- Petit retour sur papi Haydn M'sieur Claude ! Ça fait un bail que l'on
n'en a pas parlé de l'homme aux 104 symphonies… Du coup, vous nous les
présentez par lot de six…
- Oui Sonia, un cycle de symphonies de la maturité, et comme toujours,
une musique inventive, virevoltante et pleine d'humour…
- Mais pourquoi ce surnom de "Parisiennes", Haydn est un compositeur
allemand… Il les a écrites lors d'un voyage dans la capitale ?
- Non Sonia, elles ont été composées vers 1785-1786 outre-Rhin, mais
Haydn les a conçues pour les grands orchestres parisiens qui curieusement
n'existaient pas dans son pays !
- Le commanditaire était-il français alors ?
- Eh bien oui : le comte
d’Ogny (1757-1790) qui destinait ces symphonies au répertoire du Concert
de la Loge Olympique parisienne. La franc-maçonnerie s'imposait au siècle
des lumières. Haydn comme Mozart n'était pas insensible à ce mouvement de
renouveau de la pensée…
Joseph Haydn en 1785 |
Lors d'une émission comme "qui veut gagner du pognon" (les inconnus), à la
question "veuillez citer deux compositeurs de l'époque classique",
Mozart
et
Beethoven
ont 99 % de chance d'être nommés. Haydn, inexplicablement, sera quasi systématiquement oublié et il est même
probable que rappeler par le présentateur, les brillants candidats ouvrent
des yeux ronds… Et c'est un mystère que le compositeur autrichien né en
1732 (24 ans avant
Mozart) et mort en 1809 (Beethoven a déjà 39 ans), auteur
d'une œuvre considérable
grâce à cette exceptionnelle
longévité, novateur dans
tous les domaines, n'ait pas autant marqué de son nom l'histoire de la
musique (voire de la culture occidentale) que les deux génies
concurrents.
Est-ce une question de personnalité ? D'un côté le marmot
Mozart
surdoué et ingérable, de l'autre l'homme
Beethoven
sourd et aux opinions révolutionnaires.
Haydn, malgré un tempérament épicurien, fidèle à ses protecteurs, a moins nourri
la légende ; et en plus son nom, à première vue, semble imprononçable (Aie
deun'). Je me laisse sans doute aussi prendre au piège en ne consacrant
aujourd'hui qu'une 6ème chronique contre 12 pour chacun de nos
deux amis célébrissimes. Décision : 2017 sera l'année
Haydn, notamment sa musique de
chambre.
Sonia s'étonne de cette chronique axée sur un groupe de six symphonies qui
forment un cycle. Toutes ont leur charme, mais imaginez-moi écrire un papier
détaillé pour chacune des 104 symphonies ! (Une tous les samedis pendant 2
ans, ou deux par an jusqu'à ma 117ème année 😇). Ces six virevoltantes symphonies ayant, avouons-le, un petit air de
famille, j'ai choisi d'en commenter seulement deux assez différentes parmi
les six : la
N°84
et un coup de cœur : la
N°87
qui est, semble-t-il, la première écrite. (Étrangeté
des catalogues.)
Pour une biographie résumée de
Joseph Haydn, rendez-vous dans l'article dédié à trois des douze
symphonies londoniennes sous la baguette facétieuse de
Sir Thomas Beecham
(Clic).
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À la fin du siècle des lumières, la vie musicale française est hyperactive,
même si entre la mort de
Rameau
en 1764 et les débuts
fracassants de
Berlioz
vers 1830, notre pays ne voit
pas l'émergence de compositeurs aussi géniaux que les trois compères
germaniques cités avant… Les organisateurs de concerts, friands de modernité
vont donc se "fournir" outre Rhin.
Dans les années 1780, le
fermier général
Charles Marin de La Haye des Fosses
et le comte
Claude-François-Marie Rigoley d'Ogny
fondent un orchestre opulent sous la houlette Franc-maçonne :
Le Concert de la Loge Olympique
; le chef d'orchestre attitré étant
Joseph Bologne de Saint-George*.
(*)
Essayez de caser ça lors des agapes de baptême ou de communion entre
une échauffourée sur les scores du PSG et un débat sur le soap opera
Amour, Gloire et Beauté, je vous assure : ça jette – à condition de
l'apprendre par cœur…
Antal Dorati (1906-1988) |
Dans ce Paris où grondent les premiers élans révolutionnaires face à la
monarchie de Louis XVI qui part
à vau l'eau, les symphonies de
Haydn
vont faire fureur par leur
hardiesse et leur bonhomie. Un succès qui ne se démentira pas même pendant
le Consulat et l'Empire ! Au début de l'ère romantique, le public ne se
lasse pas et demandera même que l'on joue les 81 opus précédents…
Nota poilant
:
Le Concert de la Loge Olympique
a été recréé en
2015 à l'initiative de
Julien Chauvin, spécialiste de l'interprétation sur instruments d'époque et fervent
défenseur de
Haydn. Vous ne me croirez pas, mais le
Comité national olympique et sportif français (président : Denis Masseglia -
je balance) a lancé une procédure judiciaire pour faire supprimer le mot "olympique" historique. L'orchestre n'a pas eu gain de cause !
-
Non Sonia, ce n'est pas une connerie !!!
- M'sieur Claude… Vos chroniques sont envahies par la
loufoquerie je trouve
!
-
Sonia, Haydn et ses symphonies font dans la truculence… Je me mets au diapason (logique en musique)…
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Le chef d'orchestre d'origine hongroise
Antal Dorati
(1906-1988) a déjà fait la une dans le blog pour deux versions du
Sacre du printemps
de
Stravinsky
(Clic), mais aussi à propos d'une anthologie de 5CD proposant des œuvres des plus
diverses, un voyage symphonique avec
Richard Strauss,
Gershwin,
Prokofiev
et quelques autres
(Clic). 5 CD réédités à partir de gravures de légende pour la firme
Mercury à l'aube de la stéréo…
Années 69-72 : le maestro, aussi boulimique d'enregistrements qu'un
Karajan
ou un
Marriner, se lance dans un pari fou : graver les
104 symphonies
de
Haydn
avec le
Philharmonia Hungarica. Un orchestre basé en Allemagne et composé de musiciens hongrois ayant fui
la répression soviétique à Budapest en
1956. Une cinquantaine de
Vinyles vont paraître sous forme de coffrets de 5-6 disques. C'est une
première et une réussite totale ! Il faudra attendre la fin du XXème
siècle pour découvrir de nouveau un même marathon sous la baguette de
Adam Fischer, entre 1987 &
2001 pour être précis. Cette intégrale par
Antal Dorati
est un monument et même si la direction reste fidèle à la tradition
classique, la verve n'a pas pris une ride. En cette époque numérique, le
coffret de 33 CD quitte parfois le catalogue pour ressurgir dans une
nouvelle édition. Les
symphonies Parisiennes et
Londoniennes sont disponibles en trois doubles
albums.
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Paris en 1785 |
Trois des symphonies portent des surnoms pittoresques, rappelant en cela
les sous-titres amusants des pièces pour piano de
Rameau.
N° 82 : L'ours. Sans doute lié au final puissamment rythmé qui fait songer à la danse
d'un plantigrade sur une place de village après dressage par des
saltimbanques…
N° 83 : La Poule. On entend le gallinacé caqueter dans l'introduction. Le volatile fait
fureur en musique, chez
Rameau, justement, mais aussi dans "les oiseaux" de
Respighi…
N° 85 : La Reine. Car la symphonie enthousiasma particulièrement la reine
Marie-Antoinette…
Des sous-titres surement ajoutés a posteriori par des éditeurs
facétieux.
L'orchestration est résolument classique. À noter que
Haydn
n'utilise pas, à l'inverse de
Mozart, les clarinettes qui en sont à leurs balbutiements, donc : 1/2/2, 2 cors
et 2 trompettes, timbales et cordes.
Symphonie N° 84
Comme ses sœurs, elle comporte quatre mouvements. Cependant, sont absentes
timbales et trompettes. Son sous-titre "
In nomine Domini" figure sur la partition mais n'est guère utilisé…
Joseph Bologne de Saint-George |
1 – Largo – Allegro
: Un largo introduit l'œuvre. Ce principe est assez nouveau et anticipe le
romantisme. Il sera utilisé fréquemment dans les
londoniennes puis par
Beethoven. Cette sérénité initiale prépare doucement une transition marquée et
frappante avec la joyeuseté de l'allegro. Une mélodie charmante des cordes
s'opposent à des traits orchestraux énergiques intégrant les vents, traits
qui se bousculent comme des courtisans sur une piste de danse. Comme
toujours chez
Haydn, le développement réserve des surprises que l'on pourrait qualifier
d'épiques à partir d'une thématique pourtant simple mais à laquelle on
adhère immédiatement. Ô rien de métaphysique dans cette musique gorgée de
vitalité spontanée, un style qui ne pouvait que plaire dans ce Paris
effervescent de la fin du XVIIIème siècle.
2 – Andante
: [7:23] L'andante se veut plus noble mais sans gravité. Il est vrai qu'en
l'absence de timbales et de trompettes, la couleur sonore peut sembler
sombre. Non, elle se révèle plutôt recueillie. [8:45] La seconde idée
exposée apporte une touche de mélancolie. Un passage à peine plus sévère
auquel succède [10:02] une variation élégante avec de beaux solos des divers
pupitres de cordes. On pourra ressentir
un climat nocturne dans cette musique pourtant généreuse, mais
Haydn
n'hésite pas à créer un clair-obscur à l'aide de
touches
instrumentales ici et
là. [12:48] La fin du mouvement laisse place à un dialogue enchanteur des
bois et des pizzicati proche des sérénades mozartiennes.
3 – Menuet – Alegretto
: [13:54] Le menuet se veut pour le moins énergique avec ses motifs de
marche soldatesque entrecoupés de plaisantes variations aux bois. Le menuet
commence à sortir de sa gangue classique parfois insipide.
Haydn
inaugure une forme plus libre et plus fantaisiste qui deviendra plus tard le
scherzo. [15:18] Dans le trio, la flûte nous lance des clins-d'œil assez
drôles. Curieuse métaphore,
mais je ne me renie pas… Bon, un peu répétitif et pas très léger ce
menuet.
4 – Finale Vivace
: [17:55] Comme toujours dans le finale,
Haydn
fait jaillir les thèmes gaiement. On retrouve les mutines saillies des cors
et des vents qui interrompent un discours vaillant aux cordes. Petit à
petit, vague après vague, la musique se développe dans plusieurs directions
mais sans confusion. C'est le style
Haydn que
Dorati maîtrise à merveille, ménageant avec brio toutes les interventions les plus
insolites des différents pupitres. La coda est introduite par un solo de
flûte.
Haydn montrait une fois de plus que disposer de dizaines d'instruments différents
n'est pas indispensable pour varier à l'infinie les couleurs
orchestrales.
Départ de la traversée de la manche depuis Paris en 1785 |
Symphonie N° 87
L'orchestration est la même que pour la symphonie N° 84
1 – Vivace
: Vivace est un euphémisme.
Haydn
lance ses troupes à l'assaut. Attention, pas de manière militaire et
violente, non, nous écoutons virevolter
un orchestre au complet. Le thème, quasiment un leitmotiv, est composé d'un
arpège ascendant suivi d'un autre descendant. Le résultat est une danse un
peu folle où les vents
concertent vaillamment face à une déferlante de cordes. On ressent une forme
d'héroïsme bon enfant. Le tempo pour le moins allant donne au discours une
allure de perpetuum mobile sans l'aspect lancinant de ce concept. La forme
sonate est assez rigoureuse mais, comme dans le finale de la
symphonie n°84,
Haydn
confie un rôle empreint de lyrisme à sa petite harmonie. On apprécie aussi
la dynamique très accentuée.
L'orchestre folâtre de
manière gaillarde. L'un des mouvements de symphonie les plus réjouissants du
compositeur, avec ses syncopes qui relancent sans cesse cette aimable
"plaisanterie musicale".
2 – Adagio
: [7:40] Après cette entrée
en matière échevelée,
Haydn
repose son auditoire avec un bel adagio dans lequel les bois vont avoir la
part belle. De pupitre en pupitre, un discours concertant va s'établir entre
flûte, hautbois et bassons pour illuminer cette page poétique. Les vents se
réuniront pour nous divertir avec une facétie alerte soulignée par des trémolos. Je ne pouvais faire une sélection dans ce cycle
quelle qu'elle soit sans y intégrer cette symphonie. La pertinence et la
virtuosité des solos, d'une inventivité inouïe, annoncent une certaine
"pastorale" de
Beethoven
vingt ans plus tard.
3 – Menuet
: [14:44] Le menuet paraît presque banal de prime abord après un adagio aussi
élaboré. Pourtant on y retrouve ce souci de faire dialoguer les vents de
façon agreste sur une mélodie plutôt sophistiquée assumée par les cordes.
[16:49] Le trio plus original que dans la N°84 fait appel à un solo virtuose du
hautbois avec une largeur de tessiture rarement exigée à l'époque.
4 – Finale Vivace
: [19:12] Le finale est assez bref et établit une symétrie avec le vivace par sa
rythmique vigoureuse.
Antal Dorati
avait la réputation d'un chef précis qui ne laissait jamais languir la
musique. Son interprétation est brillantissime
et
épanouie. Cette remarque vaut pour les six symphonies réunies dans
l'album.
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Si on ne compte plus les enregistrements des symphonies
Londoniennes, la situation est différente pour les
Parisiennes. L'enregistrement d'Antal Dorati
reste un incontournable. Dans les années 60, le jeune et fougueux Leonard Bernstein
insuffle une
jovialité trépidante à la virtuosité de la Philharmonie de New-York
qu'il maîtrise totalement. Son cycle des
londoniennes étant également un must, Sony a réédité l'ensemble paru chez
CBS (Sony
– 6/6). Bien entendu, aux tensions dionysiaques de
Dorati ou
Bernstein, on pourra préférer
l'élégance intimiste de Neville Marriner
(Philips DUO – 5/6). Enfin,
pour les fans des interprétations sur instruments d'époque, Sigiswald Kuijken
et sa Petite Bande
évitent la dérive baroqueuse pour ces œuvres de l'époque classique aux
portes du romantisme (Veritas – 5/6)
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Les
symphonies
N°
84
&
87
par
Antal Dorati. Le son est très correct pour des vidéos YouTube. Certes le graves sont
lourds et pneumatiques,
loin de la finesse des gravures DECCA.
Les animations
psychédéliques sont ridicules. J'aurais préféré une simple image bucolique
même ringarde, ou le portrait de
Haydn. Ça me fatigue les yeux, et ça me fait penser à la télé en couleur du
Pr Tournesol dans Les bijoux de la Castafiore… Pas grave, de toute
façon
ces vidéos sont destinées à être
écoutées.
Les quatre autres symphonies
sont également disponibles ci-dessous en complément, un commentaire
stylistique serait redondant.
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