Voilà
un bouquin tout bonnement formidable. A condition d’aimer les polars, les
enquêtes fouillées, et l’estomac ad-hoc pour avaler ces quelques 900
pages ! Sur l’auteur, pas grand-chose à dire, ce Shane Stevens serait un
pseudo, il a écrit cinq romans, entre 1966 et 1985, et puis plus rien… disparu
de la circulation. D’où le petit culte autour de ce AU-DELA DU MAL, jamais
réédité, que les amateurs étaient prêts à acquérir au prix fort. Il n’a été
traduit que 30 ans plus tard en français, l’éditeur Sonatine ayant cherché
partout, et longtemps, pour avoir les droits.
Car
AU-DELA DU MAL a été écrit en 1979. C’est le père spirituel de tous les polars
poisseux avec serial killer de service (James Ellroy ou Thomas Harris peuvent
lui dire merci). Rien de nouveau, me direz-vous ? Ben si, justement, car à
l’époque, ce genre de littérature était assez inédite.
900
pages. Pourquoi ? Car c’est un livre exhaustif. Qui brasse beaucoup d'intrigues, retrace une enquête, mais aussi une époque. L’action principale se
déroule en 1973, sous l’ère Nixon. Mais on commence en 1947, avec le violeur
récidiviste Caryl Chessman. Personnage réel, arrêté, condamné (pour kidnapping, et non pour viol...), qui resta 12
années dans le couloir de la mort, y écrivit trois livres, des plaidoyers
contre la peine de mort, qui firent sensation. Il a été gazé en 1960.
Parmi
ses victimes, Sarah Bishop. Dont on va parcourir la vie sordide, celle de son
mari Harry Owens, qui va frayer avec la pègre, organiser un casse. Je vais
éviter de donner trop de détails sur l’intrigue, mais tous ces personnages,
leurs trajectoires, sont intimement liées, et prennent sens pour la suite. Sarah Bishop
aura un fils, qu’elle identifie comme le fruit du viol. Le gamin sera martyrisé, et finira par tuer sa mère. Il a 10 ans. Entre en hôpital psychiatrique, en ressortira
15 ans plus tard. Et se lancera dans une carrière de serial killer comme
l’Amérique n’en a jamais vu…
C’est
la première caractéristique de ce livre, qui retrace la généalogie du Mal,
fouille le passé, les causes. Sans aucun sentimentalisme, c’est le deuxième
aspect. Le style est quasi documentaire, journalistique. Clinique, froid. Pas
de belles phrases, peu de dialogues, ou alors intégrés au texte. Certains pensent au DE SANG FROID de Truman Capote, je n'irai pas jusque là... Et malgré
l’horreur des faits, l’auteur ne donne pas dans la surenchère de détails, la
majorité des meurtres ne sont pas décrits. Mais le bouquin reste violent.
Willows, Californie, où débute la chasse au monstre... |
Adam Kenton va essayer de découvrir qui est vraiment ce tueur
insaisissable. On lui donne carte blanche, il a tous les moyens qu’il souhaite. Une armada d’indics, de psychologues, de flics, de détectives, de
documentaristes, ratissent tout le pays. Et
en 1973, on communique encore à coup de télex, on appelle des lignes fixes,
l’ADN n’en parlons pas… C’est une incroyable enquête, longue, minutieuse, où
chaque détail compte. Et terriblement passionnante, car le lecteur, lui, sait
tout. Il a les clés, dès le début. Mais les protagonistes, eux, pataugent…
D’où
le suspens qui se dégage du livre, sans pour autant adopter le style des
« page-turner » où on asticote artificiellement le lecteur par de
coups d’éclat en fin de chapitre (qui sont d’ailleurs très longs, 40, 50 pages,
on peut passer d’une situation à une autre en une phrase), ni teasers
tonitruants. Les faits, rien que les faits. Et le lecteur de se lamenter : mais
merde, quand est-ce que vous allez piger ?!!! C’est là, sous votre
nez ! Un flic, John Spanner, le premier enquêteur, a
quasiment la solution. Mais ne le sait pas. Parce que le tueur, d’une
redoutable intelligence, a vraiment pensé à tout…
Alors
on pourra pinailler sur certains détails, certaines répétitions. Le fait que le tueur, enfermé de
l’âge de 10 à 25 ans en asile, sait tout ce qu’il faut savoir de la vie au
dehors, par les feuilletons de télé dont il se gavait… D’un autre côté, regardez
deux épisodes des Experts, trois Columbo, et vous pouvez zigouiller votre
voisin peinard…
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