Nous
avions déjà évoqué l’écrivain Laurent Binet, avec le désopilant - et parfois
agaçant - LA 7EME FONCTION DU LANGUAGE. Voici le livre qui l’a fait connaître,
primé d’un Goncourt du premier roman en 2009, HHhH.
Reinhard Heydrich |
Titre
énigmatique, signifiant : Himmler Hirn heiBt Heydrich, ins Französische übersetzt (in french) : Le cerveau de Himmler s’appelle Heydrich. Ce qui nous éclaire
pas plus. C’est à la fois le portrait du dignitaire nazi Reinhard Heydrich, vraie caricature d’aryen, grand, blond, mince (mais apparemment doté d’une voix
de crécelle insupportable), chef de la Gestapo, des Services secrets, n°2 après
Heinrich Himmler... et le récit de l’attentat
perpétré à Prague en juin 1942 qui lui coûta la vie. Récit rocambolesque de l’opération
Anthropoïde, montée conjointement par les anglais et les tchécoslovaques, en
exil à Londres.
Mais
si c’est un livre d’Histoire, pourquoi le Goncourt du premier roman ? C’est
là que l’affaire se corse. Souvenez-vous de la LA 7EME FONCTION DU LANGUAGE, où
l’auteur s’amusait à romancer la vie de personnages réels, philosophes,
politiques, écrivains… Dans HHhH, on est dans un autre type d’intrusion, mais
il y a un air de famille.
lieu de l'attentat |
HHhH
est le récit de Laurent Binet qui veut écrire sur les héros de l’opération
Anthropoïde, mais hésite dans le style à prendre, se remet en question. Il
évoque son travail de recherche, il raconte les faits, souhaite les romancer. Il
écrit, corrige, rature, modifie, efface. En nous expliquant pourquoi. Notamment
dans les scènes dialoguées, parfois basées sur un enregistrement sonore (seule
documentation disponible et fiable) parfois totalement inventée. Et Laurent Binet
d’avouer, pas gêné : « en fait, ils ne se sont sans doute pas dit ça,
ou pas comme ça… mais ça sonne bien ». Plus tard il y aura tout un développement
sur la couleur de la Mercedes d’Heydrich, que d’autres historiens voient noire,
quand Binet la voit verte.
Toutes
ces interventions de l’auteur dans son propre récit sont souvent drôles,
cocasses, pertinentes. Et font toute la saveur et l’originalité de ce livre.
Mais peuvent aussi agacer, couper l’élan, gêner parfois, car on ne peut s’empêcher
de se dire : cette scène, là, c’est une vraie ou pas ? A mettre en
scène ses hésitations, Laurent Binet peut jeter le doute sur son travail
documentaire. Le livre interroge donc sur la notion de vérité historique, jusqu’au
bout pousser le curseur.
le commando, caché dans une crypte, noyé par les SS |
Les
chapitres sont très courts, il y en a 257 ! Le style est parfaitement fluide, c’est
un récit parfaitement huilé, et même les dérapages sont contrôlés. Pourtant, le
récit consacré à Reinhard Heydrich, est plus intéressant que celui des trois
membres du commando Anthropoïde : Jozef Gabčík, Jan Kubiš et Josef Valčík.
Pour une raison simple : les faits et gestes quotidiens de l’Obergruppenführer
sont archivés, alors que, par définition, les allers et venues clandestines des
membres du commando, ne le sont pas.
le commando Anthropoïde |
Les
récits se rejoignent le 27 mai 1942, quand le commando attaque la voiture d’Heydrich,
à Prague, dans un virage. Et rien ne se passe comme prévu. Un tramway intempestif, une mitraillette qui s'enraye, une proie plus vive que prévue... La scène
de quelques secondes est décortiquée sous tous les angles, un peu trop sans
doute. La réaction du régime nazi sera terrible, des représailles qui
culmineront avec le massacre du village de Lidice, en Bohême, littéralement
rayé de la carte, selon les vœux d’Hitler. Car si l’attentat est raté, Heydrich
succombera quelques jours plus tard d’une infection provoquée par le crin de
cheval dont étaient rembourrées les banquettes de la Mercedes, poils de crin
retrouvés dans la plaie superficielle qu’il avait au flanc.
Après
une enquête de police qui n’arrive à rien, Gabčík, Kubiš et Valčík seront trahis,
mais résisteront armes à la main, au fond d’une crypte d’église aux bataillons
SS venus les déloger. Et là, par contre, Laurent Binet rallonge bien trop la
sauce.
Dans
sa mise en abîme du récit, Binet interpelle aussi d’autres auteurs, de films,
de livres, qu’il a consultés, qui vont orienter son propre travail. Et donne
son avis, sur la qualité documentaire ou littéraire de ses confrères ! Il
s’en prend notamment à Jonathan Littell, auteur de LES BIENVEILLANTES, Goncourt
2006, un roman sur les Einsatzgruppen, dans lequel apparaissaient des
personnages réels, comme Heydrich, responsable de ces escadrons de la mort. L’hôpital
qui se fout de la charité. Il charrie un peu, Binet, agace parfois par ses
jugements péremptoires.
La
lecture ne laisse pas indifférent, le travail de recherche est colossal, la
mise en forme du récit est ingénieuse, parfois fascinante, ou redondante.
Le
roman a été adapté au cinéma par Cédric Jimenez, en 2017.
Un livre qui est surement très intéressant, même si l'auteur joue un peut avec la réalité. L'histoire de l'attentat sur "le boucher de Prague" a souvent inspiré cinéastes et auteurs. La première fois que j'ai entendus parler de l'histoire de l'Opération Anthropoid était dans un livre de Christian Bernadac "Les médecins maudits" (Edition France Empire 1967). Une chronique très intéressante !!!
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