vendredi 15 septembre 2017

CALIFORNIA GIRLS de Simon Liberati (2016) par Luc B.


Dans le livre GIRLS chroniqué il y a peu, [un clic   The Girls ]  Emma Cline évoquait la Family de Charles Manson, en déplaçant l’action dans le temps, et s’inspirait des personnages réels pour créer une fiction, qui s’arrêtait avant les meurtres. Dans CALIFORNIA GIRLS, Simon Liberati nous replonge dans les 36 heures qui ont précédé et suivi le massacre de Cielo Drive dans la nuit du 8 et 9 août 1969, mais en appliquant un traitement romanesque. Tout ce qui est écrit est – hélas – vrai, réel, documenté, mais transcrit avec une fluidité littéraire.
Manson, avant, après...
Au départ, on peut être gêné, on s’imagine que l’auteur fera des protagonistes des personnages romantiques, tourmentés, et atténuera la violence des crimes commis. Arrfff... ils étaient jeunes, paumés, exaltés... On est parfois mal à l’aise. Fallait-il opter pour cette forme littéraire qui frise le voyeurisme ? Le souci du détail, dans l’exécution des meurtres, peut paraitre abject. Mais la réalité l’a été, abjecte, et l’auteur la retranscrit bel et bien. Simon Liberati écrit bien, on sent le travail sur les mots, le style est direct, précis, concis. Sans commentaire ni analyse, juste une chronologie froide, qui permet de rentrer dans la tête des protagonistes, vivre le moment, sentir les odeurs.
Susan Atkins, "Sadie"
Charles Manson reste encore aujourd’hui, alors qu’il purge sa peine de prison, sa croix gammée tatouée au front, un personnage fascinant et culte pour beaucoup. A près de 80 ans, il reçoit régulièrement des demandes en mariage de jeunes gamines… Manson, le Mal absolu, qu’on rêve d’approcher pour s’y griller les ailes. Le fait qu’il se soit entouré de hippies, symbole de jeunesse, de paix, d’insouciance, de liberté en cette fin des années 60, joue beaucoup. Comment de jeunes rêveurs fumeurs d’herbe ont pu verser dans une telle violence, et détruire en quelques jours un idéal libertaire, qui, sur le papier, était ce qui se rapprochait le plus de l’idée de Paradis.
Charles Manson a le profil type du psychopathe. Enfance détruite par des parents violents, alcooliques, absents, il s’adonne très tôt à de petits larcins, verse dans la délinquance, vol, trafic, proxénétisme. En 1969 il a 33 ans, et a passé la moitié de sa vie en maison de correction – où il subit de mauvais traitements, sans doute des viols – ou en prison. Libéré d’une peine en 1967, il rejoint San Francisco, le quartier hippie d’Haight Asbury, et fraye parmi les musiciens. Lui-même gratte un peu de guitare, est fan des Beatles, et des rencontres avec Dennis Wilson ou Neil Young le persuadent de percer dans la carrière de chanteur. Son échec sera un des leitmotivs du futur massacre de Cielo Drive.
Le refuge de la Famille, le Spahn ranch
Mais son rêve absolu est de se venger d’une société qui l’a martyrisé depuis sa tendre enfance, de rebâtir un monde sur de nouvelles bases. Tuer les "Pigs", les "cochons", tous ces nantis, ces bourgeois, ces flics, ces profs, ces éducateurs. Et les Noirs, le poison de la société américaine. Charles Manson haïssait les Blacks Panthers, ses ennemis fantasmés, son plan consistait à les faire accuser de ses méfaits, et que la société s’en débarrasse. Sa grande œuvre, il lui donne le nom de « Helter Skelter » - une chanson des Beatles tirée du "Double-Blanc" qu'on écoute religieusement au ranch -  dont les paroles dans son esprit dérangé le désignent comme guide suprême de cette révolution raciste (il vénérait aussi « Révolution 9 » de Lennon). En réalité, la chanson de Paul McCartney, écrite en réponse à une chanson des Who, parle d’un manège de foire, un toboggan géant qui file le frisson.
Charles Manson doit constituer son armée. Sa Famille. Dans les rues de San Francisco, il sera facile de débaucher des exclus en rupture familiale, de jeunes filles hippies et désœuvrées, de les regrouper en communauté dans un ranch en Californie, les réunir autour de sa personne christique, lui, la réincarnation du Christ, le Fils de l’Homme, le Man-son  Des enfants naitront des ébats à répétition (combien ?) gamins séparés de leurs mères, qui vivotent dans leur crasse, à poils et sans éducation. Telle est la volonté du maître des lieux. Les nouveaux venus font allégeance en offrant leurs biens matériels à la communauté, doivent donner leur argent au gourou, et promettre d'en trouver d'autre, en volant chez leurs parents, leurs voisins.
Danny Dicarlo (à gauche) et les membres de la Famille, au ranch.
Le Spahn Ranch est propriété de George Spahn, un vieillard aveugle qui accepte ses locataires en échange de quelques branlettes. Un lieu qui avait abrité des tournages de films ou séries western, comme Bonanza. Le ranch est occupée par trois types de gens : les cowboys, car les touristes y viennent faire des balades à cheval, la bande de motards de Danny DiCarlo, les Straight Satan, et les hippies de Manson. Qui contrôle tout ce petit monde, avec la dope et les faveurs sexuelles diligentées par les p’tites ados prêtes à tout pour satisfaire les perversions de leur gourou.
Les hippies – essentiellement des filles - vivent sous l’emprise psychologique dictatoriale de ce gnome d’1m54 aux petits yeux noirs et perçants, à qui elles prêtent des pouvoirs surnaturels. Lui, leur promet un avenir radieux. [ On pense aux jeunes gars et filles qui partent œuvrer pour Daech ] Les cowboys et les motards, eux, s’en foutent et s'en méfient du petit gourou. Mais profitent du système, des trafics, de l’herbe, et des filles.

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Dennis Wilson, un des frères du groupe pop The Beach Boys, avait fait entrer Manson dans son cercle d’intimes. Ils jouaient de la musique ensemble, profitaient des filles du ranch, comme Bobby Beausoleil, jeune premier prometteur. Wilson avait promis de faire enregistrer Manson un album supervisé par le producteur des Beach Boys, Terry Melcher (fils de l’actrice Doris Day). Mais ce dernier se méfie du personnage et change d’avis. Manson y voit une insulte à son génie. La nuit du 8 août 1969, Manson ordonne à son bras droit, Tex Watson, et à trois filles du ranch, d’investir la propriété de Terry Melcher, à Cielo Drive, vers Hollywood, et de lui donner une leçon.
Roman Polanski et Sharon Tate
Jusqu’ici les "leçons" consistaient en des cambriolages dans des résidences bourgeoises, mises à sac, dans le but d’accuser des Noirs et attiser la haine raciale. Le 25 juillet 1969, c’est allé plus loin. Gary Hinman, un prof de musique qui avait eu le malheur de fourguer du sucre en poudre en guise de coke à Bobby Beausoleil, est séquestré chez lui par des membres de la Family, pour rendre des comptes, et la monnaie. Il refuse. Beausoleil appelle Manson à la rescousse. Hinman est torturé, Manson lui coupe une oreille au sabre, puis laisse ses sbires s’occuper du reste… (officiellement, Manson n’a jamais tué personne lui-même). Bobby Beausoleil poignarde Hinman. Il sera arrêté très vite, endormi, défoncé, dans la voiture de Gary Hinman, le couteau encore sanglant et couvert d’empreintes, à ses côtés. Quelques années plus tard, Beausoleil, en prison, sera autorisé à composer une musique pour le film de Kenneth Anger, LUCIFER RISING.
Dennis Wilson et C. Manson
Le 8 août, Manson décrète le début du Helter Skelter. Terry Melcher, ce pig, est la première cible. Ce que Tex Watson, Susan Atkins (dite Sadie Mae Glutz, la préférée, mère de Zezozose Zadfrack Glutz, dont Manson est sans doute le père) Patricia Krenwintel et Linda Kasabian ignorent, c’est que Melcher n’habite plus à Cielo Drive. La maison a été louée au cinéaste Roman Polanski, absent ce soir-là, pour que sa femme l’actrice Sharon Tate s’y repose. Elle est enceinte de huit mois et demi. Sont présents aussi Steven Parent, Jay Sebring, Wojciech Frykowki et Abigail Folger. Il y a le gardien, qui vit dans une annexe, et un minet venu faire une passe. Le gamin sera le premier à être tué, par balles. Ne pouvant entrer dans la bicoque du gardien (incroyable concours de circonstances qui lui sauvera la vie, mais qui l’accusera et retardera l’enquête) les envoyés du Diable, comme ils se présentent, investissent la maison, et massacrent les occupants. Et revendiquent les meurtres en lettres de sang.
Le lendemain Charles Manson reforme son équipe pour une nouvelle virée sanglante, avec en plus Leslie Van Houten. Ils passent des heures à tourner en voiture dans Hollywood, cherchent des églises à profaner – mais la nuit elles sont vides – et le choix se porte, au hasard, sur la maison du couple LaBianca. Manson y pénètre d’abord pour les menacer, les séquestrer, fait croire à un simple cambriolage. Il quitte les lieux et donne comme instructions aux filles restées dans la voiture, de «bien saigner ces sales cochons »… L’enquête montrera que les trois tueurs, Tex, Katie, Leslie, prendront ensuite une douche bien chaude, un luxe, mangeront dans la cuisine, joueront avec le chien, et laisseront – comme chez Polanski – des inscriptions aux murs écrites avec le sang des victimes, et des scarifications sur les cadavres. « War », « Pigs », « Healter Skelter » (avec une faute d’orthographe…).
Un autre groupe composé de Sadie et Linda Kasabian était censé monter aussi une action, retrouver et tuer un micheton, mais Linda se dégonfle, et les filles passent leur nuit sur une plage de Malibu, orgie de LSD avec des surfers, dont Miki Dora. Linda Kasabian était la plus faible du lot (elle ne tuera personne chez Polanski), c’est sur son témoignage que Manson et les autres seront arrêtés quelques mois plus tard, alors que Manson préparait le déménagement de la Family dans le désert, et l’installer au fond d’une faille, à 2000 mètres de profondeur. Le soir du 9 août, il essayait de trouver suffisamment de cordes pour y descendre tout le monde, et échapper à l’apocalypse.
Retour au roman. L’épilogue du livre de Liberati est tristement superbe : les sœurs de Gary Hinman viennent ranger et nettoyer la maison de leur frère. L’une d’elle vide des ordures dans la poubelle, sur la rue, et voit passer une moto avec une fille attachée à l’arrière : Linda, revenue de son orgie de Malibu, trop défoncée pour se tenir assise. Au loin une radio diffuse la chanson des Beach Boys « California Girls » : I wish they all could be california Girls, the cutest girls in the world… (je souhaite qu’elles soient toutes des filles de Californie, les plus mignonnes filles du monde).
Lecture éprouvante, à déconseiller aux yeux sensibles.



en Poche  - 316 pages
 

5 commentaires:

  1. Ouais, Manson ... Comme quoi le LSD fait quelques trous dans le cerveau, même si le sien semblait bien abîmé au départ.
    Il parle pas de l’influence du Crowley sur les neurones en vrac de Manson ? Parce que là aussi si on évoque le "mage" anglais, y'a du name dropping de rock stars à faire. En plus de D Wilson, N Youg, A Lee, Beausoleil, K Anger, faut rajouter J Page, K Richards, Bowie un peu plus tard et une multitude de types dans les seventies et décennies suivantes ...

    Sinon, le steak pour moi, saignant ...

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  2. Si on sort le bottin mondain... Mais les adeptes de Crowley n'ont pas sombré dans cette violence, Manson avait des comptes à régler, et sa solution était tout de même d'exterminer 50% de la population ! LSD ? Apparemment, il n'aimait pas les acides, les interdisait aussi à ses filles. Mais tout autoritaire qu'il était, les buvards rentraient quand même en douce. Pas sûr que "à jeun" ses petits jeunes aient pu se livrer à de telles exactions.

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  3. Encore une de ces nouvelles qui prouve (si besoin était) que le cerveau humain est malléable a merci. Barbu d'hier ou barbus d'aujourd'hui... Même combat, même constat. A quoi bon garder en vie (entretenir) ce genre d'individus. Moi perso ça me débecte et ça me révolte.

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  4. "Barbu d'hier ou barbus d'aujourd'hui..."

    Vincent, ce n'était pas les mêmes "barbus"... Mais oui, le "cerveau" ou l'être humain, est capable du pire comme du meilleur. Quand il est entrainé. Et c'est justement ce qui m'interroge. Comprendre. Comprendre pourquoi. Comprendre...

    "Garder en vie"... Ils auraient pu être exécuter. Mais on les a laissés en prison. A vie. C'est un autre débat.

    Il faut savoir faire face à ce genre de dérive,

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  5. Long débat en effet. Pourquoi garder en détention de âmes aussi pourries que celles-là ? Bonjour ce que cela coûte aux contribuables en plus. A côté de ça, ce même pays exécute d'autres êtres humains pour des faits ou délits, certes parfois très graves, mais a cent lieux de ces actes barbares et tout aussi abjectes.

    Comprendre, comprendre, comprendre dis-tu Luc ? Cela me fait soudain penser a une scène du film The Revenant. Celle ou le personnage joué par Di Caprio découvre que l'indien qui l'avait aidé la veille c'est pendu. Sur l'écriteau qu'il porte autour de son cou, l'omme y avait inscrit "On est tous des sauvages".

    Tu dis que l'homme est capable du pire comme du meilleur. Ça c'est bon pour soigner notre petite conscience quotidienne. La vérité malheureusement est tout autre. Et je serai même tenté de dire que c'est souvent dans le pire que l'homme est le meilleur.

    Quant a ma petite remarque sur les barbus d'hier et/ou d'aujourd'hui, évidemment que ça n'a rien a voir. Je ne faisais nul raccourci. Mais je pense que tu l'avais compris. Juste une bénigne observation sur cette similitude d'ordre... Esthétique ?

    T'as raison de préciser que ce livre n'est sans doute pas a mettre entre toutes les mains.

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