samedi 25 mars 2017

FRANCK – Quintette pour piano et cordes – S. RICHTER & Quatuor BORODINE – par Claude TOON



- Ah, chronique dédiée à César Franck M'sieur Claude ! Ce compositeur que vous évoquez souvent dans vos billets n'a été commenté qu'une seule fois pourtant…
- Oui Sonia, à propos de sa célèbre symphonie en ré mineur. Franck avait une telle charge de travail comme organiste et pédagogue que ses œuvres sont rares...
- Hum ! Il était peut-être perfectionniste ? Il me semble que vous écrivez souvent que la forme quintette avec piano est difficile à manier…
- Oui, il y en a peu et souvent un seul par compositeur : Schumann, Brahms, deux pour Fauré pour citer ceux que j'ai déjà présentés dans ce blog.
- Sviatoslav Richter était un grand pianiste russe et vous n'en avez encore jamais parlé ?
- Il y a tellement de musiciens à rencontrer Sonia… Oui un artiste intelligent, d'une grande finesse, et l'interprétation de ce quintette bénéficie de ces qualités…

Sviatoslav Richter
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La forme quintette avec piano et quatuor à cordes semble rebuter ou effrayer les compositeurs. Comme je l'avais écrit dans une chronique de 2015, Schumann fut le pionnier dans l'instrumentation idéale : 1 piano et 1 quatuor à cordes classique. Le quintette "la truite" de Schubert comporte une instrumentation atypique sans second violon et avec une contrebasse. Tiens, Wikipédia a établi un récapitulatif et l'on est surpris de ne trouver qu'une vingtaine d'œuvres de ce genre dans l'histoire de la musique. Par ailleurs, chaque compositeur, hormis Fauré, ne s'est aventuré qu'une seule fois dans la composition de ce mini concerto pour piano et cordes. C'est ainsi que dans l'index, on trouvera des articles consacrés aux quintettes isolés de Schumann et de Brahms, et les deux de Fauré. Trois articles seulement… Oui, mais pour quatre chefs-d'œuvre, et voici aujourd'hui un cinquième.
Si une certaine symphonie en ré mineur reste l'une des œuvres phares du compositeur d'origine belge, c'est plus encore dans la musique de chambre que César Franck va révolutionner dès 1843 l'écriture musicale, influencé en cela par l'art wagnérien du leitmotiv et du chromatisme. En cette année-là, voit le jour les Trios Opus 1 N° 1-3 et Opus 2 (pour piano et cordes). Des ouvrages attachants mais absolument pas enregistrés* malgré une verve et une habileté certaines… Car oui, à en croire uniquement la discographie, on pense que Franck a peu composé, très occupé par ses fonctions d'organiste et de pédagogue. Et bien non, le catalogue sans être fleuve n'est en rien négligeable dans la plupart des genres, mais à part des dizaines de gravures de la symphonie et sans doute autant de la sonate pour violon et piano, les labels et les artistes boudent ce compositeur qui de fait reste à découvrir !
(*) Il existe un coffret de quatre CD dédié à la musique de chambre. Je crains bien que ce soit le seul réunissant autant d'ouvrages divers à côté de la célèbre sonate et du quintette (Édité chez Cypres en 2012 – une intégrale sans doute). Écoute sur Deezer. Sviatoslav Richter et deux comparses ont enregistré le premier trio il y a bien longtemps…
Si le quintette pour piano et cordes a connu de belles interprétations au disque, on ne peut pourtant pas parler de discographie pléthorique. Coup de chance, pour vous faire partager cette œuvre majeure, des artistes russes se sont penchés avec brio sur le sujet en 1982 : Sviatoslav Richter et le Quatuor Borodine, en un mot des légendes même si je n'avais pas encore eu l'occasion de présenter ces grands musiciens.
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César Franck
Parlons des cinq artistes participant à cet enregistrement avant d'écouter ce quintette.
Bientôt la 300ème chronique "classique" et pas un mot sur Sviatoslav Richter alors que je ne compte plus le nombre de pianistes virtuoses mentionnés dans ces pages ! Emil Gilels, son exact contemporain à un an près, qui fut la vedette de l'article consacré au 4ème concerto de Beethoven, voyageait beaucoup à travers le monde à une époque où la Russie soviétique du rideau de fer distribuait les visas avec parcimonie. Le public occidental avait donc élu Gilels "meilleur pianiste russe" ! Celui-ci, gêné par trop d'honneurs répondait invariablement "attendez d'avoir entendu Richter…".
Sviatoslav Richter a vu le jour en Ukraine en 1915. Issu d'un milieu bourgeois, le garçon doit s'éloigner un temps de ses parents cultivés et aisés qui, inquiets par les premières violences bolchéviques, l'envoient à Odessa. Un gamin qui surprend très tôt pour sa passion pour l'art en général et la peinture en particulier. Parcours étrange puisque Richter va apprendre le piano en autodidacte. Cette absence de formation académique conduit la plupart du temps à un amateurisme de talent, guère plus. Pourtant en 1934, il donne en concert les si difficiles ballades de Chopin et dans la salle on murmure "cet homme est un génie"… Il va pouvoir perfectionner sa technique avec Heinrich Neuhaus pendant trois ans. L'apprentissage en solitaire a laissé une trace : avant la virtuosité que va acquérir Richter pendant ces cours, le pianiste joue d'abord ce qui se cache derrière les notes : l'émotion. Richter ne s'adaptera jamais à l'enseignement staliniste obligatoire qu'il sèche, et sera même exclu un temps du conservatoire. Sa carrière va en souffrir longtemps et sa reconnaissance en occident sera tardive.
Sviatoslav Richter devient dans les années 40 l'ami de Prokofiev et réussira à faire aimer le 5ème concerto alors que le compositeur, pourtant excellent pianiste, échouait à faire admettre sa composition. Il créera aussi ses dernières sonates.
Si son répertoire est large, ses compositeurs de prédilection restent Debussy, Chopin et Wagner dont il aimait jouer des transcriptions, y compris dans le train dans lequel un wagon avait été aménagé avec un piano. Il y a des ouvrages qu'il se refusera d'interpréter comme certaines sonates de Beethoven ou les Variations Goldberg de Bach alors qu'il léguera une intégrale d'une beauté sidérale du Clavier bien tempéré. Il estimait que tout pianiste devait connaître ce cycle par cœur…
Portrait de Sviatoslav Richter par Anna Troyanovskaya
En 1960, âgé de 46 ans, le virtuose va profiter de la relative détente de l'époque Kroutchev pour conquérir l'occident. Allergique à toute médiatisation, ses tournées sont improvisées tant pour les lieux et les dates que pour les programmes. Le grand pianiste (un géant) a toujours refusé les règles, les systèmes… Drôle d'artiste qui pouvait jouer un jour à Carnegie Hall, puis à la Grange de Meslay sur les bords de Loire ou encore dans un village isolé de Sibérie. Comme l'italien Arturo Benedetti Michelangeli, les annulations de concert étaient fréquentes, souvent pour des raisons de santé qui touchent les grands émotifs. Pour jouer les concertos, il exigeait dix répétitions et comme Glenn Gould, pour éviter les mauvaises surprises, il voyageait avec son propre piano. Bref, je ne vais pas plus loin : Richter est une légende comme personnage secret et surprenant mais aussi comme virtuose au touché délicat et dynamique. Étrangement, ce pianiste d'une intelligence rare, jouait fort mal Mozart qu'il avouait ne pas comprendre, alors que Horowitz si imbu de lui-même le jouait divinement bien. Mystère de la musique et de l'humain. Sviatoslav Richter disparaitra en 1997, peu de temps après avoir arrêter sa carrière.

Deux mots sur le quatuor Borodine qui sera sans doute invité de nouveau. Il s'agit d'une formation créé en 1944 autour de Rudolf Barchaï (Clic). Il existe toujours, telle une institution, mais après avoir changé de nombreuses fois de musiciens aux divers pupitres. Leurs enregistrements des quatuors de Chostakovitch sont des références. Je n'ai aucune photo des interprètes en 1982, juste les noms : Mikhail Kopelman et Andrei Abramenkov (violons), Dmitri Shebalin (alto), Valentin Berlinsky (violoncelle).
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Eugène Boudin : marée haute à Deauville
Le quintette est écrit en 1879. Une œuvre de maturité (Franck a 57 ans). Elle précède de dix ans la symphonie en ré mineur qui sera le chant du cygne symphonique de Franck. Points communs aux deux œuvres : une durée d'une quarantaine de minutes, et l'absence de scherzo, ce mouvement de divertissement, avec son rôle de pause hérité du menuet classique et qui, pour certains compositeurs modernistes du XIXème siècle, n'a plus systématiquement sa place dans les ouvrages romantiques à l'inspiration plus cérébrale.
Il s'agit du premier quintette de la main d'un compositeur établi en France (ceux de Fauré datent de 1906 et 1919). Dédié à Camille Saint-Saëns, ce compositeur-pianiste tiendra la partie de piano lors de la création début 1880. Il fera la fine bouche en se trouvant confronté à cette musique qui ne procède en rien de son académisme chéri, et pire : se nourrit du chromatisme et du principe des leitmotive d'un Wagner. Il laissera la partition sur le piano en fin de concert et partira, méprisant, vers les coulisses ! Quelle élégance pour un dédicataire d'une œuvre aussi géniale… Debussy, lui, appréciera, toujours friand d'expressions nouvelles, le public restant plutôt divisé.

1 - Molto moderato quasi lento - Allegro : On imagine parfois la musique de Franck comme terne et grave. L'introduction du premier mouvement tend à prouver le contraire. Des traits de cordes jaillissent comme des vagues écumantes. Le violon solo joue la mélodie soutenu par un léger continuo des trois autres cordes. Cinq mesures à la fois épiques et lyriques malgré le tempo lent. Le piano enchaîne seul une série d'arpèges en triolet, apportant des rayons lumineux dans cette brume matinale. Le choix des peintures impressionnistes d'Eugène Boudin (merci d'éviter les vannes) n'a pas de lien direct avec l'émotion mais avec le climat musical, à savoir un espace immense, un clair-obscur.
Eugène Boudin : Soleil couchant
Ce premier double sujet est repris deux fois, exprimant langueur et même sensualité. Il faut dire que la finesse et le subtil staccato de Richter n'est pas étranger à la beauté plastique et élégiaque du discours. Le Quatuor Borodine évite lui aussi tout effet sirupeux et germanisant dès les premières mesures riches de tensions dramatiques. César Franck comme j'en ai rêvé (j'ai acquis ce disque récemment). Dans cette introduction introspective, cordes et piano se répondent plus qu'ils ne concertent, désarroi et état d'âme versatile typiquement romantiques. On apprécie également la sonorité drue du Quatuor Borodine, sans vibrato, soulignant de belle manière la spiritualité majestueuse du propos dans cette introduction. Par la reprise du groupe thématique, on pense à une forme sonate, pourtant  César Franck ne va pas en rester là, une sorte de coda hardie va clore ce lento pour un autre univers… 
[3:31] Le piano abandonne ses suites d'arpèges pour lancer en solo un allegro au rythme martial s'emplifiant crescendo. [3:45] Un motif chromatique de trois mesures énoncé à l'unisson aux cordes est repris plusieurs fois pour marquer sa fonction de leitmotiv. Piano et cordes vont le chanter plus avant en alternance. Il va s'insinuer dans chaque phase du développement et même au-delà dans tout le quintette. Franck fait intervenir une à une ou en complicité les cordes, une technique qui rappelle celle structurant les concertos pour orchestre. L'inventivité du phrasé, les variations de climat et de dynamique n'ont que rarement rencontré une telle vitalité dans l'interprétation. Les motifs de l'introduction ressurgissent, métamorphosées, impétueux. Le quintette prend vraiment une dimension symphonique impossible à décrire en quelques phrases. [12:10] Un passage plus méditatif précède la coda qui réexpose les motifs précédents avec allégresse, la lumière cendrée initiale semblant laisser place à l'ivresse.

Eugène Boudin : Honfleur
2 - Lento con molto sentimento : [16:35] On retrouve une sourde inquiétude dans le début du lento central. Certes, une morosité masquée par l'apparente sérénité ambiante. Si le piano se montrait volubile dans l'allegro, il joue ici la carte des accords pp tandis que le violon soutenu par les cordes graves chante une complainte, celle du temps perdu d'un Proust. César Franck imagine une ballade tendre sous un ciel mordoré. La mélodie se révèle ondulante, serpentine et infiniment gracieuse. Nostalgique mais non bouleversante. Est-ce de la précision et de l'équilibre souverain entre le piano et le quatuor que nait ce sentiment paisible à l'écoute de cette version, à l'opposé de la tristesse un peu grise d'autres gravures ? C'est fort possible. [18:45] Une variante du leitmotiv apparait pour s'évader du climat élégiaque de mise. Franck confirme ainsi son désir d'unifier l'œuvre à la fois par l'unité poétique et romantique du discours, mais aussi par cette résurgence de motifs. [22:26] Réémergence du thème introductif de manière énigmatique pour préparer un passage passionné et intense, presque terrifiant, suivi d'une conclusion apaisée.

3 - Allegro non troppo ma con fuoco : [28:06] De nerveuses doubles croches soutenues par des accords sombres au piano préfigurent un final plus enlevé sans tourner le dos aux tonalités mineures précédentes (malgré un fa majeur initial). On pourra regretter un manque de transition marquée avec l'esprit des deux mouvements précédents, mais Franck reste fidèle à l'unité émotionnelle souhaitée dans sa composition. Plus joyeux et quasi festif, ce final verra les thèmes incontournables de la forme cyclique rejaillir plusieurs fois dès l'entrée du second développement et de la coda [33:36] et [36:32]. Une interprétation culte par sa vigueur.

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La discographie de ce quintette est abondante. Je possède une gravure de 1992 dans laquelle Gabriel Tacchino et le quatuor Atheneum-Enesco proposaient une lecture quasi métaphysique. Hélas le disque paru chez le label confidentiel Pierre Verany semble avoir disparu du catalogue en CD (Disponible d'occasion). Pour les fans de Franck, le coffret de 4 CD Cypres réunissant toute sa musique de chambre est incontournable malgré une jaquette à faire peur !!!
La vidéo du CD commenté ce jour, puis un lien Deezer vers le disque de 1992...




1 commentaire:

  1. Il est vrai que César Frank en dehors de la symphonie en ré mineur, son oeuvre est peut connus, la preuve, je ne connais rien d'autre. Richter que j'ai découvert il y a bien longtemps avec le concerto n°2 en ut mineur de Rachmaninov (collection Chant du Monde).

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