- Samedi Saint, veille de Pâques M'sieur
Claude… Une œuvre religieuse évoquant la douleur de Marie au pied de la croix,
choix judicieux… Pas trop triste quand même ?
- Le stabat Mater est une litanie
apparue au Moyen-Âge et souvent mise en musique par de grands compositeurs ; sombre
? Oui quand même, mais avec plein d'espoir…
- Heuu, je crois que Dvořák, de
l'espoir il en avait besoin en cette année-là, un drame familial ai-je lu… Vous
confirmez ?
- Ah ça pour le moins, en deux ans, il avait perdu
ces trois premiers nés.
- Ô mon Dieu (qui n'a pas assuré si
j'ose dire) ! La musique pour lutter contre le chagrin… Est-ce une œuvre importante
dans sa production ? Kubelik est également tchèque…
- Et bien oui, car ce
grand oratorio mystique le fît enfin reconnaître comme un compositeur majeur…
Le disque moderne de Kubelik est excellent…
Calvaire de Rogier Van der Weyden (1399-1464) |
Croyants,
mécréants, athées pratiquants, personne n'échappe à la semaine Sainte et à
la fête de Pâques. J'espère que mes chers lecteurs ont bien respecté ces temps
de carême, de frugalité, de jeûne et d'abstinence (de viande et non pas de
bagatelle contrairement à une idée reçue). Non ? Pas grave, on peut néanmoins
se sentir ému à l'écoute de cette œuvre bouleversante et d'une grande
spiritualité, de la plume du compositeur de la Symphonie
du Nouveau Monde.
Donc,
samedi musical option religiosité avant les agapes pascals de demain : le gigot
d'agneau trop cuit de belle-maman, le chocolat sous toutes les formes. À ce
sujet, on ne devrait manger que des poissons et non pas des poules, des lapins,
des œufs, des Bart Simpson, etc. Le poisson représente à la fois la nourriture terrestre
mais aussi l'eau du Baptême…
- Ô vous en connaissez des choses
M'sieur Claude, j'ai toujours du mal au moment de casser les oreilles des
lapins…
- Ah bon ? Je n'ai pas d'exigences
particulières… Addiction au chocolat, j'assume… Prenez un peu de fritures
Sonia, là…
- Merchi, moui, chocolat
doir, il est pon…
Stabat Mater ? Petit précis
d'histoire de la liturgie de la religion catholique pour les absents au catéchisme…
- Amen… Père Tooooon…
- Bon dites Sonia, le
Chocolat est euphorisant, mais là on parle d'une œuvre spirituelle et de la
mort de 3 bambins…
- Désolée M'sieur Claude… Je sors…
Le
culte marial (dévotion à la Vierge Marie) n'existait pas réellement au début de
la chrétienté. Les Évangiles (transmis par cœur à partir des écrits encore
rares) en parlent comme de la mère du Christ mais Elle n'a aucun rôle
prophétique. Une mère attentive qui sera au pied de la croix comme il se doit. Stabat Mater = La mère se tenait debout. La passion du fils : un destin
prophétisé par l'ancien testament et donc inévitable, mais bien douloureux néanmoins pour une mère…
Le
Concile d'Éphèse en 431 confirme son
importance comme mère de Dieu. Cependant son essence divine est niée. Oui mère
de Dieu, par le dogme de la Sainte Trinité : Dieu + Jésus Christ + Saint Esprit.
Pourtant il est notoire que la dévotion, pour ne pas dire la vénération, va
prendre une place excessive tant pour l’Église romaine que pour l'Église byzantine
et va perdurer après le schisme d'orient en 1054. Dans la ferveur populaire, la Vierge va occuper une place au
moins égale à celle du Christ : icônes, statues, processions pour toutes les
demandes possibles d'intercession ou de réclamation, apparitions en tout temps
et en tout lieu, même de nos jours. Fatima et encore plus Lourdes font plus
recette que la messe du dimanche ! Un constat, pas une opinion et encore moins
un jugement. Jean-Paul II, en bon polonais, n'avait d'yeux que pour Marie…
La
réforme de Luther va redonner à Marie sa
place théologique initiale :
une personnalité pieuse et exemplaire mais à laquelle on ne voue pas de culte
particulier, pas plus qu'aux saints d’ailleurs.
Dvořák vers 1880 |
XXXXXXX |
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Dvořák a peu composé de musique religieuse et aucunement
sur commande. On lui doit une messe et surtout un Requiem en 1890, ouvrage aussi ambitieux que le Stabat Mater
et qui supporte parfaitement la comparaison avec ceux de Berlioz
ou de Verdi. (Une chronique est
envisagée.) Deux œuvres personnelles et intimes, écrites, notamment pour le Stabat Mater, dans un contexte impossible
à passer sous silence.
En
septembre 1875, le compositeur ne connait
pas encore une grande notoriété. Il mettra plus de temps que des confrères
comme Mozart, Schubert
ou Mendelssohn (enfants et ados surdoués) à
maîtriser son style, enrichir les mélodies, gagner en concision. (Premiers quatuors
et symphonies
parfois trop longs et à la thématique guère accrocheuse.) L'ange du mal frappe au
mois d'août la famille Dvořák,
sa première née et second enfant Josefa
n'a vécu que deux jours. La douleur va-t-elle stimuler la force créatrice
d'Antonin, on peut le croire. Le Stabat Mater qu'il commence pour
surmonter l'épreuve sera le virage qui lui permettra d'accéder à la renommée internationale.
Il compose alors une première version pour solistes, chœur et clavier qu'il
conserve sans la publier. Deux année passent avant l'indicible : fin de l'été 1877, Otakar (né en 1874) puis
sa sœur Růžena (née en 1876) sont emportés à leur tour. Dvořák n'a plus d'enfants, un homme brisé !
(Les Dvořák auront encore six autres enfants.)
Dvořák reprend de nouveau sa partition, ajoute trois
parties et une orchestration. En novembre 1877,
le travail est achevé. Il faut attendre décembre 1880 pour la création. L'ouvrage est austère bien entendu, sans les
éclats du Requiem,
mais bouleverse par sa piété sans affectation, sa sincérité. On le publie à
Berlin et, dans les cinq années qui suivent, toutes les grandes villes d'Europe
vont pouvoir le découvrir. Étrangeté du destin, l'écriture du Stabat Mater
suite à ces drames épouvantables va ouvrir la porte de l'histoire de la musique
à Dvořák.
L'effectif
est classique de l'époque romantique : 4 solistes, chœurs mixtes, 2/2/2/2 +
cor anglais, 4/2/3 + tuba, timbales, cordes et orgue.
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Edith Mathis, Anna Reynolds, Rafael Kubelik
Wieslaw Ochman, John Shirley-Quirk |
Il
est indéniable que la discographie de qualité parait chasse gardée des chefs
d'origine tchèque. Ou alors, il s'agit d'une impression due à l'intérêt que
portent ces maestros à leur patrimoine national. En 1976, Rafael Kubelik vient
d'achever une des premières intégrales Mahler
avec l'Orchestre de la Radiodiffusion Bavaroise,
une phalange habituée aux grandes œuvres chorales depuis sa création par Eugen Jochum. Voir la biographie de Kubelik à propos de la
Moldau de Smetana
(Clic)
et de la 7ème
symphonie de Dvořák.
Avec cette formation symphonique qu'il connaît bien, Il réunit ici quatre
chanteurs qui exercent souvent leurs talents dans l'univers des oratorios et
autre cantates, en parallèle d'une carrière lyrique traditionnelle. Un bon
choix :
Edith Mathis : la plus connue de la distribution sans
doute. Cette soprano au timbre séraphique était dans les années 60-80 complice
des plus grands, tant pour l'opéra que pour la musique sacrée. Quand on parle
des plus grands : Kubelik, Karl Richter, Böhm,
Karajan… Incontournable dans Mozart.
Anna Reynolds : d'origine anglaise, la contralto a
assuré une carrière polyvalente tant sur les grandes scènes européennes que
dans la musique religieuse, notamment de Bach
à l'époque où les voix masculines n'avaient pas pris définitivement le pouvoir.
Chantant parfaitement l'allemand, elle fut souvent invitée à Bayreuth dans des
rôles wagnériens.
Wieslaw Ochman : un ténor polonais surtout connu dans
son pays, une voix légère très appréciée dans le répertoire religieux.
John Shirley-Quirk : lui aussi anglais, ce baryton-basse a
bien servi les opéras de son compatriote Benjamin Britten
et a souvent chanté les parties de basse en musique sacrée.
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Descente de croix - Marc Chagall |
L'ouvrage
comporte dix parties, le Stabat Mater introductif durant à lui seul une petite
vingtaine de minutes. Comme souvent dans les grandes œuvres religieuses des
âges classique et romantique, alternent : le chœur seul, des passages dédiés à une voix solo, un duo ou le quatuor vocal, accompagné ou pas du chœur. Détailler cet
oratorio expansif dans sa globalité n'a pas d'intérêt pour l'auditeur, quelques
exemples caractéristiques du talent et de l'humanité de Dvořák
permettent de montrer la grande variété de son inspiration malgré un sentiment
général d'austérité.
Le
compositeur a pris quelques libertés avec le texte latin "prescrit" par
le Saint-Siège. On trouve sur le web ou, plus pratique, dans les livrets, le
texte et sa traduction. C'est le cas pour cet album. Enfin, on note que tous les tempos sont retenus : largo, larghetto, andante… Le timing est celui de la vidéo. (En espérant que YouTube la maintienne !)
1. Stabat Mater dolorosa
|
Douloureuse, la mère se tenait
debout
|
|
2. Quis est homo, qui non fleret
|
Quel homme ne pleurait pas ?
|
18:31
|
3. Eja Mater, fons amoris
|
Ô toi mère d'amour
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29:48
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4. Fac, ut ardeat cor meum
|
Fait que mon cœur brûle
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37:09
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5. Tui nati vulnera (*)
|
De ton fils blessé
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45:23
|
6. Fac me vere (*)
|
Fait donc que je pleure avec toi
|
50:35
|
7. Virgo virginum (*)
|
Vierge illustre entre toutes les
vierges
|
58:15
|
8. Fac, ut portem Christi mortem
|
Fais que je supporte la mort du
Christ
|
1:04:45
|
9. Inflammatus et accensus
|
Enflammé et brûlant…
|
1:10:18
|
10. Quando corpus morietur
(*) Ajouts dans la version de 1877 |
Quand mon corps sera mort
|
1:16:50
|
L'introduction
orchestrale est une page émouvante chez ce compositeur qui dans ses premières
symphonies nous avait habitués à une orchestration rude (bourrin dirait Bruno)
plaquée sur des thèmes assez rustiques voire prosaïques (exception, la 3ème
symphonie et son climat pastoral - Clic).
Une
longue mélodie en forme de litanie se développe aux cordes (dominante des
violons) illuminée par des éclats diaphanes des bois et des cuivres (sans les
trombones et les contrebasses). Bien plus qu'à la tristesse, cette musique
crépusculaire nous invite à la compassion, au partage de la détresse d'un
homme, d'un couple, qui vient de perdre une grande partie de sa raison de
vivre. Un crescendo souligne la violence de la tragédie qui vient de se
dérouler au Golgotha. Léger climax qui s'efface assez vite sur un solo des
flûtes pour se recentrer sur la douleur d'une mère blessée dans sa chair par le
martyr de son fils.
[3:23]
Les ténors soutenus par les cors seront les premiers à entonner le texte, suivis
par les sopranos, les altos et les basses. Le chœur suggère à la fois la
méditation et l'affliction. À l'évidence Dvořák
privilégie l'aspect lyrique de sa composition. L'orchestre ne s'impose jamais
en tant que tel a contrario de celui d'un Verdi dans son requiem. L'ensemble va
gagner en puissance, l'expression de la violence des dernières heures, de la
marche au supplice, en aucun cas un esprit de colère envers les bourreaux.
[8:04]
Le ténor va chanter le texte in extenso de la première partie avec
véhémence. Je me dois de souligner la qualité de l'élocution de Wieslaw Ochman pour ce texte latin. Une
remarque s'impose alors : Dvořák
choisit une ligne de chant pure et limpide, sans aucune fioriture ou vocalise
brillante un peu déplacée dans le contexte. Et puis toujours cet
accompagnement discrètement coloré de l'orchestre avec des bois subtilement
concertants. [9:11] Le chant retrouve un peu de gravité avant de céder la place
à la soprano Edith Mathis pour la seconde
partie du texte qui insiste sur la piété de la mère [10:24]. Interruption de la
basse puis duo avec la soprano. De mesure en mesure, John
Shirley-Quirk et Anna Reynolds, basse et alto vont
rejoindre ténor et soprano, le chant va ainsi s'organiser entre les quatre voix
entrelacées, vraiment toutes au top. Bravo aux ingénieurs du son. Avec cette
construction progressive, Dvořák
témoigne d'une grande habileté pour équilibrer la place "théologique"
du texte et la beauté plastique de la musique. (Partition)
Toutes
les parties vont émouvoir de la même manière par ce jeu subtil entre les voix
solistes qui ont une place privilégiée comme dans la seconde partie confiée au
quatuor. Ce Stabat
Mater se refuse à la moindre dérive spectaculaire. Par rapport à
d'autres grands oratorios ou requiem du grand répertoire, il se mérite, du fait de
son intériorité dramatique sans doute. Oui, intériorité, même si le compositeur
avait un faible pour la version orchestrale et aima que l'on joue sa partition
à Londres avec pas moins de 800 choristes !!! La direction de Kubelik, comme souvent, met l'accent sur
la clarté et les couleurs de l'orchestration, un discours à la fois transparent
et enfiévré.
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Il
existe nombre de gravures concurrentes d'un intérêt égal, mais aucune ne se
détache vraiment voire dépasse la qualité de ce disque Kubelik.
On retrouve ainsi l'enregistrement de 1962
de Václav Smetáček réalisé avec la
philharmonie tchèque. J'avais découvert l'œuvre avec une édition vinyle chinée
chez un disquaire de Prague vers 1975… Hélas, le son épouvantable du pressage
Supraphon faisait passer à côté de la passion pathétique et des traits
saillants du phrasé distillé par ce chef historique. La réédition CD est
correcte, sans plus, la ligne de chant apparaît datée à mon sens. (SUPRAPHON – 5/6).
Pour
les passionnés de chant choral, Laurence
Equilbey et son ensemble Accentus nous font vibrer avec son interprétation de la
première partition de 1875 en sept parties. Au piano, une grande dame : Brigite Engerer. (Naïve – 5/6).
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