samedi 16 septembre 2017

SCHUBERT – Symphonie N°5 D 485 – Karl BÖHM (1967) – par Claude Toon



- C'est rigolo M'sieur Claude, vous illustrez cette chronique avec la pochette LP et le visuel de ce que je pense être la réédition CD des symphonies par Karl Böhm. Un souvenir ?
- Oui Sonia, bien vu ! J'ai découvert Schubert à la fin des années 60 avec cet album extrait d'une intégrale. Un disque culte qui se vendait comme des petits pains…
- Karl Böhm représente l'école romantique dans les symphonies de Schubert, ce n'est pas trop teuton comme interprétation…
- Ça se discute. Il s'agit d'une des premières intégrales des symphonies du jeune Franz. Le maestro autrichien veut nous montrer le romantisme qui se cache dans des œuvres a priori de facture classique.
- J'écoute ce passage, et pourtant j'ai l'impression d'entendre du Mozart… Donc une musique assez opposée au romantisme assez sombre de la symphonie dite inachevée…
- Oui Sonia, mais c'est justement là que Böhm par sa grande intelligence met en avant le Schubert en devenir alors qu'il n'a que 19 ans !!!

L'intégrale des symphonies de Schubert gravée avec la Philharmonie de Berlin par le soi-disant traditionaliste Karl Böhm entre 1963 et 1971 n'a jamais quitté le catalogue depuis l'époque du vinyle jusqu'à nos temps "numériques". La présentation a souvent évolué, et il y a une quinzaine d'années, le coffret de 4 CD était encore vendu au prix fort.
Dans ces années 60, les symphonies de jeunesse de Schubert sont encore très peu jouées. Deux intégrales font réellement concurrence à celle du maestro autrichien, l'une de István Kertész avec la Philharmonie de Vienne réalisée pour DECCA et l'autre de Wolfgang Sawallisch à Dresde pour Philips. On trouve aussi des albums isolés, notamment de Lorin  Maazel… Depuis, on ne les compte plus ! Et c'est bien car cette musique n'a rien d'un exercice d'un apprenti compositeur encore maladroit. Il y a quelque temps, nous avons écouté la 4ème dite "tragique" sous la baguette allègre de Marc Minkowski. Un cycle capté en 2012. (Clic)
Les six premières symphonies ont été écrites entre 1813 et 1818. Plus tard, la 7ème restera au niveau d'esquisse et la 8ème "inachevée" marquera en 1822 un cap important dans l'évolution du style et les dimensions de l'écriture symphonique de Schubert. Ces six symphonies initiales verront donc le jour pendant la fin de l'adolescence, entre les 16 ans et 21 ans de Franz. La 5ème date de l'automne 1816.
1816 : Beethoven triomphe enfin, même si ses symphonies épiques ne sont pas encore devenues immortelles comme de nos jours. Mozart et Haydn sont devenus des géants de l'histoire. Bach a été oublié mais Mendelssohn va le réhabiliter. Quant à Schubert ? Il reste inconnu au bataillon et ignoré du grand public ! Seuls quelques amis encouragent sa frénésie de composer et organisent autour de lui des soirées musicales entre potes… Pour survivre, le jeune homme fait office d'instituteur auprès de son père.
La nouvelle symphonie porte le numéro de catalogue D 485. À 19 ans, Schubert a donc déjà composé la moitié de son catalogue sachant que la maladie l'emportera à 31 ans. En septembre, il écrit sa symphonie en quelques semaines. Bien entendu, de son vivant elle ne sera pas éditée et peut-être uniquement jouée lors d'une soirée amicale chez Otto Hatwig. Il faudra attendre 1841 pour la découvrir en public…

Schubert jouant de la guitare (pas une Gibson 😊)
Il est intrigant de comparer la gaieté apparente de la nouvelle partition à la gravité de la 4ème symphonie dite "tragique", composée six mois auparavant, œuvre aux accents dramatiques qui annonce à mon sens l'entrée de Schubert dans l'univers romantique. Schubert semble revenir au style mozartien qu'il affectionne, ne serait-ce que par l'orchestration qui est minimaliste. 1 flûte, 2 hautbois, 2 bassons et 2 cors constituent l'harmonie. Pas de clarinette, de trompettes ni de timbales comme il est d'usage depuis les londoniennes de Haydn, sans parler des premières symphonies de Beethoven. Par ailleurs, comme on va l'entendre, le style se veut intimiste, proche du divertimento… Tant que cela ? Ce n'est pas totalement évident…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Troisième chronique consacrée au chef autrichien Karl Böhm. Mozart était au programme des deux premières, d'abord pour son interprétation métaphysique du Requiem pour DG dans les années 70 qui reste un modèle prouvant que Mozart composait déjà dans l'esprit romantique au crépuscule de sa vie. Et puis deux symphonies, les N° 29 & 31. (Clic) et (Clic)
La biographie la plus détaillée de ce grand serviteur de la musique, de l'époque classique à la musique moderne, se trouve dans la chronique dédiée aux deux symphonies. On ne sera pas surpris que Karl Böhm, si grand mozartien, tant dans les œuvres orchestrales que dans les opéras, ait particulièrement réussi ses gravures des symphonies de jeunesse de Schubert, qui, comme écrit plus haut, sont un peu les héritières de celles de son ainé. Ajoutons qu'il sera aussi un interprète de premier plan de la symphonie "inachevée" et de la 9ème "La grande", plusieurs fois enregistrées.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

1 – Allegro : à la manière de son maître Haydn, Schubert avait comme habitude de commencer ses symphonies par une introduction notée adagio, entrée en matière empreinte d'incertitude. Ici, rien de tout cela. Trois accords aux vents sur la tonalité de si bémol majeur illuminent les premières mesures du début. Même si la partition précise un legato marqué, Karl Böhm impose un subtil staccato qui allège le trait jusqu'à l'espièglerie. Les premiers violons exposent alors un thème vivifiant et sont rapidement rejoints par une rythmique énergique des autres cordes. Voici la magie schubertienne : comme Beethoven ou Mozart (des symphonies ultimes), la thématique se retient immédiatement. Le plaisir à l'écoute naît de cette évidence, de l'enthousiasme porté par ces mélodies simples et joyeuses. Fidèle à la forme sonate, Schubert réexpose (sans les accords de vents) le premier groupe mélodique qui se développe avec une virilité grandissante. La petite harmonie est exploitée avec imagination, le compositeur montrant une fois de plus que l'on peut faire beaucoup avec peu d'instruments. [4:07] Un dialogue des bois auquel succède un échange virulent des cordes introduit une idée plus secrète, plus sombre. Ô de manière furtive, l'allégresse domine le mouvement. Les arpèges des cordes de la coda se veulent même rageurs sous la poigne de fer du chef. Les cordes graves de Berlin un peu trop présentes ? Oui sans doute ; depuis les années 60, les contrebasses se sont faites moins lourdes. Mais quelle élégance dans cette direction radieuse…

Beethoven (chapeau haut de forme) et Schubert (lunettes) en promenade

2 – Andante con moto : [7:23] Le mouvement lent prend son temps, près de dix minutes. La paternité de Mozart y est particulièrement tangible. Les cordes prennent la main pour une délicate méditation. Que de sérénité avant l'entrée de la flûte et du hautbois puis des autres vents. [9:06] Une seconde idée contrastée, hésitant entre des ambiances bucoliques et nocturnes intervient pour nous rappeler que Schubert a sans doute parcouru les partitions d'un certain Beethoven. Le chant des bois domine la mélodie qui va se développer accompagnée par une scansion marquée des seconds violons et des altos, de nouveau un principe très mozartien. Une marche lyrique et romanesque (romantique sur le fond ?). Schubert n'hésite pas à reprendre les divers motifs dans ses développements jusqu'à un passage plus ténébreux. Karl Böhm laisse s'écouler avec grâce cette musique qui se conclut par de lointains appels de cors.

3 – Menuetto Allegro molto – Trio : Comme indiqué sur la partition, Karl Böhm aborde avec retenue le menuet qui pourrait presque porter le nom de scherzo. La musique bien que n'étant pas d'une originalité très poussée se distingue par une belle articulation entre les parties de cordes et de bois. Le trio évoque la Vienne friande de fêtes et de danses, la cité amoureuse des ländler.

4 – Allegro Vivace : Le final bondit, une danse énergique un peu folle. La musique d'un jeune chien fou qui espère mais ne sait pas (et ne saura jamais) qu'il deviendra l'un des compositeurs les plus remarquables du XIXème siècle, des décennies plus tard. Ce bref allegro n'est que verve et dynamisme, mais sans aucune brutalité, au contraire, l'élégance princière est bien présente dans le propos. On surprendra Karl Böhm à nous offrir l'une des codas les plus souriantes de la discographie.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

On aurait pu espérer de Nikolaus Harnoncourt un rafraîchissement de la discographie. Hélas : tempi frénétiques et fluctuants, discours haché, en un mot une déception. Je passe.
Claudio Abbado en 1988 exige de son interprétation jeunesse et fougue. Un ensemble d'instruments modernes, mais force est de constater que l'orchestre de chambre d'Europe n'est pas la Philharmonie de Berlin, que le son est bien flou et que le chef donne le sentiment de jouer la montre. Pour ceux qui trouvent Böhm trop romantique uniquement ou pour les fans du grand chef italien (DG – 4/6). Disponible dans une intégrale en CD ou en MP3.
Le Schubert successeur de Mozart (dans la forme) a bien entendu attiré les chefs d'orchestres amateurs d'authenticité, de jeu sur instruments d'époque du début du XIXème siècle. Un album comportant les symphonies 2, 5, 8 et 9 a été enregistré par Charles Mackerras avec l'orchestre de l'âge des lumières. L'allègement de la partie de cordes, la vitalité des tempos me conduisent à conseiller ce très bel album pour une découverte de l'univers symphonique de Schubert. La battue du chef est drue et convient bien à cette musique juvénile (Virgin – 5/6).
Enfin, nous en avions déjà parlé à propos d'une 4ème symphonie pleine de feu. La direction festive de Marc Minkowski avec ses musiciens du Louvre complète ces quelques suggestions (Naïve – 5/6).

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Deux interprétations valent mieux qu'une ! Successivement : la version de 1967 de Karl Böhm puis celle de Charles Mackerras virevoltante sur instruments d'époque :



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire