virtuose, un ami de la dernière heure. Hummel meurt en 1837 soit un an avant la publication des sonates en 1838 par Diabelli
qui, n'étant pas au courant des intentions de Schubert,
les dédie à Schumann. L'étude de la correspondance de Schubert
permettra de rectifier cette dédicace posthume…
Comme pour
les derniers quatuors, la discographie de est pléthorique, ces trois sonates sont disponibles en
album isolé ou regroupées en coffret et complétées d'autres pages de
même intérêt. Aujourd'hui, nous écoutons Vladimir Horowitz enregistré en studio à New-York en 1983.
Une première pour cette légende du clavier, adulé ou détesté pour son caractère
excentrique, mais au talent exceptionnel, il faut en convenir…
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Wanda et Vladimir Horowitz-Toscanini |
Vladimir Horowitz était né à Kiev en Ukraine en 1903 (d'après lui). Sa famille, juive,
est très cultivée et maîtrise le piano en étant proche du virtuose Anton Rubinstein et même d'Alexandre Scriabine, le compositeur moderniste
que le jeune Vladimir rencontrera vers ses 11 ans. Il commence l'étude de
l'instrument vers 5 ans et donne ses premiers récitals à Kharkiv en 1920 et à Kiev en 1921. On raconte qu'à trois ans il aurait pianoté sur une fenêtre
en écoutant jouer sa mère et… brisé la vitre. Costaud le bambin ou vitrage bon
marché😁.
Légende ou réalité ? Peu importe, la frappe du virtuose sera en effet
exceptionnelle, de celle qui casse les touches. ("Liszt sort de ce corps !") Petite
histoire qui m'amène à séparer dans ce portrait : le pianiste et sa carrière, de
l'homme écorché vif qui ferait un personnage au destin romanesque pour une
chronique de notre chère Nema.
Dans
les années 1920 à 1925, Horowitz
reste fidèle à son pays et donne de nombreux concerts. Curieusement, il n'est
pas un surdoué de conservatoire donc il alliera toujours un jeu virtuose et
puissant avec un sens instinctif et subtil de l'interprétation, liberté proche
de l'improvisation qui échappe à tout académisme. De 1925 à 1927, séjour en
Europe où il gagne rapidement en célébrité (le fameux "L'ouragan des
steppes").
En
1927, départ pour les USA qu'il ne
quittera pas souvent, devenant citoyen américain en 1944. En 1928, premier
concert (1er
Concerto
de Tchaïkovski) avec Sir Thomas Beecham. Il
se fait pour le moins remarquer, notamment par Rachmaninov,
présent dans la salle, avec qui il va se lier d'amitié et devenir l'un des
meilleurs interprètes. Il existe une vidéo tardive le montrant jouant la cadence
du 3ème
concerto avec le même détachement que moi massacrant Au clair de
la lune😊.
Le compositeur aux mains géantes ressort à l'intention du pianiste l'une de ses
sonates tellement difficile qu'il n'arrivait pas à la maîtriser lui-même… Horowitz, si ! En 1933, autre rencontre
décisive avec Arturo Toscanini qui a fui
l'Italie fasciste. Il interprète le concerto "l'Empereur"
de Beethoven avec brio et, de plus, le jeune
virtuose épouse Wanda Toscanini, la
fille du maestro ombrageux. Jusqu'en 1939,
il devient New-yorkais et enchaîne les concerts et récitals, faisant preuve
d'une virtuosité sans faille et, bien que son répertoire comporte les grands
classiques, il redonne vie à des compositeurs pionnier du clavier comme Scarlatti et Clementi.
Il enregistre aussi beaucoup. Sa carrière va prendre une tournure chaotique du
fait de plusieurs longues périodes dépressives qui l'éloignent des scènes. Le
public patiente, son succès ne s'éteindra jamais et après la fin du second conflit
mondial, il va parcourir le monde et RCA,
CBS ou encore DG pourront enregistrer des concerts
de légende. Dernier détail : il semblerait qu'Horowitz
soit devenu l'un des solistes les mieux payés de l'histoire de la musique grâce
à des billets hors de prix qui s'arrachaient longtemps à l'avance. L'opposé
d'un Schubert qui subsistait avec difficulté…
Johann Nepomuk Hummel |
Dans
les périodes de déprime, notamment 1969-1974, dans son immense appartement, un
petit studio avait été installé. Des ingénieurs du son attendaient… non pas le
bon vouloir du dieu, mais le moment propice pour enregistrer quelques pièces.
Exemple : un disque Scriabine de 1973 sans égal…
En
résumé, les stakhanovistes du piano imbus d'eux-mêmes ne traversent jamais 70 ans de carrière, surtout avec d'aussi longues absences du concert. Les
artistes tourmentés ont souvent des caractères déconcertants,
vivants dans leur univers fantasque. Horowitz
était sans doute de cette trempe. Il nous quittera en 1986, toujours en activité. Il repose en Italie, partageant la
tombe de Toscanini, son beau-père, et de Wanda disparue en 1998.
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Dernier appartement de Schubert à Vienne en 1828 |
1 - Molto moderato : Commenter
certaines œuvres peut me donner la trouille ! Pourquoi ? Immensité de
l'inspiration, densité mélodique si riche que les mots peuvent paraître bien
inconsistants face au génie. En un mot : peur d'une trahison des intentions du
compositeur, surtout si aucun programme ou contexte particulier ne guide
l'interprétation que l'on s'en fait. Et me voilà face à ce premier mouvement
de… vingt minutes.
Premières
mesures oniriques en si bémol majeur. Une promenade à petits pas, suite
élégante d'accords sur une tessiture finement resserrée. Legato et pp comme si Schubert
jouait en douce, sans vouloir nous brusquer par un quelconque drame caché dans
sa psyché. Des trilles graves interrompent la ballade. Grondement d'un orage
lointain ou pensée anxieuse ? Question très secrète et deux temps et demi de
silence pour tenter d'y répondre au fond de nous-même. Cette lumineuse
introduction assez ambiguë dans sa conclusion sera la thématique porteuse de
tout ce mouvement qui joue sur l'éternité. Elle est reprise quasiment da capo. La lecture de
la partition peut suggérer la monotonie par cette séquence d'accords. Le
miracle Horowitz est de donner une
vie propre à chacun d'eux, un balancement rêveur et poétique. Une indépendance
des mains si libre que l'on songe à un jeu à quatre mains ou deux pianos…
J'écrivais plus haut que le pianiste donnait souvent l'impression d'improviser,
d'où ce climat de fraîcheur.
[0:53]
Seconde idée dans l'esprit de la grande thématique initiale, mais plus animée, vivante
et presque malicieuse avec de tendres arpèges à la main gauche. Étrangement, une
première écoute peut refléter un discours général décousu. Il n'en est rien. La
musique se développe de mille façons, reprend les thèmes en intercalant des
surprises, des chassés croisés, des sourires et quelques larmes, des élans
picaresques.
Et
la forme sonate dans tout cela ? Ô elle existe, mais la sonate semble se
développer dans l'univers du lieder si cher à Schubert.
Oui, un voyage intérieur, un poème pianistique comme il y aura avec Liszt et d'autres des poèmes symphoniques.
Impossible de détailler de telles pages. Bien entendu, au-delà du traitement
fantasque des motifs, Schubert
joue avec jubilation sur les tonalités les plus diverses donc sur la variété
des climats et sur l'essence des sentiments, changeant celles-ci parfois pour
quelques mesures seulement. (La, fa ♯ mineur vs majeur, sol ♭, si ♭,
etc.)
Quant
à l'interprétation, que dire ? Des trois ultimes sonates, la D 960 n'était
pas ma favorite. L'écoute de ce disque d'Horowitz
si lumineux a changé la donne, un style léger opposant mélancolie et bienêtre, une
construction mélodique parfaite mais sans raideur aucune. Jamais lent ni
mortifère, altier certes, mais finement…
Piano du frère de Schubert (supposé) |
2 - Andante sostenuto : [19:15] On
trouvera étrange la brièveté de l'andante après le si long moderato, 8 minutes.
Le sombre Ut ♯ mineur se manifeste dans une marche qui, sans être funèbre, fait
songer à une douloureuse procession avec son motif de carillon lugubre et
lointain dans le grave. On va retrouver de nouveau dans ce mouvement ce climat
proche de certains lieder dominés par la mélancolie comme Le Voyage d'Hiver. [21:33]
Le second bloc thématique plus martial rompt cette marche crépusculaire. Schubert s'échappe ainsi de ses tourments
pour le monde des impromptus, de ces pièces partagées entre amis. La mélodie
retrouve ainsi une gaieté non feinte avant le retour du thème processionnaire
et grave qui évolue vers un léger pathétisme romantique [24:03]. Schubert sculpte un
développement où langueur et rêve s'entrecroisent, encore un mouvement où mon propos
risque à tout instant de paraitre insubstantiel.
3 - Scherzo : Allegro
vivace con delicatezza : [27:16] Dans mes commentaires concernant les
symphonies de Schubert j'ai souvent souligné
l'apparente difficulté rencontrée par le viennois pour terminer ses œuvres avec
un niveau d'inspiration égal que les deux premiers mouvements. La maturité
atteinte, le compositeur a souvent dépassé cet obstacle. (Derniers quatuors, quintette D 956,
9ème
symphonie
– quelques réserves cependant pour cette dernière œuvre orchestrale.) Conscient
qu'il lui est parfois difficile d'imaginer de nouveaux matériaux sonores
ambitieux, Schubert trouve une solution
simple : faire court, tout simplement. Le Scherzo dure quatre minutes, pas plus…
Sans malice de ma part, Bruckner
qui admirait tant Schubert aurait dû en
prendre note😊.
Le
scherzo débute sur une danse joyeuse très articulée, une bonhomie qui chasse les
tensions de l'andante. Une musique encline à la tranquillité, à la facétie. La tonalité
se veut guillerette, celle de si bémol majeur contribue à un chant presque
enfantin sous les doigts au touché délicat d'Horowitz.
[29:23] En mi mineur, le trio très bref semble une énigme de drôlerie
avec ses notes piquées et abruptes. Là encore aucune dureté dans le jeu du
pianiste.
4 - Allegro ma non troppo : [31:28]
Prolongeant la gaité du scherzo, l'allegro conclusif pourrait porter le titre
emprunté à Mozart de "Plaisanterie musicale". C'est un
rondo articulé sur trois thèmes. On oscille entre l'humour badin des premières
mesures et des élans épiques et allègres du développement. Très amusant, et d'autant plus
fascinant que ce sont les dernières pages d'importance qu'écrira Schubert. Comme souvent on s'interroge :
qu'aurait composé ce diable de compositeur si le destin lui avait accordé 30 ou
40 ans de vie supplémentaires…
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Presque
une lapalissade : la sonate D 960 a une discographie
pléthorique ! Je ne reviens pas sur les suggestions de gravures illustres déjà
présentées dans le billet dédié à la 19ème sonate sous les
doigts de Rudolf Serkin
(incontournable lui-même) : Wilhelm Kempff,
Maurizio Pollini, Leif
Ove Andsnes, et puis évidement d'autres nominés : Claudio Arrau, Alfred
Brendel (2 intégrales)…
Si
Radu Lupu n'est pas un jeunot, son jeu
tendu évoque un Schubert qui y croit encore,
plein d'énergie (Decca). Et les
gravures récentes se suivent : Adam Laloum, 31 ans ce jour, semble pénétrer
les pensées troublées du compositeur, voire lui offrir ses mains dans un phrasé poignant teinté de quiétude, un peu rêveur
mais jamais hédoniste ou lambinard (Mirare-2016).
Enfin, "le disque dont on parle" le dernier CD de 2017 du trop rare Krystian Zimerman. Précision, clarté,
raffinement absolu comme toujours. Une beauté totale à mes oreilles, un petit
manque d'engagement pour d'autres (DG).
Notation trop
facile : 6/6 pour tous, pas de jaloux. Pour le plaisir de l'écoute, ces trois CD sont tous disponibles sur
Deezer.
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La
vidéo de la sonate est complétée par les Jeux d'enfants de Schumann, un live capté à Vienne l'année
suivante. La sonate se termine à [38:56]. Le CD dans son intégralité. (Partition)
Je ne suis pas un familier de Schubert hormis quelques symphonies, les trio pour piano et cordes (surtout le n°2 op 100)et quelques lieder, j'ai écouté cette sonate 21 et je pense que je vais approfondir mes connaissances sur le bonhommes que j'ai, déjà, trouvé très sympathique par ses représentations en peinture.
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