- Mais ! Qui est cette jolie brunette à l'air malicieux M'sieur Claude ?
Une artiste classique ? Ou alors vous abordez un autre genre, disons… plus
variété ?
- Amel Brahim-Djelloul est une soprano "classique" d'origine algérienne,
elle chante à merveille Debussy, Mozart,
Rameau et d'autres, mais
aussi la musique méditerranéenne…
- C’est-à-dire ? Tino Rossi, Charles Trenet, funiculi funicula, de la
musique à touriste pour la danse du ventre ?
- Arrêtez vos inepties Sonia ! Vous me connaissez… enfin !!! Ce très beau
disque met en valeur les chants traditionnels arabo-andalous entre autres,
des classiques en somme…
- Excusez mon ironie stupide M'sieur Claude !
Cette chanteuse a sûrement un grand talent – oui, je vous connais. Est-elle accompagnée par
un orchestre symphonique ou un piano ?
- Non, hi hi, pas vraiment pour ce genre de répertoire, mais par
l'ensemble
de
cinq musiciens
Amedyez
dirigé par
son frère Rachid Brahim-Djelloul…
"Amel Brahim-Djelloul navigue, en plein soleil, de Monteverdi à Rameau,
de Mozart à Messager, mais garde toujours un œil sur ses racines"
(Diapason – François Laurent, commentaire lu sur le site de la
chanteuse)
Je surprends Sonia et sans doute mes lecteurs les plus fidèles en quittant
cette semaine le répertoire classique dit "officiel"… Oh le vilain mot !
Après un début d'année consacré à quelques compositeurs jamais évoqués :
Carl Nielsen,
Erich Korngold,
Maurice Duruflé
et, dans les abonnés,
Mahler
et sa
4ème symphonie, voici un disque tout à fait divertissant, un peu Folk.
Dans notre Blog, folk et
country faisant cause commune, l'article sera classé dans "classique" !
Après tout, on trouve dans cet album certaines chansons datant du moyen-Âge,
on peut donc tout à fait souscrire à ce choix taxonomique*…
(*) – C'est plus fort que vous M'sieur
Claude, le vocabulaire à
dormir debout…
- Taxonomie : science de la classification des bestioles, mais valable pour l'informatique chère Sonia…
Blague à part, j'avais découvert cette soprano lors des adieux de
Bernard Haitink
(voir l'index et la chronique
Mahler
d'il y a deux semaines) à la scène lyrique, à 80 ans. Cinq soirées plus une
ultime représentation au
Concertgebouw d'Amsterdam
de
Pelléas et Mélisande
de
Debussy
en version scénique. Le théâtre des
Champs-Élysées
lors des spectacles d'anthologie.
Yniold au TCE en 2007 |
Deux options pour la distribution et la mise en scène de cette scène courte
et dramatique où trop
souvent le burlesque dérive vers le grotesque de la situation :
1 – Chercher un garçon soprano dans une maîtrise. Le gamin ne chante
jamais juste, n'a pas la puissance requise et manque de l'indispensable
formation de comédien lors de ses interventions… Ratage systématique,
malgré la bonne volonté…
2 – Favoriser la qualité de la voix en proposant le rôle à une
cantatrice
aguerrie qui peut difficilement faire croire qu'elle est un préado et
assure au mieux sa prestation vocale. Hélas le décalage fait sourire. Au
disque, ça le fait, mais sur scène…
Ce soir-là, il y eut un miracle !
Amel
est un petit gabarit, et les costumiers et maquilleurs l'ont affublée d'une
tenue de garçonnet : pantalon court et coupe de cheveux au bol.
Roland Naouri
est un robuste gaillard en plus d'être le chanteur idéal du rôle, et porter
Yniold-Amel
ne lui pose pas trop de problème malgré les gesticulations aériennes de la
chanteuse-gamin révulsé par sa mission. La performance vocale est au
diapason de l'alacrité physique dans le sens où la voix de la jeune femme,
d'une justesse et d'une puissance inouïes,
couvre les 2000 places du
TCE. Une scène tragique et terrible enfin réaliste. Comme je l'avais écrit
dans la chronique consacrée à
Salomé
de
Strauss
: chanteur d'opéra = sportif de haut niveau. Je rappelle qu'à l'opéra, les
artistes chantent sans micro. Mais qui est cette soprano capable de cet
exploit ?
Amel Brahim-Djelloul
a vu le jour en Kabylie en 1975. Elle apprend le violon au
conservatoire d'Alger, mais ses capacités vocales se révèlent
exceptionnelles et ses professeurs lui suggèrent de partir pour le
Conservatoire supérieur de Paris. Une soprano franco-algérienne hors norme
sort diplômée en 2003. En 2007, consécration pour son début de
carrière avec une Victoire de la musique Classique : révélation de
l'année.
Le répertoire d'Amel
comporte les grands rôles de toute soprano :
Pamina et
Despina (Mozart), Mélisande (dans le
rôle-titre cette fois),
Véronique de
Messager, etc. Elle pratique également le chant baroque :
Monteverdi
ou
le premier rôle dans
les indes galantes
de
Rameau
avec
Christophe
Rousset. (La mise en scène
des ballets dans un camp de
nudistes est très contestable hélas – je ne suis pas pudibond, mais il y a
des limites au mauvais goût. Existe en DVD.)
Et bien sûr, sujet du jour
Amel Brahim-Djelloul
et ses amis de l'ensemble
Amedyez se passionnent pour la musique historique de leur pays et ce que l'on
appelle le chant arabo-andalou. Plusieurs disques ont été consacrés par
l'artiste à la musique traditionnelle moyen-orientale.
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Joueur de Ud dans un jardin. Miniature du Hadîth Bayâd wa Riyâd (manuscrit andalou, XIIIe siècle) |
Analyser, voire disserter sur le style, les modes de notation, et le sens à
donner à la musique de cet album serait un contresens diablement ennuyeux.
De plus, si offrir chaque semaine un petit guide pour aider à mieux pénétrer
une grande œuvre de musique classique est, je l'espère, dans mes cordes, ce
n'est pas vraiment le cas ici. Je n'hésite pas à dire qu'en m'y essayant, je
serais amené à trahir la fraîcheur ensoleillée de ces mélodies et chansons
populaires issues d'une culture que je découvre depuis peu.
Arabo-Andalou : une expression qui devrait parler d'elle-même…
Charles Martel,
732, Poitiers, les arabes
boutés hors du territoire franc par le vaillant guerrier. Vous n'avez pas
oublié ce glorieux fait d'armes je pense. L'Éducation Nationale se limitait
uniquement à mentionner cette bataille dans mes manuels scolaires. Pour
détailler un peu plus : le berbère
Tariq ibn Ziyad a conquis la
péninsule Ibérique en 711. Les
musulmans vont maintenir leur influence et leur culture dans l'actuelle
Espagne jusqu'au dernier siège : celui de Grenade en
1492, date à laquelle la reine
Isabelle la catholique
met fin à la présence islamique, puis chasse les juifs et institue
l'Inquisition… Plus de quatre siècles d'obscurantisme religieux se mettent
en place.
Pendant 881 ans, musulmans, juifs, chrétiens et wisigoths (trinitaires
réfugiés à Tolède) ont cohabité, et on peut sans réserve parler de l'âge
d'or de la culture occidentale dans la région maghrébine, levantine et
andalouse. Des conflits sporadiques, bien entendu, mais surtout des échanges
fructueux dans tous les domaines : la science, la théologie, les arts et
parmi eux la musique. Tous ceux qui ont voyagé en Andalousie ont visité des
mosquées aux mosaïques intactes même si transformées à la Renaissance en
églises catholiques. Aujourd'hui, ce creuset intellectuel a laissé place au
vide… Voici ainsi dressé le décor historique de la naissance de la musique
colorée que nous écoutons sur ce CD.
L'album est découpé en trois suites d'airs et chants traditionnels.
Une introduction instrumentale nous plonge d'emblée dans les sonorités
orientales des contes des mille et une nuits. Cette mélodie sans paroles est
extraite du recueil d'une "Nouba" tunisienne. Nouba signifie musique savante pour les fêtes, les noces,
etc. Ce mot arabe a perduré de nos jours dans un sens festif "Faire la
nouba". C'est le violoniste
Rachid Brahim-Djelloul
et ses instrumentistes qui mènent la danse de ce morceau enlevé et
dionysiaque. La sonorité du violon et de la mandoline vous surprendra :
sinueuse, gracieuse et sensuelle. Le violoniste et musicologue a adapté ce
qui fut un chant. C'est frais, rythmé, enjolivé par les percussions… Aucun
accent hollywoodien grassouillet dans cette mélopée jouée sur une gamme
pentatonique si mes oreilles ne me trompent pas. Ce qui explique ces timbres
mystérieux et enjôleurs, ceux d'une nuit étoilée aux portes du désert. Cette
gamme est utilisée dans toutes les musiques populaires du monde arabe et de
l'extrême orient, mais aussi en blues et en Rock je crois… Insolite mais
jamais faux. Il faut dire que les musiciens sont tous des virtuoses de leurs
instruments respectifs. Leurs CV sur le livret sont éloquents.
J'ai déniché
trois vidéos de chants
extraits du CD (en espérant qu'elles perdurent).
Plage 5 : Inçiraf : Ya
ghazal
(Ô gazelle).
Comme à l'époque des rencontres de troubadours et de ménestrels en France,
beaucoup de chansons galantes animaient les noubas. C'est le cas ici. Le
texte est simple et spontané. L'accompagnement exploite toutes les
possibilités concertantes d'un petit ensemble, un discours musical rythmé et
syncopé qui dynamise le chant.
Amel Brahim-Djelloul
de par ses origines et sa fidélité au style enchante cet air. Aucune
coquetterie dans sa ligne de chant très typée et très pure, donc aux
antipodes de ce que l'on peut entendre parfois dans l'opéra occidental. On
croit entendre quelques ornementations, non, c'est la langue arabe et le
style qui offrent ses vibrations dans le phrasé. Pour ce morceau, la soprano
joue avec allégresse sur le registre moyen de sa tessiture. L'oreille n'est
jamais heurtée : des vocalises souples, sans aucune dissonance. Un régal
pour un amateur de belle voix.
Jubilatoire, comme les bondissements de ladite gazelle ! Noter que la
voix
masculine de
Rachid fait écho à celle de sa
sœur.
Plage 8 :
chahidi fil houb (Témoin de mon amour). Seconde suite, et changement radical de climat pour ce deuxième exemple.
Une chanson originaire de Salonique plus nostalgique, à la rythmique plus
lente.
Amel Brahim-Djelloul
chante dans un registre légèrement plus grave, à la limite de celui d'une
Mezzo. Il en résulte une bouleversante gravité dans l'expression de cette
complainte amoureuse. L'accompagnement est martelé par des pauses qui
dramatisent le récit, une marche nostalgique. La traduction française du
texte arabe (le début) témoigne du souci des auteurs de recourir à une
subtile poésie dans ces complaintes, notamment par un jeu délicat de symbolisme.
Le disque se révèle d'une immense variété d'inspirations dans chaque suite
de chants. La troisième suite concerne un recueil de chansons mauresques et
kabyles établi par un l'ethnomusicologue français mais né en Espagne
Francisco Salvador-Daniel au
XIXème siècle (un précurseur de
Bartók). Utilisant des mélodies traditionnelles transmises de générations en
génération, ces airs sont chantés ici en français. La ligne de chant est
très articulée donc peut-être assez difficile à suivre pour ceux que l'opéra
rebute, mais le livret fournit tous les textes avec diverses traductions.
Ces mélodies initialement conçues pour un accompagnement de piano sont
magnifiées ici par une instrumentation beaucoup plus adaptée due à
l'ensemble
Amedyez.
Un exemple est donné dans la 3ème vidéo
:
Ma Zohra je ne la verrai plus.
Un disque original qui devrait séduire au-delà des amateurs de musiques
classiques anciennes et de musiques "du monde". La beauté de la voix d'Amel Brahim-Djelloul
et l'investissement des musiciens dirigés par son frère sont les atouts
évidents de cette réussite…
5 - Te
souviens-tu mon bien-aimé ?
Ô gazelle, ne te souviens-tu pas du grand amour qui fût le nôtre
?
De la beauté de ces nuits, de la passion inéluctable que
j’eus
pour toi ?
Je souhaite que le seigneur des seigneurs nous accorde, après les
souffrances, le consentement.
Le bien comme le mal, finissent par arriver et chacun retrouvera
ce qu'il fit.
Ô mon Dieu, ne perd pas de vue celle qui trahit son ami.
|
8 - Témoin de mon amour
Témoins de mon amour coulent mes larmes brûlantes, semblables aux
ardentes braises.
Nul ne saurait dépeindre la face parfaite
Dont la joue s'empourpre sous le feu du regard
Humaine et au-delà de toute humanité
D'une goutte de sang, Dieu l'a modelée
Que dire encore pour témoigner de sa beauté ?
Quelle existence donc pour l'amant dont le sommeil aura fui les
paupières ?
Quelle consolation pour l'amant épris d'un jeune faon dont le
regard en décochant des flèches mortelles a atteint le cœur
?
Ô mes juges ! Le malheur s'abatte sur vous !
…
|
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
L'intégralité de cet album en playlist.
Eh hop ! Encore un poster sur les murs du bureau !!! Bientôt nous ne verrons plus la couleurs de la peinture d'origine !!! :D
RépondreSupprimerAh oui, mais je n'arrive pas à faire un choix : ces belles musiques et les sourires de ces jolies minois.
SupprimerAvoue que ce com nous change un peu de Beethoven, Bruckner (deux chroniques pour la quinzaine à venir)...
Quelle beauté et quel joli minois que celui là !
RépondreSupprimerOh ! Oui je sais Claude, si c'était juste pour dire ça, c'était vraiment pas la peine. Je sais, je sais, je le sais !
Que veux-tu Claude, je suis un être faible, et dans ce domaine en particulier. Et ça aussi tu le sais ! ;-)
C'est dingue !
SupprimerJ'ai l'impression que mes chroniques ne passionnent que par le côté sexy des interprètes :o(
Bon sang c'est quand même sympa cette musique où il n'y a pas une poignée de gars survoltés qui massacrent des pauvres guitares et batteries innocentes... hi hi
:o)
Je te l'avoue quand même Claude, j'ai toujours été assez réfractaire a toutes ces sonorités du Moyen-orient, avec sitars et petites percussions. C'est pas ma tasse de thé du tout. Au moins aurais-je ici levé le voile. Hi ! Hi !
RépondreSupprimerLes mystère de l'Orient ! Shéhérazade, les Milles et une Nuit...! Tout un monde qui nous échappe nous autres occidentaux surtout en ce qui concerne la musique. Puisque tu parle de la musique d'Afrique du Nord (Arabo-Andalouse pour être plus juste), je trouve que ce style de musique n'a jamais été abordé, donc je m'engage sur un temps plus ou moins long à écrire un article sur le Raï, sur le trio féminin kabyle Djurdjura ou encore sur Oum Kalsoum.
RépondreSupprimerTrès bonne idée Pat
RépondreSupprimerJe crois que le compositeur abordé le plus ancien est Schutz (17ème) pour un noël...
Je peux remonter dans le temps : Renaissance, 1000 ans de moyen-âge, la Grèce antique et même les temps de la Bible (reconstituées d'après des parchemins, des peintures et mosaïques pour imaginer les instruments)... Faisons confiance aux spécialistes :o)