mercredi 1 février 2017

Eric JOHNSON "EJ" (2016), by Bruno



     Eric Johnson, le célèbre guitar-hero réputé pour son insatiable recherche de perfection, défenseur du matériel vintage (mais finement révisé), un pinailleur, un maniaque du son, en perpétuel exploration pour approcher son idéal sonique. Ce maître de la Fender Stratocaster (sa planche de prédilection) s’est fendu d’un disque 100% acoustique. En même temps cela permet de laisser reposer les tympans, et de se préserver de la presbyacousie ; ce qui est bien légitime à 62 ans.
     Pratiquement un projet en solitaire. Evidemment, il joue de la guitare et chante, mais on le redécouvre aussi au piano. Et pour ne rendre de compte à personne, il se produit lui-même. Tant qu'à faire.

Avec la Maton C.S. Claasic

     Cependant, étant tout de même habitué à jouer en groupe, et probablement par crainte d’une relative aridité sur la longueur, il a convié quelques vieux compères pour lui prêter main-forte. Toutefois, toujours avec discrétion et retenue. Il ne faudrait pas briser cet écrin fragile de douces mélodies boisées et délicates.
Des amis tels que le fidèle Tommy Taylor (Christopher Cross, Will and the Kill, Will Sexton, David Holt, Barry Richman), Wayne Salzmann (Steve Miller, C. Cross, J. Bonamassa, J. Satriani, Robben Ford, Mike Stern), l'excellent Roscoe Beck (Dixie Chicks, Robben Ford, Leonard Cohen) et Chris Maresh. Ainsi que Molly Emerman pour une saisissante intervention au violon, John Hagen au violoncelle et Doyle Dykes à la guitare (pour un duo sur le « The World is Waiting for the Sunshine » du binôme Les Paul et Mary Ford).
L'exercice acoustique n'est pas nouveau pour Eric Johnson. Cela fait déjà bien des années qu'il se plait de temps à autre à se produire en public seulement armé d'une électro-acoustique. Il avait même effectué une petite tournée en 2004, seul avec une guitare et un piano.
Aujourd'hui, son dévolu s'est porté sur une Maton C.S. Classic et une Classic cutaway (1), ainsi qu'une Ramirez pour les cordes en nylon. Et bien sûr, il a toujours sa Martin D-45 de 1981 (un cadeau de son père, offerte en 1982, après qu'Eric se soit fait dérober plusieurs guitares).
Par contre, il a délaissé sa Martin MC-40 signature (celle avec l'ange sur la tête du manche) ; cependant, la demoiselle devrait être de la fête pour la tournée.

     Un disque sobre, frais, intime, épuré, naturellement boisé … et d’une réelle beauté.
La voix fragile d’Eric trouve ici un écrin idéal, bien mieux adapté que sur ses pièces électriques.
Loin de lasser avec ces treize morceaux, « EJ » maintient l’auditeur dans la sérénité,  l’apaisement,  et une forme de bien être du début à la fin. Un peu comme s’il ouvrait une porte sur un subconscient préservé des maux de la vie et du stress quotidien.
Outre l’intro avec une version instrumentale du classique « Mrs. Robinson » époustouflante et assez énergique, Eric joue avec des ambiances introspectives, tantôt nostalgiques, généralement apaisées, toujours sincèrement empreintes d’âme, de pureté et de force vitale. Ce qui donne à cet album quelque chose d’insondable qui nous ressource avec ménagement. Pourrait-on aller jusqu’à dire qu’il ouvre les consciences ?
Même la version du « One Rainy Wish » de Jimi Hendrix, qu’il jouait déjà en électrique lors du Experience Hendrix Tour 2016 (affiche alléchante regroupant Buddy Guy, Billy Cox, Zakk Wylde, Dweezil Zappa, Jonny Lang, Kenny Wayne Sheperd, Chris Layton, Maton Nanji, Doyle Bramhall II, Noah Hunt, Ana Popovic), est ici revisité pour un surprenant voyage acoustique. Un voyage qui prend quelques airs propres à certaines ballades de Jade Warrior (2) où des parfums pseudos asiatiques se mêlent à quelques tonalités jazzy.
Simon & Garfunkel sont remis à l'honneur avec une version de "Scaborough Fair" -
Ici avec sa Martin MC-40


     Certains mouvements évoquent parfois irrémédiablement l'excellent Pierre Bensusan - trop peu et injustement méconnu - capable d'exprimer tant de choses de sa seule guitare. Une filiation évidemment plus net sur des pièces instrumentales tels que "Serinidad" (qui au passage emprunte, un cours instant, aussi quelques accords au Concerto d'Aranjuez [clic/lien], comme un clin d’œil) et "Song for Irene", ainsi que sur la chanson "Wonder".
On connaît donc tous le talent incontestable de Johnson à la guitare, mais bien moins au piano. Si assurément il est moins habile au second instrument qu'au premier, le jeu qu'il dévoile sur "Water Under The Bridge" est confondant. D'ailleurs ici, le piano se suffit à lui-même ; outre le chant, rien ne vient le troubler, ou même l'aider. Le jeu est limpide, sûr, soutenu, nuancé, sans faille, et, surtout, mélodique et plutôt émotionnel. Sur "November", où le piano est alors nettement plus aéré, voire un peu haché sur un mouvement, des compagnons sont présents pour le soutenir avec le renfort du violon de la jeune violoniste Molly Emerman (soliste, dont premier violon à l'Austin Opera Symphony, professeur, occasionnellement musicienne de studio) (3). Un violon emprunt d'une douce et profonde mélancolie automnale (forcément ...), et si charmant que l'on regrette qu'il n'ait été convié que pour une seule chanson.

     Dire que monsieur Eric Johnson est un grand musicien est un euphémisme. Non seulement ses talents ne sont plus à démontrer, mais surtout, il a cette force de caractère rare pour faire fi des modes et des diktats de l'appareil commercial de la "musique". Il ne semble même pas vraiment s'inquiéter de sa notoriété et des retombées commerciales qui pourraient en résulter. Pensez-vous. Seulement neuf disques sous son nom en trente-huit ans. Treize en comptant les enregistrements en public. Son premier essai, "Seven Worlds", est sorti en 1978. 
On peut considérer que ses disques précédents, en groupe, sont hors concours. Deux disques qui sont devenus cultes par la suite, notamment grâce à l'aura de Johnson ; à savoir "Perpetuum Mobile" avec Mariani , un disque de Heavy-rock psyché et Hendrixien (où Johnson à seulement seize ans nous en met déjà plein la vue) et l'oeuvre éponyme de fusion d'Electromagnets. (deux disques désormais devenus cultes). Sinon, cela ferait onze disques studio en quarante six ans. 
Est-ce de la paresse ? C'est probable, toutefois, mieux vaut cela que sortir des disques à la pelle au détriment de la qualité, et au risque d'un tarissement de la créativité. Et puis, il y a les concerts, les nombreuses participation deci-delà. Dernièrement, il y a eu "Eclectic", une réalisation en binôme avec Mike Stern.

     Contre toute attente, Eric Johnson a lâché son copieux pedal-board pour se recentrer sur l’essentiel, et réaliser là un grand disque. Incontestablement un de ses meilleurs, et un des plus beaux de l’année 2016. Un disque inusable, qui n’a pas d’âge, et surtout pas d’étiquette, et qui peut se targuer de plus d’être profondément humain. Et quand Johnson déclare que la quasi-totalité de l'album a été enregistré en direct, on ne peut qu'acclamer et vanter son talent.

Un gros coup de cœur.  🙌




(1) Maton est une vieille entreprise australienne que les amateurs de Rock Aussie doivent peut-être connaître (déjà, les Easybeats jouaient dessus). Egalement fabricant d'électriques et de micros-guitare, sa réputation commence à bien s'exporter, notamment grâce à d'illustres musiciens qui se produisent avec, dont Josh Homm, John Butler, Jesse Hughes, Jeff Martin, Keith Urban, Tommy Emmanuel, Johnny Diesel. Il y a quelques années, il y a bien longtemps, un certain Keith Richards était reparti avec un modèle de la marque.
(2) Intéressant groupe anglais de Rock progressif des années 70 qui faillit disparaître totalement lors d'une décennie suivante chaotique grevée par des dissensions et clôturée par un décès, avant de renaître au XXIème siècle.
(3) Charmante demoiselle ... J'avais une photo d'elle, prête à être incluse dans ma petite chronique, mais elle a disparu. En fait ... maintenant que j'y pense ... bien peu de temps après que Claude Toon m'ait assailli pour que je la lui donne ... (C'est vrai qu'il fait une fixation sur les violonistes)



Autres articles / Eric Johnson (liens) :
- "Venus Isle" (1996)
- "Europe Live" (2014)

2 commentaires:

  1. Mmouais....Pas renversant quand même.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pas nécessairement renversant à la première écoute (surtout sur le net). Rien de bien catchy, ou de transcendant. C'est du cool.
      Et puis, pour un batteur, cela peut cruellement manquer de percussions.

      Supprimer