Madame en bas, Monsieur en haut, et K. Douglas |
Un
point gêne Kirk Douglas : le happy end. Il dit à Kubrick : « pourquoi
tu as écris ça ? » Et Kubrick de répondre : « pour être
commercial, je veux gagner de l’argent avec ce film ». Il a fallu cinq
versions du scénario avant d’aboutir au résultat que l’on connait. Kubrick, qui
n’avait pas renoncé à son idée, rajoute une dernière scène plus optimiste, avec la
chanteuse allemande au mess. Accessoirement, la chanteuse en question, Christiane
Harlan, deviendra madame Kubrick.
L’auteur
de polar Jim Thomson participe à l’écriture, comme Calder Willingham, mais rien
n’est clair dans cette histoire, il a fallu que le syndicat des scénaristes rende une décision pour
savoir qui créditer ! Le tournage a lieu en Allemagne, après que la France
ait refusé. Ce qui permettait à Kirk Douglas d’y préparer aussi certaines
scènes de VICKING de Richard Fleisher.
Ce
film est un de mes Kubrick préférés, plus je le
vois, plus je l’admire ! L’histoire est connue, comme l’issue commerciale
du film, censuré en France (en pleine guerre d’Algérie, ça la foutait mal), en
Belgique. Le film est diffusé mais à la condition qu'il soit précédé de la Marseillaise ! Le scandale
attire le public. Puis plus rien pendant 25 ans… L’objet du délit ? Ce
fait historique qu’il n’était pas de bon ton de relater : comment, en
1916, l'état major fit tirer sur ses propres soldats, pour les obliger à
sortir des tranchées, et attaquer la Fourmilière, position allemande. Et
comment trois poilus sont tirés au sort pour être exécutés, pour lâcheté et
trahison.
Ce
film me rappelle à plusieurs égards LA GRANDE ILLUSION de Jean Renoir. Kubrick
oppose la vie des troufions, dans les tranchées, aux généraux aristocratiques
qui végètent dans de somptueux châteaux, style XVIIIè… Kubrick a toujours aimé
ce siècle, celui des Lumières, des philosophes, des découvertes techniques. Il
le filme dans BARRY LYNDON, mais aussi dans 2OO1 (à la fin), dans les fantasmes
d’ORANGE MECANIQUE. Kubrick oppose la magnificence de l’architecture, de l’art,
à la vacuité ou la violence de ce qu’il s’y passe.
Kubrick
montre l’angoisse et la boucherie des tranchées, avec ces travellings arrières
éblouissants, lorsque le colonel Dax inspecte les troupes avant l’assaut. Des
plans sublimes, virtuoses, comme ces travellings latéraux sur le champ de
bataille. Les figurants ? 600 flics allemands, numérotés, pour mourir au
bon endroit, au bon moment, filmés par six caméras. Celle qui suit Kirk
Douglas, avec zoom, est tenue par Kubrick, au grand dam des
opérateurs... Les syndicats, pointilleux sur qui doit faire quoi, devront s'habituer !
Des
scènes auxquelles s’opposent celles des officiers, occupés à leur bal, sur fond
de valse et de calculs politiques. Car le vrai théâtre des opérations se déroule dans des salons richement ornés. L’armée est contrôlée par des nantis, des
carriéristes, des politiques. Dans FOLAMOUR, Kubrick en fera des dingues, des
grands malades. Le film est souvent qualifié d'antimilitariste, mais Kubrick ne rejette pas l'Armée en soi (il en a filmé beaucoup, déjà dans son premier FEAR AND DESIRE). L’auteur fustige
davantage la futilité, la vacuité, l’incompétence, l’imbécilité des donneurs
d’ordres. La guerre est une folie, parce qu'elle est dirigée par des fous. Kubrick pourrait reprendre l'adage de Clemenceau : la guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée à des militaires.
Le
procès des trois déserteurs se déroule dans une grande pièce, dont l’objectif
grand angle accentue la solennité. Le sol est un damier noir
et blanc - on sait le réalisateur féru d’échecs entre deux prises - et c'est ce que le film reflète : une partie d’échec, un jeu de pouvoir, entre tenants de
l’autorité. Une autorité stricte et inhumaine, comme le souligne la géométrie
des lieux, des déplacements. En amorce des plans, on voit des profils de
visages en ombres chinoises. Témoins anonymes et muets. On laisse faire.
L'ordre, la symétrie |
La
mort filmée comme un cérémonial. D’abord un plan très large, à la grue, le
château en arrière-plan, symétrie des formes. L’autorité a dit que. Kubrick
utilisera souvent cette figure de style. Peu de musique additionnelle, au grand
dam du compositeur, puisque le réalisateur choisit des sons de roulements de
tambours, de clairons, pour parsemer sa bande son. Une dimension presque
abstraite, annonciatrice de FULL METAL JACKET.
Et
l’art du montage. Après l’exécution, on enchaine, cut, avec l’apéro des gradés.
Ça rigole, cigares et porto. Le cynisme n’a plus de limite quand le général Mireau
félicite le colonel Dax : « vos hommes sont morts dignement ». Dax
fulmine, menace, son supérieur Broulard, vieux singe quatre étoiles, sent le scandale arriver. Vite, protégeons l'institution, faisons sauter les
fusibles.
Adolphe Menjou et Kirk Douglas |
Le générique défile à l’envers : d’abord les troisièmes rôles, les seconds, puis les premiers, avec
Douglas en dernier. Impérial, évidemment.
LES
SENTIERS DE LA GLOIRE est un grand classique, tellement connu qu’on en oublie
parfois qui en est l’auteur ! Kubrick n’y est pas encore le cinéaste par
excellence, mais déjà sa vision se met en place. La rigueur des compositions,
des mouvements d’appareil, les dialogues (c’était aussi un brillant
dialoguiste), l’humain broyé par le conflit, l’autorité incompétente et
cynique, la collusion des élites. C’est là où Kubrick frappe fort, les salauds, les nantis, sont à l’écran plus choyés
que leurs victimes. On les déteste ! Comme le vieux et affable général Broulard, joué par le
vétéran Adolphe Menjou, qui tournait déjà chez Chaplin dans L’OPINION PUBLIQUE
(1922). On est moins dans un mélodrame que dans un théâtre de marionnettes, où
le calcul domine pour la survie de classe, où la Raison broie l’humain. Un
des thèmes récurrent du cinéaste.
NB - 1h25 - format 1:1.33
la bande annonce d'origine :
NB - 1h25 - format 1:1.33
la bande annonce d'origine :
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Dans mon top 3 des films de Kubrick avec "Barry Lyndon"(Le frère de Vincent...! :D) et "Full Métal Jacket".
RépondreSupprimerTu sites "La grande Illusion" de Renoir, mais je trouve qu'il est plus proche du film "Les Croix de Bois" de Raymond Bernard que j'avais chroniqué il y a peut.
"Les Croix de bois", of course (j'avais préparé l'article pour la même occasion, mais deux guerres de 14 dans la même semaine, nos lecteurs se seraient lassés !) mais je pensais plus à la manière de traiter les classes sociales.
RépondreSupprimerEt concernant le "frère de Vincent", désolé Pat, mais... tu sors ! Tu passes au bureau de Rockin' et tu reviens avec un mot.
Pardon M'sieur ! J'l'ferrai plus !
SupprimerMouais...
SupprimerJ'ai pas voulu faire l'armée sous Giscard ou Mitterrand, ratant du coup une brillante (?) carrière (??) dans la fonction publique (!!!), l'administration (!!!!) ou je ne sais où ...
RépondreSupprimerQuand j'ai vu ce film, j'ai compris que j'avais eu raison...
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerOn en avait déjà causé. Les Sentiers de la gloire n'est bien sûr pas un film antimilitariste. Au contraire. Le système qui conduit à la guerre, qui l'entretient, n'est pas remis en cause. La critique ne touche que ceux qui dévoient trop ouvertement ce système. Dax est l'archétype du "bon officier", paternaliste, aimé de ses hommes, mais qui les conduit quand même à la mort. Dans l'absolu, c'est un imbécile.
RépondreSupprimerC'est de pire en pire pour passer un com....10 minutes....Commentaire effacé, bascule vers je sais pas quoi (compte blogger..., j'ai dû m'enregistrer sur un truc et je déteste m'enregistrer sur le net)). Ça devient lassant.
RépondreSupprimerbb
RépondreSupprimerShuffle : Je ne peux qu'être d’accord ("c'est un imbécile puisqu'il conduit des hommes à la mort") sauf que du point de vue de 14-18, cette réflexion est hors de propos. Il faut toujours replacer un film dans son contexte... Dax défend ses hommes, remet en cause l'élite militaire, il sait le sacrifice, l'injustice. Mais oui, il (Kubrick) ne remet pas en cause la guerre, et pour cause, cette guerre a eu lieu !! On a affaire à un film des années 50, qui parle des années 14... Mais le propos me semble universel. Mais, non de Dieu, est-ce ou pas un bon film ??? La réponse est oui, cent fois oui. Si Kubrick avait dû le faire 50 ans plus tard, les choses auraient été différentes... Voir "Full Métal Jacket", par exemple...
RépondreSupprimerLe film est excellent, je suis d'accord.
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