- Ah, chronique dédiée à
César Franck M'sieur Claude ! Ce compositeur que vous évoquez souvent dans vos
billets n'a été commenté qu'une seule fois pourtant…
- Oui Sonia, à propos de
sa célèbre symphonie en ré mineur. Franck avait une telle charge de travail
comme organiste et pédagogue que ses œuvres sont rares...
- Hum ! Il était peut-être perfectionniste
? Il me semble que vous écrivez souvent que la forme quintette avec piano est
difficile à manier…
- Oui, il y en a peu et
souvent un seul par compositeur : Schumann, Brahms, deux pour Fauré pour citer
ceux que j'ai déjà présentés dans ce blog.
- Sviatoslav Richter était
un grand pianiste russe et vous n'en avez encore jamais parlé ?
- Il y a tellement de
musiciens à rencontrer Sonia… Oui un artiste intelligent, d'une grande finesse,
et l'interprétation de ce quintette bénéficie de ces qualités…
Sviatoslav Richter XXXXXX |
La
forme quintette
avec piano et quatuor à cordes semble rebuter ou effrayer les
compositeurs. Comme je l'avais écrit dans une chronique de 2015, Schumann fut le pionnier dans
l'instrumentation idéale : 1 piano et 1 quatuor à cordes classique. Le quintette
"la
truite" de Schubert
comporte une instrumentation atypique sans second violon et avec une
contrebasse. Tiens, Wikipédia
a établi un récapitulatif et l'on est surpris de ne trouver qu'une vingtaine
d'œuvres de ce genre dans l'histoire de la musique. Par ailleurs, chaque
compositeur, hormis Fauré, ne s'est aventuré qu'une
seule fois dans la composition de ce mini concerto pour piano et cordes. C'est
ainsi que dans l'index, on trouvera des articles consacrés
aux quintettes
isolés de Schumann et de Brahms, et les deux de Fauré. Trois articles seulement… Oui, mais
pour quatre chefs-d'œuvre, et voici aujourd'hui un cinquième.
Si
une certaine symphonie
en ré mineur reste l'une des œuvres phares du compositeur
d'origine belge, c'est plus encore dans la musique de chambre que César Franck va révolutionner dès 1843 l'écriture musicale, influencé en
cela par l'art wagnérien du leitmotiv et du chromatisme. En cette année-là,
voit le jour les Trios
Opus 1 N° 1-3 et Opus 2 (pour piano et cordes). Des
ouvrages attachants mais absolument pas enregistrés* malgré une verve et une
habileté certaines… Car oui, à en croire uniquement la discographie, on pense
que Franck a peu composé, très occupé par ses
fonctions d'organiste et de pédagogue. Et bien non, le catalogue sans être
fleuve n'est en rien négligeable dans la plupart des genres, mais à part des
dizaines de gravures de la symphonie et sans doute autant de la
sonate
pour
violon et piano,
les labels et les artistes boudent ce compositeur qui de fait reste à
découvrir !
(*)
Il existe un coffret de quatre CD dédié à la musique de chambre. Je crains bien
que ce soit le seul réunissant autant d'ouvrages divers à côté de la célèbre sonate
et du quintette
(Édité chez Cypres en 2012 – une intégrale sans doute).
Écoute sur Deezer.
Sviatoslav Richter et deux comparses ont
enregistré le premier trio il y a bien longtemps…
Si
le quintette pour
piano et cordes a connu de belles interprétations au disque, on
ne peut pourtant pas parler de discographie pléthorique. Coup de chance, pour
vous faire partager cette œuvre majeure, des artistes russes se sont penchés
avec brio sur le sujet en 1982 : Sviatoslav Richter et le Quatuor Borodine, en un mot des légendes
même si je n'avais pas encore eu l'occasion de présenter ces grands musiciens.
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César Franck |
Parlons
des cinq artistes participant à cet enregistrement avant d'écouter ce
quintette.
Bientôt
la 300ème chronique "classique" et pas un mot sur Sviatoslav Richter alors que je ne compte
plus le nombre de pianistes virtuoses mentionnés dans ces pages ! Emil Gilels, son exact contemporain à un
an près, qui fut la vedette de l'article consacré au 4ème
concerto de Beethoven,
voyageait beaucoup à travers le monde à une époque où la Russie soviétique du
rideau de fer distribuait les visas avec parcimonie. Le public occidental avait
donc élu Gilels "meilleur
pianiste russe" ! Celui-ci, gêné par trop d'honneurs répondait
invariablement "attendez d'avoir entendu Richter…".
Sviatoslav Richter a vu le jour en Ukraine en 1915. Issu d'un milieu bourgeois, le garçon
doit s'éloigner un temps de ses parents cultivés et aisés qui, inquiets par les
premières violences bolchéviques, l'envoient à Odessa. Un gamin qui surprend
très tôt pour sa passion pour l'art en général et la peinture en particulier.
Parcours étrange puisque Richter
va apprendre le piano en autodidacte. Cette absence de formation académique
conduit la plupart du temps à un amateurisme de talent, guère plus. Pourtant en
1934, il donne en concert les si
difficiles ballades de Chopin et dans la salle on murmure "cet homme est un génie"… Il va
pouvoir perfectionner sa technique avec Heinrich Neuhaus
pendant trois ans. L'apprentissage en solitaire a laissé une trace :
avant la virtuosité que va acquérir Richter pendant ces cours, le pianiste
joue d'abord ce qui se cache derrière les notes : l'émotion. Richter ne s'adaptera jamais à l'enseignement
staliniste obligatoire qu'il sèche, et sera même exclu un temps du
conservatoire. Sa carrière va en souffrir longtemps et sa reconnaissance en
occident sera tardive.
Sviatoslav Richter devient dans les années 40 l'ami de Prokofiev et réussira à faire aimer le 5ème
concerto alors que le compositeur, pourtant excellent pianiste,
échouait à faire admettre sa composition. Il créera aussi ses dernières
sonates.
Si
son répertoire est large, ses compositeurs de prédilection restent Debussy, Chopin
et Wagner dont il aimait jouer des
transcriptions, y compris dans le train dans lequel un wagon avait été aménagé
avec un piano. Il y a des ouvrages qu'il se refusera d'interpréter comme
certaines sonates de Beethoven
ou les Variations Goldberg de Bach alors qu'il léguera une intégrale
d'une beauté sidérale du Clavier bien tempéré. Il estimait
que tout pianiste devait connaître ce cycle par cœur…
Portrait de Sviatoslav Richter par Anna Troyanovskaya |
Deux mots sur le quatuor Borodine qui sera sans doute invité de nouveau. Il s'agit d'une formation créé en 1944 autour de Rudolf Barchaï (Clic). Il existe toujours, telle une institution, mais après avoir changé de nombreuses fois de musiciens aux divers pupitres. Leurs enregistrements des quatuors de Chostakovitch sont des références. Je n'ai aucune photo des interprètes en 1982, juste les noms : Mikhail Kopelman et Andrei Abramenkov (violons), Dmitri Shebalin (alto), Valentin Berlinsky (violoncelle).
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Eugène Boudin : marée haute à Deauville |
Le
quintette est écrit en 1879. Une œuvre de maturité (Franck a 57 ans). Elle précède de dix ans
la symphonie en ré mineur qui sera le chant
du cygne symphonique de Franck.
Points communs aux deux œuvres : une durée d'une quarantaine de minutes, et
l'absence de scherzo, ce mouvement de divertissement, avec son rôle de pause
hérité du menuet classique et qui, pour certains compositeurs modernistes du
XIXème siècle, n'a plus systématiquement sa place dans les ouvrages
romantiques à l'inspiration plus cérébrale.
Il
s'agit du premier quintette de la main d'un compositeur établi en France (ceux
de Fauré datent de 1906 et 1919). Dédié à Camille Saint-Saëns, ce compositeur-pianiste
tiendra la partie de piano lors de la création début 1880. Il fera la fine bouche en se trouvant confronté à cette musique
qui ne procède en rien de son académisme chéri, et pire : se nourrit du
chromatisme et du principe des leitmotive d'un Wagner.
Il laissera la partition sur le piano en fin de concert et partira, méprisant,
vers les coulisses ! Quelle élégance pour un dédicataire d'une œuvre aussi
géniale… Debussy, lui, appréciera, toujours
friand d'expressions nouvelles, le public restant plutôt divisé.
1 - Molto moderato quasi
lento - Allegro
: On imagine parfois la musique de Franck
comme terne et grave. L'introduction du premier mouvement tend à prouver le
contraire. Des traits de cordes jaillissent comme des vagues écumantes. Le
violon solo joue la mélodie soutenu par un léger continuo des trois autres
cordes. Cinq mesures à la fois épiques et lyriques malgré le tempo lent. Le
piano enchaîne seul une série d'arpèges en triolet, apportant des rayons
lumineux dans cette brume matinale. Le choix des peintures impressionnistes d'Eugène Boudin (merci d'éviter les vannes) n'a
pas de lien direct avec l'émotion mais avec le climat musical, à savoir un
espace immense, un clair-obscur.
Eugène Boudin : Soleil couchant |
Ce
premier double sujet est repris deux fois, exprimant langueur et même
sensualité. Il faut dire que la finesse et le subtil staccato de Richter n'est pas étranger à la beauté
plastique et élégiaque du discours. Le Quatuor Borodine
évite lui aussi tout effet sirupeux et germanisant dès les premières mesures riches
de tensions dramatiques. César Franck
comme j'en ai rêvé (j'ai acquis ce disque récemment). Dans cette introduction
introspective, cordes et piano se répondent plus qu'ils ne concertent, désarroi
et état d'âme versatile typiquement romantiques. On apprécie également la
sonorité drue du Quatuor Borodine, sans
vibrato, soulignant de belle manière la spiritualité majestueuse du propos dans
cette introduction. Par la reprise du groupe thématique, on pense à une forme
sonate, pourtant César
Franck ne va pas en rester là, une sorte de coda hardie va clore
ce lento pour un autre univers…
[3:31] Le piano abandonne ses suites d'arpèges
pour lancer en solo un allegro au rythme martial s'emplifiant crescendo.
[3:45] Un motif chromatique de trois mesures énoncé à l'unisson aux cordes est
repris plusieurs fois pour marquer sa fonction de leitmotiv. Piano et cordes
vont le chanter plus avant en alternance. Il va s'insinuer dans chaque phase du
développement et même au-delà dans tout le quintette. Franck
fait intervenir une à une ou en complicité les cordes, une technique qui rappelle
celle structurant les concertos pour orchestre. L'inventivité du phrasé, les
variations de climat et de dynamique n'ont que rarement rencontré une telle vitalité
dans l'interprétation. Les motifs de l'introduction ressurgissent, métamorphosées,
impétueux. Le quintette prend vraiment une dimension symphonique impossible à
décrire en quelques phrases. [12:10] Un passage plus méditatif précède la coda
qui réexpose les motifs précédents avec allégresse, la lumière cendrée initiale
semblant laisser place à l'ivresse.
Eugène Boudin : Honfleur |
2 - Lento con molto
sentimento
: [16:35] On retrouve une sourde inquiétude dans le début du lento central.
Certes, une morosité masquée par l'apparente sérénité ambiante. Si le piano se
montrait volubile dans l'allegro, il joue ici la carte des accords pp tandis que le violon soutenu par les
cordes graves chante une complainte, celle du temps perdu d'un Proust. César Franck imagine une ballade tendre
sous un ciel mordoré. La mélodie se révèle ondulante, serpentine et infiniment gracieuse.
Nostalgique mais non bouleversante. Est-ce de la précision et de l'équilibre
souverain entre le piano et le quatuor que nait ce sentiment paisible à
l'écoute de cette version, à l'opposé de la tristesse un peu grise d'autres gravures
? C'est fort possible. [18:45] Une variante du leitmotiv apparait pour s'évader
du climat élégiaque de mise. Franck
confirme ainsi son désir d'unifier l'œuvre à la fois par l'unité poétique et romantique
du discours, mais aussi par cette résurgence de motifs. [22:26] Réémergence du
thème introductif de manière énigmatique pour préparer un passage passionné et
intense, presque terrifiant, suivi d'une conclusion apaisée.
3 - Allegro non troppo ma
con fuoco
: [28:06] De nerveuses doubles croches soutenues par des accords sombres au piano
préfigurent un final plus enlevé sans tourner le dos aux tonalités mineures précédentes (malgré un fa
majeur initial). On pourra regretter un manque de transition marquée avec l'esprit des deux
mouvements précédents, mais Franck
reste fidèle à l'unité émotionnelle souhaitée dans sa composition. Plus joyeux
et quasi festif, ce final verra les thèmes incontournables de la forme cyclique
rejaillir plusieurs fois dès l'entrée du second développement et de la coda [33:36]
et [36:32]. Une interprétation culte par sa vigueur.
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La
discographie de ce quintette est abondante. Je possède une gravure de 1992 dans laquelle Gabriel Tacchino et le quatuor Atheneum-Enesco proposaient une
lecture quasi métaphysique. Hélas le disque paru chez le label confidentiel Pierre Verany semble avoir disparu du
catalogue en CD (Disponible d'occasion). Pour les fans de Franck,
le coffret de 4 CD Cypres réunissant
toute sa musique de chambre est incontournable malgré une jaquette à faire peur
!!!
La vidéo du CD commenté ce jour, puis un lien Deezer vers le disque de 1992...
Il est vrai que César Frank en dehors de la symphonie en ré mineur, son oeuvre est peut connus, la preuve, je ne connais rien d'autre. Richter que j'ai découvert il y a bien longtemps avec le concerto n°2 en ut mineur de Rachmaninov (collection Chant du Monde).
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