mercredi 22 novembre 2017

BLACK COUNTRY COMMUNION "BCCIV" (22 septembre 2017), by Bruno





             Alors en voilà bien un sur lequel on n'aurait pas parié un radis. Rappelez-vous, la rupture avait été douloureuse. Glenn Hughes n'avait pas apprécié que Joe Bonamassa parte pour une longue tournée solo, alors que le dernier disque de Black Country Communion, "Afterglow", venait de sortir et qu'il n'avait pas encore pu être promu sur scène. Glenn s'était senti trahi. Blessé, il interpella Joe qui n'apprécia guère les remontrances. Ce fut le début d'une querelle qui alimenta les potins de la presse. Une dissension qui prit malheureusement des allures de chamailleries dignes de la "press-people", voire des crétins de la télé-réalité. Mais là, le niveau d'abrutissement est trop élevé pour être comparable.
"Bisou ! " - "Arrêtes, t'es con. On nous regarde"

       Le quatuor aurait dû prendre un peu de repos avant ce troisième opus. Marquer une pause, lâcher la bride pour laisser chacun vaquer à d'autres activités, pour se ressourcer ou calmer leur ego. Bonamassa, bien que paraissant infatigable, véritable boulimique du travail dans la musique, avait alors besoin de passer à autre chose. Et certainement aussi de se sentir à nouveau le centre d'attraction, tout comme d'être le seul maître à bord. Lorsque l'on s'est investi dix années dans une carrière solo, qui a porté ses fruits en étant plébiscitée par la presse et par des spectateurs venant sans cesse plus nombreux à ses concerts, avec quatre albums d'affilée n° 1 du Top Blues US du Billboard, on peut comprendre qu'il est difficile de faire une croix dessus. Ne fusse que pour un temps limité. Il devait craindre qu'une trop longue absence ne nuise à sa carrière solo et à tout son travail passé.
Cependant, il aurait pu reporter son escapade, et surtout, logiquement parler de son besoin et de son souhait.
Bref, il a fini par reconnaître ses torts et présenter ses excuses. Une petite période de convalescence de Glenn Hughes a été l'occasion à ces deux fortes têtes de renouer doucement des liens.

        Dans le courant de l'année 2016, c'est Joe qui remet sur le tapis le groupe avec le projet d'un nouvel album à la clef. Il n'y eut guère d'hésitations, tout le monde était d'accord. Il ne manquait plus qu'à accorder les plannings de chacun.


            D'après les intéressés eux-même, soit Hughes et Bonamassa, l'album a été facile à réaliser. Les idées fusaient de toutes parts. Joe avait déjà dans sa besace un lot inépuisable de riffs heavy, et l'alchimie entre lui et Glenn n'avait jamais été aussi forte.
Quant à l'implication de Jason Bonham, comme le dit si bien Glenn, lorsque l'on a un "Bonham" derrière soi, on est dans une zone de sécurité. On est sûr qu'il en sortira toujours le meilleur.
Sachant qu'au temps de Trapeze, il jammait déjà avec le père, il sait de quoi il parle. Et puis, pas plus haut que trois pommes, Jason martelait déjà consciencieusement les fûts sous l’œil attentif du paternel. 
de G à D : Bonamassa, Bonham, Hughes et Sherinan

       Le groupe agissant d'abord comme un power trio, le rôle de Derek Sherinan reste au second plan. Principalement relégué en arrière par l'imposant travail de Bonham et de Bonamassa. Tous deux dégagent une énergie habituellement propre à de jeunes loups saturés de testostérone, et semblent vouloir faire feu de tout bois. Des sauvageons. Quoi qu'aussi, Glenn Hughes, qui affiche pourtant soixante-cinq balais au compteur, est loin de ménager sa peine. Il semble même avoir mis de côté ses penchants Soul et Funk pour s'affirmer plus profondément dans un idiome pur de Heavy-rock viril. Ces derniers disques solo sont d'ailleurs vraisemblablement ce qu'il a fait de plus costaud. Paradoxalement, et c'est tant mieux, les cris intempestifs aptes à vriller les tympans les plus solides ne sont plus qu'une composante du passé. L'âge y est peut-être pour quelque chose, l'obligeant à ménager ses cordes vocales. Son chant dégage de la rage, du mordant, tel un prolétaire harassé par un travail éreintant et aliénant, peu valorisant et mal payé, utilisant le chant comme un exutoire afin de préserver sa raison. Sa mère était atteinte d'un cancer avant les premières séances d'enregistrement, et en janvier, il dut quitter précipitamment le studio pour retourner en Angleterre et rester à son chevet jusqu'à son décès, survenu moins de vingt heures après son arrivée.

     Toutefois, pour en revenir à Derek Sherinan, si ses claviers ne sont jamais l'élément clef des chansons, la musique étant uniquement la composante du travail du duo Hughes-Bonamassa, jamais jusqu'à présent, du moins en studio, on ne lui avait accordé autant d'importance. C'est à bien des lieux des formations mythiques armées de consistants claviers des années 70, tels que Deep Purple, Kansas, Uriah Heep, UFO, ou Rainbow. Cependant, on discerne nettement plus son jeu qu'auparavant. De plus, on lui offre sur un plateau quelques plages où il peut mettre son talent en exergue.

     Enfin, des quatre albums, cet inespéré "BCC IV" est celui qui tient le plus la route. C'est le plus cohérent et le plus homogène. Mais aussi, dans l'ensemble, le plus robuste. Même si, parallèlement, il prend plaisir - et avec réussite - à taquiner le Rock-progressif. Rien qui s'apparente aux ténors Anglais du genre des 70's, mais bien dans une optique Heavy, telle que la pratiquaient les groupes de Blackmore, voire d'Uriah Heep.



          Le disque démarre comme si une bande de belliqueux, relaxée après une incarcération, ayant trop longtemps rongé leur frein, pouvait enfin libérer une accumulation d'énergie qui allait les rendre fous. C'est une explosion extatique de Heavy-rock en droite ligne de Led Zeppelin. Avec un Jason plus "Bonham" que jamais, avec une frappe lourde et souple à la fois, qui pulse, palpite, comme le cœur d'un titan.  "Collide" est un morceau puissant, débordant de vitalité. Du pur Heavy-rock classique - dans le bon sens du terme - possédant tous les atouts - et atours - dont on fait les morceaux de bravoure du genre (le mouvement principal possède même un petit côté "Black Dog"). La troupe, rusée, l'a choisi pour le mettre en ligne depuis août dernier, afin d'appâter le chaland. "Ne vis pas et ne meurs pas dans la haine" scande Hughes.
   A côté, "Over My Head" peut surprendre. Si l'orchestration demeure assez lourde, absolument typée Heavy, avec notamment un riff binaire (qui, au passage, prouve encore une fois qu'il n'est pas nécessaire d'être un as du manche pour pondre un bon riff), le chant de Glenn par contre, jongle avec quelques inflexions pop. Un contraste un peu audacieux mais duquel il est assez coutumier, et qui permet de sortir ce morceau d'un registre plutôt conventionnel pour l'amener à une certaine hauteur.

   Avec "The Last Song for my Resting Place", B.C.C. rentre de plain pied dans une des cathédrales du Rock-progressif 70's. Cependant, il ne dépose par ses armes au vestiaire ;  sans abandonner son attirail de barbare. Avec la mandoline et le violon aux consonances celtiques, le chant ici narratif de Joe, les instants "gros bourrin" intermittents, on pénètre dans une ambiance saturée de copieux parfums mélangés, émanant tant de Jethro Tull que de Rainbow (1ère version), avec quelques soupçons d'un Purple coverdalien et/ou d'un Whitesnake, notamment grâce au chant de Bonamassa qui évoque un jeune Coverdale. Mais aussi le solo dont les vibratos et les bends sont issus de l'école Blackmorienne ; l'utilisation d'une Stratocaster renforçant l'affiliation. Une fausse accalmie qui ne prépare en rien à la bourrasque qui suit. "Sway" allie des violons angoissés à un riff de frelon stéroïdé et irrité, sur lequel Glenn éructe d'un ton menaçant, tandis que Jason se prend pour un forgeron en plein labeur. Petit clin d’œil à "Won't Get Fooled Again" dans le break

   Retour au calme avec "The Cove". Enfin pas vraiment, car si le morceau évolue bien sur un tempo lent, il y a une lourdeur moite, sombre, quelque peu oppressante, qui renvoie droit à Black Sabbath. Sujet sérieux pour Glenn qui en profite pour évoquer son amour pour les dauphins et son inquiétude quant à leur protection contre la démence des hommes. Il aurait suffit que Joe emprunte la "Old Boy", la Rangemaster et un Laney de Tony Iommi, pour en faire une porte directe d'accès à l'univers du Sabb'. Ou plutôt, à quelque chose qui pourrait être la symbiose du quatuor de Birmingham avec le Deep-Purple Mark III. Probablement pas vraiment un hasard puisque Glenn a fait partie des deux combos. 
Si "The Crow" maintient encore des liens avec le sabbath noir - cette fois-ci post-Ozzy - c'est dans un registre nettement rapide. Du moins jusqu'à l'excellent break qui, après un des trop rares solo de Hughes, s'amuse à imiter deux icônes : Jon Lord et Ritchie Blackmore (Rainbow ère Dio pour le 2sd). Hughes ne ménage guère sa basse, ses coups de médiator assénés avec force font claquer les cordes contre la touche.

   Étonnement, on ne sent pas passer les huit minutes de "Wanderlust" qui défile tel Diablo (vent californien) s’immisçant dans les rues de San Francisco, les réchauffant sous son passage, faisant voleter jupes, chapeaux, et détritus. Ce morceau, au tempérament proche d'un Rainbow (entre "Down to Earth" et "Difficult to Cure") parvient à allier une relative finesse, relayer par un piano tempéré, à l'approche robuste de la batterie et de la guitare, dans un souffle épique. Hughes a un regard amer sur son passé, mais il a réussi à surmonter ses épreuves et a trouvé la rédemption. Il revit. "... I don't feel so hollow, long in my past I wast cast ; leave it in the dust ... Another world I see. Now, it don't feel the same. Oooh, and I want to be free. Don't put me in the flame"

   Malins les gars. "Love Remains" recycle la rythmique de "The Wanton Song" en y rajoutant quelques sombres licks Blackmoriens (encore lui !), des nappes de claviers, entrecoupé de refrain typé Coldplay (!). Malins ! Toutefois, là où nombreux sont ceux qui se seraient couvert de ridicule, eux, sont couronnés de lauriers. 
"Awake" porte également également le poids du dirigeable, précisément dans ce cas, celui de "Presence". Cependant, là encore, lorsque Derek provoque Joe pour une petite joute, l'image du mythique et regretté duo Lord-Blackmore remonte à la surface.

   On frôle le feu d'artifice avec le final, "When The Morning Comes", qui réunirait presque le meilleur des ingrédients préférés du quatuor. Du Bad Co, du Led Zep, du Sabb', du Deep Purple (mark II - 2sd essai), et même du Uriah-Heep pour le coda, mais également, tout simplement, du Glenn Hughes et du Bonamassa. Ou comment faire du Heavy-rock sans en faire des tonnes, sans brailler, sans balancer à tort et à travers des kilos de soli hasardeux. Ou comment partir sur une ambiance introspective aux senteurs boisées pour lentement, progressivement, avec quelques hésitations, prendre de la force et de la consistance. Un travail époustouflant des maîtres Bonham et Hughes.



          Si Black Country Communion s'inscrit toujours dans la continuité d'un Heavy-rock 70's, proche des Led Zeppelin, Bad Company et Black Sabbath (pour les plus évidents), il convient dorénavant de rajouter celui de Deep-Purple et de Rainbow (ère-Dio, avec parfois un débordement sur les années 79 à 81). Cela en raison des interventions d'un Derek Sherinan paraissant focaliser sur Jon Lord - à moins que tout simplement il présume que ce style était, et reste, le mieux adapté au genre -, ainsi celles de Joe Bonamassa dont la guitare n'avait jusqu'alors jamais autant pris de teintes pourpres et "arc-en-ciel". 
Cependant, il demeure assez concis ; il se garde bien d'en faire trop afin de rester soudé à la bande. Il n'a jamais été aussi peu expansif. Toute proportion gardée, ces interventions semblent privilégier l'instant présent, le feeling, à la technique. Ça respire l'improvisation, ou semi-improvisation. Il bien moins à faire de l'épate que quérir une couleur, une ambiance particulière, en fonction du morceau. Ainsi le solo de "Collide" est d'une grande simplicité, se contentant de quelques notes ouvragées par des vibrato torturés et de bends abyssaux.

     La longue hibernation de B.C.C. lui a permis de recharger les accus et de retrouver l'inspiration. Si on ne va pas crier au génie innovateur, force est de constater qu'avec et album B.B.C. rentre - on plutôt retourne - dans le club des supergroupes qui comptent.
La production de Kevin Shirley (qui décidément ne parvient pas à lâcher la bride à son poulain) est moins chargée qu'auparavant, évitant soigneusement de l'écraser sous diverses couches d'overdubs. Il semble d'ailleurs que depuis quelques temps, il revienne à ses fondamentaux.

Paroles G. Hughes, musique J. Bonmassa & G. Hughes sauf notation
No.Title
1."Collide"4:06
2."Over My Head"4:06
3."The Last Song for My Resting Place(lyrics Bonamassa)7:57
4."Sway"5:24
5."The Cove"7:11
6."The Crow"6:00
7."Wanderlust"8:17
8."Love Remains"4:53
9."Awake"4:42
10."When the Morning Comes"7:55
Total60:31



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Connexions (liens / clic)   ⇊⇓
⤇ "Black Country Communion" (2010)
Joe BONAMASSA : "Dust Bowl" (2011)  ;  "Blues of Desperation" (2016)  ;  "An Acoustic at the Vienna Opera House" (2013)
Glenn HUGHES : "California Breed" (2014)  ;  "Resonate" (2016)

4 commentaires:

  1. Voilà un album de hard rock de très grande classe. Il tourne presque en boucle sur ma platine et je suis passablement étonné qu'il ne rencontre pas davantage d'éloges au regard des productions actuelles ou légèrement anciennes. J'ai pris une claque à la première écoute et je ne m'en lasse pas. Les morceaux sont d'excellente facture, les solis inspirés et nerveux. Joe est excellent lorsqu'il s'approche des rives du Heavy Métal. Le fils Bonham fait le bonheur de son père au Paradis en étant son digne héritier. je le trouve même meilleur que son père. Quant à Glenn, il est impérial, tant sur le plan de la création (son association avec Bonamassa est d'une alchimie sans pareille) que de ses performances vocales. J'avoue aussi une certaine attirance pour son jeu de basse. Enfin et c'est peut-être là où je suis le plus frustré, je trouve que Derek Sherinian n'est peut-être pas assez mis en avant car il y a des duels avec Joe qui sont particulièrement bien jouissifs. C'est pourtant un clavier à la technique incroyable doté d'une palette de sons très riches et novateurs. Mais il semble plus investi dans son projet avec le père Portnoy.
    Je ne sais pas ce que l'avenir réservera pour Black Country communion, j'espère au moins qu'un DVD live sortira parce que je doute qu'ils passent par la France.
    Bref...Quel pied !!!

    Pepper.

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    1. Ha, Pepper, voilà un commentaire bien élogieux. De quoi donner la banane aux compères de BCC.
      Effectivement, le talent de Sherinian n'est pas exploité à sa pleine mesure. C'est probablement du fait que seuls Hughes et Bonamassa aient composé. Du moins, c'est ce que révèle les crédits, mais je ne serai guère étonné que Sherinian ait apporté sa contribution.

      Il me semble que le groupe doit entamer tournée à partir de janvier 2018. Soit, une fois que tous les quatre seront libre de tous engagements. Possible qu'il y ait une tournée en Europe car, apparemment, le disque se vend bien. Surtout au Royaume-Uni et en Allemagne. Pour la France, par contre ... (peut-être en 1ère partie d'une de nos grandes vedettes de The Voices ...).

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  2. Peut-être viendront-ils au Hellfest, Gelnn Hughes y est déjà passé. Mais je n'y crois pas trop. En tout cas, ne boudons pas notre plaisir, il y a deux ans on ne pensait pas qu'ils allaient remettre le couvert. S'ils sortent un p'tit DVD live, il ira dans ma DVDthèque à côté du Live in Europe.

    Autrement, j'aime bien votre petit blog, j'y passe régulièrement et y ai fait d'agréables découvertes et rétrospectives.

    Pepper

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    1. Merci beaucoup, Pepper.

      La sortie prochaine, fin 2018, d'un DVD live me paraît logique. D'autant que Bonamassa aime visiblement bien ça.

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