vendredi 24 novembre 2017

LA SEPTIEME FONCTION DU LANGAGE de Laurent Binet (2015) par Luc B.





Roland Barthe
Laurent Binet est un agrégé de lettres, prof d'université comme en collège de Seine Saint Denis. Son premier roman en 2010, HHhH mettait en scène des personnages réels dans une vraie-fausse fiction (l’attentat du nazi Heydrich à Prague). Le procédé est le même ici, avec LA SEPTIEME FONCTION DU LANGAGE, mais en plus goûtu, car contemporain.

Nous sommes en 1980. Le philosophe et sémiologue Roland Barthes est fauché en pleine rue par une camionnette. Il sortait d’un déjeuner avec François Mitterrand. Les Renseignements Généraux sont aussitôt sur le coup  en la personne du commissaire Jacques Bayard, qui va tâcher de découvrir s’il s’agit d’un accident, ou d’un assassinat. N’y entendant rien en philosophico-sociologico-littérature, Bayard va s’adjoindre de force un jeune prof de sémiologie de Vincennes, Simon Herzog, qui devra le seconder dans son enquête, et lui traduire tout ce fatras intellectuo-gauchiste-bande-de-chevelus-fumeurs-de-shit qui pullule sur la place de Paris.  

Plutôt qu’un essai de sémiologie déguisé en polar, il vaut mieux prendre ce livre au premier degré, comme un divertissement jouissif, qui scrute avec acidité le microcosme intellectuel français de la fin des années 70. Et tout le monde y passe. BHL, Jacques Derrida, Delleuze, Michel Foucault, Jean-Edern Hallier, Philippe Sollers et sa femme Julia Kristeva, mais aussi Giscard, Poniatowski, Mitterrand, Fabius, Lang, Debray, Serge Moati… A se demander comment ce roman a pu sortir sans une dizaine de procès ! Laurent Binet s’en donne à cœur joie pour s’amuser de tout ce petit monde, croquant des portraits irrésistibles. A nous de démêler le vrai du faux. Les errances nocturnes et sous acide de Michel Foucault dans des back-room gay, de jeunes éphèbes dévoués à ses genoux, la féministe Julia Kristeva reléguée à sa cuisine pendant une longue scène de repas chez Sollers, BHL en rut…

C'est qui ? Y sont beaux...
Le roman aligne de longues scènes de dialogues, de débats parfois abscons, mais qu’importe si on ne pige pas tout. Ou rien. C’est justement une des critiques du livre, se moquer de ces nouveaux philosophes qui jonglent avec des concepts érudits auxquels personne ne comprend rien, au style fumeux, hasardeux, une philosophie détachée de la science, la nouvelle école française qui aurait envahi les campus universitaires de par le monde ! Et le livre nous fait voyager…

Sollers et Kristeva
L’enquête de Bayard commence à Paris, mais rapidement la clé du problème se trouverait dans un cercle intellectuel très fermé, le Logos Club, où l'on s'affronte en duel avec comme arme : la rhétorique. Le perdant y perd un doigt, Sollers y perdra ses deux couilles ! Cercle infiltré par Bayard et Simon Herzog, qui se révèlera un redoutable adversaire dans ces joutes oratoires. Puis deux Dupont/Dupond filent en Italie, rencontrer Umberto Eco.

La séquence est sans doute trop longue, les joutes verbales retranscrites par Binet cassent le rythme du roman. Où l'on se dit que l'auteur se regarde écrire - un reproche à lui faire, parfois. Mais l'épisode italien est aussi prétexte à rencontrer de nouveaux personnages (et y’en a beaucoup) et qui culmine avec l’attentat en gare de Bologne, superbement écrit, qui relance l’action jusqu’à la jubilatoire séquence dans une université de Los Angeles, où tous les protagonistes sont venus pour un séminaire, qui se transforme en immense lupanar (ah le vieux réac Bayard sodomisé par une lesbienne !) et champ de bataille.  

Les cadavres s’accumulent. Comme dans les bons romans d’espionnage, il y a toujours une DS noire au coin d’une rue, des tueurs patibulaires bulgares (le fameux coup de parapluie), d’autres japonais, en Fuego, chacun épiant l’autre, chacun cherchant la vérité : Roland Barthe était-il ou non détenteur de la Septième fonction du langage, celle qui fait d’un orateur exercé un homme aux pouvoir infinis. Et l'a-t-il transmise à quelqu'un ?

Le bouquin est vraiment drôle, truculent, insolent, par les personnages croqués, les situations, les dialogues, par le style même de l’auteur qui nous apostrophe parfois, maniant la mise en abime de son propre travail d’auteur. Bayard, le flic con et réac, et Herzog le chevelu gauchiste, forment un vrai couple de comédie. La fin pêche en longueur, le dernier retour en Italie avec le député mafieux est sans doute de trop, Binet ne semble pas vouloir boucler son histoire, lâcher ses personnages, et rajoute des couches superflues. Mais l’ingéniosité de l’intrigue, les multiples rebondissements rocambolesques, les gags, le secret enfin dévoilé, et toute cette galerie de personnages passés à la moulinette de la fiction, est proprement jubilatoire. Ca peut coincer, on peut décrocher. Mais si ça passe, ce bouquin est un joli moment de lecture.

Livre de Poche, 478 pages  

2 commentaires:

  1. A la question "C'est qui ? Y sont beaux..." je répondrais : BHL en peignoir et Arielle Dombasle...
    Ça à l'air bien barré ce roman...

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