- Ah M'sieur Claude, le très british Vaughan Williams pour votre retour.
Nous partons pour le Kent ? Les prairies verdoyantes et les moutons comme
dans la 3ème symphonie ?
- Et bien non chère Sonia ! Le très poétique compositeur anglais aborde
ici une œuvre de musique pure et rude aux accents terrifiants…
- Ah ! En somme l'opposé de la symphonie pastorale ou de l'envol de
l'alouette déjà commentés ! Le chef Dimitri Mitropoulos fait son entrée
dans le blog. Un grec je suppose ?
- Oui ou du moins né en Grèce car sa carrière s'est déroulée en majeure
partie aux USA. Hélas, il est mort jeune à l'aube de la stéréo. Il est
connu surtout des mélomanes fouineurs…
- 1956 ?! Ce n'est pas une vieille cire alors que je crois qu'il existe
des gravures et intégrales plus récentes… Vous allez dire que je me mêle
de vos affaires…
- Non Sonia, c'est bien de penser à Boult, Haitink et d'autres. Mais le
style incisif et rageur du chef convient vraiment bien à cette œuvre et le
son est tout à fait correct !
Dimitri Mitropoulos (1896-1960) |
Lors de l'audition de cette
4ème symphonie, le compositeur
William Walton, musicien anglais contemporain de
Vaughan
Williams
déclara "la plus grande symphonie depuis Beethoven". Cela peut faire rire car c'est faire fi de
Berlioz,
Brahms,
Bruckner,
Mahler, etc. On ne peut nier qu'après
trois symphonies
aux caractères plutôt tranquilles et sous titrées
The sea,
London
et
Pastoral, cet œuvre épique sans sous-titre suggérant un climat particulier
surprend. J'adoucirais le propos de
Walton en penchant pour une autre formulation : de la même manière que
Beethoven
chamboula l'histoire de la symphonie en 1803 avec sa farouche et
hyperromantique
Symphonie
"héroïque" puis sa démiurge
5ème,
Vaughan
Williams
déconcerte ici un public habitué à des climats bucoliques, voire à un humour tout à fait subtil (concertos). Là est la surprise, de taille. Elle ne se renouvellera pas, car dès la
5ème symphonie, le compositeur retrouve le goût pour les atmosphères feutrées et
brumeuses. À mon humble avis, les symphonies 3 à 6 sont d'importances, les
autres sont plus anecdotiques ; ainsi la
7ème
"Antartica" se développe à partir d'une musique de film assez banale…
Il n'en reste pas moins que cette œuvre est un chef d'œuvre de modernité.
N'oublions pas par ailleurs que nous sommes en
1934 et que le postromantisme
des symphonies précédentes n'est plus guère à l'ordre du jour… On ne peut
pas affirmer que les compositeurs anglais se confrontent à des styles
audacieux comme ceux de
Schoenberg,
Bartók, feu
Debussy
ou encore
Stravinsky.
Pour mieux connaître le compositeur anglais, lire sa biographie dans
l'article consacré à sa
3ème symphonie
dirigée par
Bernard Haitink
(Clic).
En 1934,
Vaughan
Williams
a dépassé la soixantaine et l'écriture de sa précédente symphonie remonte à
1922. Musique pure et
intellectuelle comme beaucoup le pensent ? Sans doute. Néanmoins, il ne faut
pas oublier que le compositeur ne vivait pas tranquillement dans la verdure,
indifférent aux turbulences de son époque. L'homme avait été ambulancier
volontaire dans l'horreur des tranchées de la Grande Guerre, la soi-disant
Der des Der ! 1934 : la prise
de pouvoir absolu par Hitler.
Cela n'engage que moi, mais la fureur du thème introductif semble
prémonitoire, l'expression d'une crainte d'une nouvelle apocalypse à venir.
N'oublions pas que
Williams
revînt avec une audition déficiente en
1918, handicap résultant des
rugissements de la mitraille. Prémonition inconsciente d'un humaniste ?
J'énonce une simple interrogation.
Dédicacée à
Arnold Bax, la symphonie fut créée en avril
1935 avec l'orchestre de la BBC dirigé par
Adrian Boult
qui l'enregistrera plusieurs fois de manière magistrale.
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La tempête (Turner 1842) |
Dimitri Mitropoulos
est un chef qui semble parfois oublié, un artiste dont les gravures sont
pourtant très recherchées par les connaisseurs. Et si vous avez la curiosité
de lire l'article Wikipédia qui est consacré à ce maestro, vous serez
surpris par sa longueur comparable à celle de celui dédié à
Karajan
qui, lui, continue de faire les choux gras des rééditions discographiques et
de la légende de la musique symphonique…
Mitropoulos
voit le jour en 1896 à Athènes.
Son père est pope, la famille n'est pas musicienne. Le jeune Dimitri va
hériter du mysticisme de son père. Il pense un temps devenir moine mais
l'interdiction de jouer de la musique lors des offices orthodoxes va le
détourner de cette voie. Il aime la musique et joue même de
l'harmonium…
À 14 ans, il entre au Conservatoire de la capitale grecque pour travailler
l'harmonie, le contrepoint et le piano. Il est très influencé par la musique
française moderne :
Debussy
et
César Franck. Merci à son professeur qui fréquenta la Schola Cantorum. Il commence à
composer, puis en 1921 il part
pour Berlin afin de se perfectionner. Il va s'intéresser à la musique de
Schoenberg
qu'il viendra jouer en Grèce face à un public passablement dérouté par la
modernité de cette musique atonale.
En 1930, sa carrière prend un
véritable envol. À la
philharmonie de Berlin, il enchaîne en un unique concert trois créations : la
symphonie
de
Paul Dukas
le français, le
3ème concerto pour piano
de
Prokofiev
le russe en assurant la redoutable partie de piano lui-même et enfin son
Concerto grosso pour orchestre
composé en 1929. Il fait un tabac ! Il est enfin reconnu et débute un
parcours hyperactif international.
En 1937, il est invité à
succéder à
Eugene Ormandy
comme directeur de l'orchestre Minneapolis, un orchestre de qualité mais qui ne rivalise ni avec ceux de
New-York, de
Boston
ou encore de
Philadelphie. Il va le hisser au sommet jusqu'en 1949.
Dimitri Mitropoulos
est un homme de son temps. Il joue les grands compositeurs classiques mais
impose
Mahler,
Hindemith,
Milhaud,
Villa Lobos,
Bartók, une liste sans fin…
En 1949, il rejoint la
Philharmonie de New-York
en compagnie de
Léopold Stokowski. Il va y achever sa carrière prolifique. En
1958, son cœur commence à le
trahir et l'abandonnera en
1960. Le style de
Mitropoulos ? La clarté, la puissance, l'énergie, une forme d'opposition au velouté de
l'école allemande.
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tempête et orage en mer (Turner) |
La symphonie épouse une forme classique en quatre mouvements avec un
scherzo en 3ème position. L'orchestration est assez riche et
moderne sans atteindre la complexité de celle exigée par
Strauss ou
Mahler :
2 ou 3 flûtes + piccolo, 2 ou 3 hautbois + cor anglais, 2 clarinettes, 1
clarinette basse, 2 bassons, 1 contrebasson, 4 cors, 2 trompettes, 3
trombones, 1 tuba, timbales, caisse claire, grosse caisse, triangle,
cymbales, cordes.
La présence d'instruments optionnels (flûte, hautbois, contrebasson, etc.)
est surprenante. C'est la seule partition que je connaisse qui ouvre
directement la possibilité d'une interprétation à effectif réduit.
Vaughan
Williams
était-il attentif à la possibilité de jouer sa musique avec des petits
orchestres d'amateurs comme c'est fréquent en Angleterre ?
1 – Allegro
: Des accords puissants et dissonants jaillissent de l'orchestre. Un effet
digne du motif immortel de la
5ème
de
Beethoven
pour rappeler la remarque de
Walton. Les cuivres hurlent, les flûtes sifflent. Le phrasé saccadé nous agresse
de manière dramatique, hallucinée et désespérée. La violence impressionne
mais curieusement de manière irrationnelle car à l'instar d'un
Chostakovitch, un humour noir rampant s'insinue entre les mesures sauvages. [1:16]
Suivant un coup de cymbales et quelques accords de cuivres essoufflés, les
cordes entonnent une mélodie étrange, ni assagie ni véhémente.
Vaughan
Williams
joue sur les contrastes les plus vigoureux pour distiller ses climats
musicaux. Nous sommes aux antipodes de son style élégant et poétique entendu
dans la
Fantaisie sur un thème de Tallis
qui figure aussi sur cet album. Une marche guerrière aux cors va exacerber
les tensions avant une reprise des thèmes initiaux.
Mitropoulos adopte une direction très franche, acerbe, qui met parfaitement en avant
les incertitudes et ambigüités de la partition. Certes la monophonie dessert
un peu les timbres, mais le chef convainc diablement par la rudesse de sa
battue. [5:52] Surgit un passage sinueux aux teintes mornes avec
prédominance des cordes, un chant d'oiseau triste pour se référer à une
pièce de
Ravel.
Vaughan
Williams
se tourne vers la méditation après ces déferlements abruptes. Une coda très
originale, là où l'on attend souvent une péroraison farouche construite à
partir des thèmes initiaux. Le compositeur semble évoquer l'épuisement après
les combats.
Désastre en mer (Turner) |
3 - Scherzo : allegro molto
: [17:39] Le scherzo se veut sarcastique, grinçant et survolté. On écoute un
concerto pour orchestre rugueux et volontairement désarticulé.
Vaughan
Williams
montre ici qu'il n'est pas qu'un postromantique de plus perdu dans un monde
qui disparait. On pense à
Stravinsky. Le flot se fait tempétueux, syncopé. Les percussions sont sollicitées
dans un style pointilliste vif-argent. Ça pourrait sembler drôle. N'est-ce
pas plutôt railleur ?
Vaughan
Williams
a écrit des opéras aux sujets plutôt déjantés comme
the Poisonned Kiss. [20:10] On retrouve cette ironie dans le trio ou les bois se bousculent
comme un groupe de bourgeois ventripotents. Portrait d'une Angleterre qui
peine à quitter l'ère victorienne égoïste et protocolaire ? Je pose la
question à l'écoute de cette interprétation particulièrement virulente de
Mitropoulos.
4 - Finale con epilogo fugato : allegro molto
: Le final se présente comme un développement des idées sauvages et
caustiques présentes dans le scherzo. L'écriture est complexe, alambiquée
car très facétieuse, mais lisible. Le principe général est celui de la
marche.
Vaughan
Williams
raillerait-il à sa manière les "pomp and circumstance" de son camarade
Elgar. Le déchaînement de l'orchestre sollicite grandement nos facultés d'écoute
jusqu'à une coda quasiment guerrière. Le thème initial est repris dans une
péroraison cataclysmique…
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Les enregistrements sont légions, sauf en France où le public et les
responsables de programmation de concert boudent ce compositeur majeur.
L'interprétation en album isolé de
Leonard Bernstein
à
New-York
de 1964 n'est plus disponible. Elle vaut le détour, cette musique un
soupçon délirante convenant bien à la psychologie du chef américain.
Sinon, on trouvera son bonheur dans l'univers stéréophonique avec des chefs
qui ont fait leurs preuves.
Adrian Boult
a enregistré deux fois l'intégrale du cycle des 9 symphonies. Au début des
années 50 pour Decca, puis dans
les années 60 pour EMI. La
4ème
a été captée avec le
Philharmonia, une réussite totale (EMI –
6/6). Avec la
Philharmonie de Londres,
Bernard Haitink
semble bien plus sage que
Mitropoulos mais quelle fluidité du discours (EMI
– 6/6). Enfin,
Andrew Davis
avec l'orchestre de la BBC a renouvelé la discographie en ce début de siècle grâce à une prise de son
très déliée, le coffret comprend de nombreux compléments (Warner
– 5/6).
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En complément, avec une plus-value sonore certaine, l'interprétation
granitique et passionnée de Sir Malcolm Sargent dirigeant l'Orchestre de la BBC en live en 1963 (On trouve quelques exemplaires sur le marché
de l'occasion ou aux USA)
Dimitri Mitropolous j'aime ! J'ai une belle version de la fantastique de Berlioz avec le philharmonique de New York. Est ce fait exprès ou pas ? (Bien que venant de toi cela m'étonnerais) tu a mis un enregistrement de Mitropoulos (normal !) et de Léonard Bernstein et je viens de lire que ce dernier a été l'élève du premier. Pour ce qui est de Vaughan Williams je ne connais pas trop, je vais écouter tout ça en profondeur
RépondreSupprimerEn effet Pat, Bernstein a été élève de Mitropoulos, mais j'ai voulu montrer comment une même œuvre pouvait connaître des lectures différentes : le ton acéré de Mitropoulos et les accents pathétiques d'un Bernstein...
RépondreSupprimerJe me doutais bien que tu avais fait exprès !! ;)
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