samedi 22 avril 2017

Joseph HAYDN – 6 Symphonies "Parisiennes" (N°82 à 87) – Antal DORATI – par Claude TOON



- Petit retour sur papi Haydn M'sieur Claude ! Ça fait un bail que l'on n'en a pas parlé de l'homme aux 104 symphonies… Du coup, vous nous les présentez par lot de six…
- Oui Sonia, un cycle de symphonies de la maturité, et comme toujours, une musique inventive, virevoltante et pleine d'humour…
- Mais pourquoi ce surnom de "Parisiennes", Haydn est un compositeur allemand… Il les a écrites lors d'un voyage dans la capitale ?
- Non Sonia, elles ont été composées vers 1785-1786 outre-Rhin, mais Haydn les a conçues pour les grands orchestres parisiens qui curieusement n'existaient pas dans son pays !
- Le commanditaire était-il français alors ?
- Eh bien oui : le comte d’Ogny (1757-1790) qui destinait ces symphonies au répertoire du Concert de la Loge Olympique parisienne. La franc-maçonnerie s'imposait au siècle des lumières. Haydn comme Mozart n'était pas insensible à ce mouvement de renouveau de la pensée…

Joseph Haydn en 1785
Lors d'une émission comme "qui veut gagner du pognon"  (les inconnus), à la question "veuillez citer deux compositeurs de l'époque classique", Mozart et Beethoven ont 99 % de chance d'être nommés. Haydn, inexplicablement, sera quasi systématiquement oublié et il est même probable que rappeler par le présentateur, les brillants candidats ouvrent des yeux ronds… Et c'est un mystère que le compositeur autrichien né en 1732 (24 ans avant Mozart) et mort en 1809 (Beethoven a déjà 39 ans), auteur d'une œuvre considérable grâce à cette exceptionnelle longévité, novateur dans tous les domaines, n'ait pas autant marqué de son nom l'histoire de la musique (voire de la culture occidentale) que les deux génies concurrents.
Est-ce une question de personnalité ? D'un côté le marmot Mozart surdoué et ingérable, de l'autre l'homme Beethoven sourd et aux opinions révolutionnaires. Haydn, malgré un tempérament épicurien, fidèle à ses protecteurs, a moins nourri la légende ; et en plus son nom, à première vue, semble imprononçable (Aie deun'). Je me laisse sans doute aussi prendre au piège en ne consacrant aujourd'hui qu'une 6ème chronique contre 12 pour chacun de nos deux amis célébrissimes. Décision : 2017 sera l'année Haydn, notamment sa musique de chambre.
Sonia s'étonne de cette chronique axée sur un groupe de six symphonies qui forment un cycle. Toutes ont leur charme, mais imaginez-moi écrire un papier détaillé pour chacune des 104 symphonies ! (Une tous les samedis pendant 2 ans, ou deux par an jusqu'à ma 117ème année 😇). Ces six virevoltantes symphonies ayant, avouons-le, un petit air de famille, j'ai choisi d'en commenter seulement deux assez différentes parmi les six : la N°84 et un coup de cœur : la N°87 qui est, semble-t-il, la première écrite. (Étrangeté des catalogues.)
Pour une biographie résumée de Joseph Haydn, rendez-vous dans l'article dédié à trois des douze symphonies londoniennes sous la baguette facétieuse de Sir Thomas Beecham (Clic).
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À la fin du siècle des lumières, la vie musicale française est hyperactive, même si entre la mort de Rameau en 1764 et les débuts fracassants de Berlioz vers 1830, notre pays ne voit pas l'émergence de compositeurs aussi géniaux que les trois compères germaniques cités avant… Les organisateurs de concerts, friands de modernité vont donc se "fournir" outre Rhin.
Dans les années 1780, le fermier général Charles Marin de La Haye des Fosses et le comte Claude-François-Marie Rigoley d'Ogny fondent un orchestre opulent sous la houlette Franc-maçonne : Le Concert de la Loge Olympique ; le chef d'orchestre attitré étant Joseph Bologne de Saint-George*.
(*) Essayez de caser ça lors des agapes de baptême ou de communion entre une échauffourée sur les scores du PSG et un débat sur le soap opera Amour, Gloire et Beauté, je vous assure : ça jette – à condition de l'apprendre par cœur…
Antal Dorati (1906-1988)
Revenons à notre sujet : les symphonies dites "parisiennes" sont donc le fruit d'une commande passée à Haydn par ces nobles mécènes parisiens qui disposent d'un grand orchestre mais pas vraiment de répertoire. Haydn, lui, maîtrise le sujet mais ne dispose que d'orchestres de cours riquiquis mis à la disposition par ses protecteurs parfois rapiats. Le compositeur sera trop heureux (ça s'entend) de concocter cet ensemble de six symphonies entre 1785 et 1786. Un groupe qui amorce l'ensemble des 23 symphonies géniales de sa fin de carrière (en comptant les 12 Londoniennes et 5 symphonies isolées N°88 à 92).
Dans ce Paris où grondent les premiers élans révolutionnaires face à la monarchie de Louis XVI qui part à vau l'eau, les symphonies de Haydn vont faire fureur par leur hardiesse et leur bonhomie. Un succès qui ne se démentira pas même pendant le Consulat et l'Empire ! Au début de l'ère romantique, le public ne se lasse pas et demandera même que l'on joue les 81 opus précédents…
Nota poilant : Le Concert de la Loge Olympique a été recréé en 2015 à l'initiative de Julien Chauvin, spécialiste de l'interprétation sur instruments d'époque et fervent défenseur de Haydn. Vous ne me croirez pas, mais le Comité national olympique et sportif français (président : Denis Masseglia - je balance) a lancé une procédure judiciaire pour faire supprimer le mot "olympique" historique. L'orchestre n'a pas eu gain de cause ! 
- Non Sonia, ce n'est pas une connerie !!!
- M'sieur Claude… Vos chroniques sont envahies par la loufoquerie je trouve !
- Sonia, Haydn et ses symphonies font dans la truculence… Je me mets au diapason (logique en musique)
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Le chef d'orchestre d'origine hongroise Antal Dorati (1906-1988) a déjà fait la une dans le blog pour deux versions du Sacre du printemps de Stravinsky (Clic), mais aussi à propos d'une anthologie de 5CD proposant des œuvres des plus diverses, un voyage symphonique avec Richard Strauss, Gershwin, Prokofiev et quelques autres (Clic). 5 CD réédités à partir de gravures de légende pour la firme Mercury à l'aube de la stéréo…
Années 69-72 : le maestro, aussi boulimique d'enregistrements qu'un Karajan ou un Marriner, se lance dans un pari fou : graver les 104 symphonies de Haydn avec le Philharmonia Hungarica. Un orchestre basé en Allemagne et composé de musiciens hongrois ayant fui la répression soviétique à Budapest en 1956. Une cinquantaine de Vinyles vont paraître sous forme de coffrets de 5-6 disques. C'est une première et une réussite totale ! Il faudra attendre la fin du XXème siècle pour découvrir de nouveau un même marathon sous la baguette de Adam Fischer, entre 1987 & 2001 pour être précis. Cette intégrale par Antal Dorati est un monument et même si la direction reste fidèle à la tradition classique, la verve n'a pas pris une ride. En cette époque numérique, le coffret de 33 CD quitte parfois le catalogue pour ressurgir dans une nouvelle édition. Les symphonies Parisiennes et Londoniennes sont disponibles en trois doubles albums.
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Paris en 1785
Trois des symphonies portent des surnoms pittoresques, rappelant en cela les sous-titres amusants des pièces pour piano de Rameau.
N° 82 : L'ours. Sans doute lié au final puissamment rythmé qui fait songer à la danse d'un plantigrade sur une place de village après dressage par des saltimbanques…
N° 83 : La Poule. On entend le gallinacé caqueter dans l'introduction. Le volatile fait fureur en musique, chez Rameau, justement, mais aussi dans "les oiseaux" de Respighi
N° 85 : La Reine. Car la symphonie enthousiasma particulièrement la reine Marie-Antoinette
Des sous-titres surement ajoutés a posteriori par des éditeurs facétieux.
L'orchestration est résolument classique. À noter que Haydn n'utilise pas, à l'inverse de Mozart, les clarinettes qui en sont à leurs balbutiements, donc : 1/2/2, 2 cors et 2 trompettes, timbales et cordes.
Symphonie N° 84                            
Comme ses sœurs, elle comporte quatre mouvements. Cependant, sont absentes timbales et trompettes. Son sous-titre " In nomine Domini" figure sur la partition mais n'est guère utilisé…


Joseph Bologne de Saint-George
1 – Largo – Allegro : Un largo introduit l'œuvre. Ce principe est assez nouveau et anticipe le romantisme. Il sera utilisé fréquemment dans les londoniennes puis par Beethoven. Cette sérénité initiale prépare doucement une transition marquée et frappante avec la joyeuseté de l'allegro. Une mélodie charmante des cordes s'opposent à des traits orchestraux énergiques intégrant les vents, traits qui se bousculent comme des courtisans sur une piste de danse. Comme toujours chez Haydn, le développement réserve des surprises que l'on pourrait qualifier d'épiques à partir d'une thématique pourtant simple mais à laquelle on adhère immédiatement. Ô rien de métaphysique dans cette musique gorgée de vitalité spontanée, un style qui ne pouvait que plaire dans ce Paris effervescent de la fin du XVIIIème siècle.
2 – Andante : [7:23] L'andante se veut plus noble mais sans gravité. Il est vrai qu'en l'absence de timbales et de trompettes, la couleur sonore peut sembler sombre. Non, elle se révèle plutôt recueillie. [8:45] La seconde idée exposée apporte une touche de mélancolie. Un passage à peine plus sévère auquel succède [10:02] une variation élégante avec de beaux solos des divers pupitres de cordes. On pourra ressentir un climat nocturne dans cette musique pourtant généreuse, mais Haydn n'hésite pas à créer un clair-obscur à l'aide de touches instrumentales ici et là. [12:48] La fin du mouvement laisse place à un dialogue enchanteur des bois et des pizzicati proche des sérénades mozartiennes.
3 – Menuet – Alegretto : [13:54] Le menuet se veut pour le moins énergique avec ses motifs de marche soldatesque entrecoupés de plaisantes variations aux bois. Le menuet commence à sortir de sa gangue classique parfois insipide. Haydn inaugure une forme plus libre et plus fantaisiste qui deviendra plus tard le scherzo. [15:18] Dans le trio, la flûte nous lance des clins-d'œil assez drôles. Curieuse métaphore, mais je ne me renie pas… Bon, un peu répétitif et pas très léger ce menuet.
4 – Finale Vivace : [17:55] Comme toujours dans le finale, Haydn fait jaillir les thèmes gaiement. On retrouve les mutines saillies des cors et des vents qui interrompent un discours vaillant aux cordes. Petit à petit, vague après vague, la musique se développe dans plusieurs directions mais sans confusion. C'est le style Haydn que Dorati maîtrise à merveille, ménageant avec brio toutes les interventions les plus insolites des différents pupitres. La coda est introduite par un solo de flûte. Haydn montrait une fois de plus que disposer de dizaines d'instruments différents n'est pas indispensable pour varier à l'infinie les couleurs orchestrales.


Départ de la traversée de la manche depuis Paris en 1785
Symphonie N° 87
L'orchestration est la même que pour la symphonie N° 84
1 – Vivace : Vivace est un euphémisme. Haydn lance ses troupes à l'assaut. Attention, pas de manière militaire et violente, non, nous écoutons virevolter un orchestre au complet. Le thème, quasiment un leitmotiv, est composé d'un arpège ascendant suivi d'un autre descendant. Le résultat est une danse un peu folle où les vents concertent vaillamment face à une déferlante de cordes. On ressent une forme d'héroïsme bon enfant. Le tempo pour le moins allant donne au discours une allure de perpetuum mobile sans l'aspect lancinant de ce concept. La forme sonate est assez rigoureuse mais, comme dans le finale de la symphonie n°84, Haydn confie un rôle empreint de lyrisme à sa petite harmonie. On apprécie aussi la dynamique très accentuée. L'orchestre folâtre de manière gaillarde. L'un des mouvements de symphonie les plus réjouissants du compositeur, avec ses syncopes qui relancent sans cesse cette aimable "plaisanterie musicale".
2 – Adagio : [7:40] Après cette entrée en matière échevelée, Haydn repose son auditoire avec un bel adagio dans lequel les bois vont avoir la part belle. De pupitre en pupitre, un discours concertant va s'établir entre flûte, hautbois et bassons pour illuminer cette page poétique. Les vents se réuniront pour nous divertir avec une facétie alerte soulignée par des trémolos. Je ne pouvais faire une sélection dans ce cycle quelle qu'elle soit sans y intégrer cette symphonie. La pertinence et la virtuosité des solos, d'une inventivité inouïe, annoncent une certaine "pastorale" de Beethoven vingt ans plus tard.
3 – Menuet : [14:44] Le menuet paraît presque banal de prime abord après un adagio aussi élaboré. Pourtant on y retrouve ce souci de faire dialoguer les vents de façon agreste sur une mélodie plutôt sophistiquée assumée par les cordes. [16:49] Le trio plus original que dans la N°84 fait appel à un solo virtuose du hautbois avec une largeur de tessiture rarement exigée à l'époque.
4 – Finale Vivace : [19:12] Le finale est assez bref et établit une symétrie avec le vivace par sa rythmique vigoureuse. Antal Dorati avait la réputation d'un chef précis qui ne laissait jamais languir la musique. Son interprétation est brillantissime et épanouie. Cette remarque vaut pour les six symphonies réunies dans l'album.
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Si on ne compte plus les enregistrements des symphonies Londoniennes, la situation est différente pour les Parisiennes. L'enregistrement d'Antal Dorati reste un incontournable. Dans les années 60, le jeune et fougueux Leonard Bernstein insuffle une jovialité trépidante à la virtuosité de la Philharmonie de New-York qu'il maîtrise totalement. Son cycle des londoniennes étant également un must, Sony a réédité l'ensemble paru chez CBS (Sony – 6/6). Bien entendu, aux tensions dionysiaques de Dorati ou Bernstein, on pourra préférer l'élégance intimiste de Neville Marriner (Philips DUO – 5/6). Enfin, pour les fans des interprétations sur instruments d'époque, Sigiswald Kuijken et sa Petite Bande évitent la dérive baroqueuse pour ces œuvres de l'époque classique aux portes du romantisme (Veritas – 5/6)

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Les symphonies84 & 87 par Antal Dorati. Le son est très correct pour des vidéos YouTube. Certes le graves sont lourds et pneumatiques, loin de la finesse des gravures DECCA. Les animations psychédéliques sont ridicules. J'aurais préféré une simple image bucolique même ringarde, ou le portrait de Haydn. Ça me fatigue les yeux, et ça me fait penser à la télé en couleur du Pr Tournesol dans Les bijoux de la Castafiore… Pas grave, de toute façon ces vidéos sont destinées à être écoutées. Les quatre autres symphonies sont également disponibles ci-dessous en complément, un commentaire stylistique serait redondant.





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