C’est
un drame, ça, on ne peut qu’en convenir. Mais pas un mélodrame, au sens où le
réalisateur Kenneth Lonergan ne cherche pas les scènes tire-larmes, n’exacerbe
pas les sentiments, qui sont, la plupart du temps, refoulés par le personnage
principal.
C’est
Lee Chandler, la jeune quarantaine, qui travaille à Boston comme gardien d’immeubles,
homme à tout faire, une fuite de robinet par-ci, un chiotte bouché par-là. Son
patron l’arnaque un peu, visiblement, Lee s’en fout. On a l’impression qu’il
fait pénitence. Il loge d'ailleurs à l'entre-sol, comme dans une cellule de moine, sans son frère Joe, il n'aurait même pas une table ou un fauteuil. Il y a de la tristesse
chez Lee, de la colère aussi. A la première occasion il casse la
gueule au premier qui lui jette un regard suspect. Il n’est pas très sociable.
Quand une fille dans un bar lui renverse sa bière sur le blouson, s’excuse,
se présente, tente une conversation, lui non. Comme s’il ne savait plus parler
aux gens. Ou il n’en a rien à foutre. Comme dans une autre scène, avec la mère de la petite amie
de son neveu Patrick : mutisme, gène, silence.
Lee reçoit un coup de fil. Il écoute et prononce juste « C’est arrivé
quand ? ». On a compris, donc, qu'il était arrivé quelque chose, mais quoi ? A qui ? Le réalisateur prendra soin de semer son film d’informations, mais au fur
et à mesure. C’est la grande qualité de son scénario, de sa mise en scène. Lee
Chandler doit partir à Manchester by the Sea, au nord de Boston, règle les détails sur la route. Départ précipité, donc y'a urgence. Une fois là-bas, à l’hôpital, pourquoi médecins et infirmières le tutoient ?
Tout le monde semble savoir. Sauf nous !
On
comprend que Lee, qui vivait à Manchester (une figure locale ?) n’y est pas revenu depuis
des années. Que s'est-il passé au
juste ? Le film est construit en flash-back.
Autre
exemple. Lee Chandler rentre du boulot, sa femme
est couchée, grippée. Dans le salon y’a une fillette sur le canapé. On
comprend que c’est sa fille. Il entre dans la chambre, parle à sa femme, va et vient, et seulement ensuite il s’adresse à sa deuxième fille qu'on découvre, à jouer, par terre. Que le réalisateur ne nous avait pas montrée depuis le début du plan, alors qu'elle était déjà là. Comme un troisième marmot qui apparait dans
son lit à barreaux. Cette manière de faire, étonnante, originale, soutient tout le film.
Kenneth
Lonergan ne balise pas ses flash-back, pas de sous-titre, dates, de fondus enchainés, voix-off. On passe constamment
d’une époque à une autre, sans difficulté de lecture, car ce sont les images qui nous guident. Rien n’est explicité, mais tout est
compréhensible, fluide, sans que jamais on ne sente l’aspect alambiqué. D'où un travail de mise en scène plus subtil qu'il n'y parait. Les images, les situations racontent les faits et en disent plus et mieux qu'une tirade (scène
terrible des steaks et du congélateur).
Raison
pour laquelle il est difficile de raconter ce film - ce que je ne fais pas ! - il faut
justement en découvrir l’intrigue, progressivement. Découvrir le nœud du drame.
Quand on voit Lee Chandler marcher dans la nuit, à la recherche de bière, revenir
chez lui, glissant sur la glace, à moitié saoul, on ne sait pas à quelle époque
on se situe. On va le deviner, la scène est magnifique, prend à la gorge, glaçante,
sur fond du fameux adagio en sol mineur d’Albinoni, que le réalisateur a le bon
goût de diffuser in extenso, comme un Kubrick se servait du classique dans ses
films.
Cette
idée narrative à tout simplement pour conséquence de rendre le film plus
intéressant, intriguant, c’est un truc de film policier, lorsqu’on maintient le
spectateur dans l’ignorance d’un fait que les personnages, eux, connaissent (au contraire du suspens hitchcockien où le spectateur sait).
Lee cherche un boulot sur Manchester, il recontacte ses connaissances, mais les
portes se referment. Une femme prévient son mari mécanicien : « je ne
veux pas de lui ici ! ». Pourquoi ? On est presque
chez Claude Chabrol, la petite ville, les non-dits, les rancœurs, les regards
de biais, le passé trouble.
Si
présent et passé s’entremêlent, c’est aussi un film tourné vers l’avenir. Car
il faut continuer à vivre. Comment vont cohabiter Lee et son neveu Patrick. Emménageront-ils
à Boston, où Lee travaille, alors que le gamin veut rester à Manchester, où il
a son lycée, ses copines, son groupe de rock, le bateau de pêche de son père ?
C’est un film sur le deuil, sur la mort. Il fait si froid à Manchester qu’on ne
peut creuser une tombe, les corps sont maintenus au froid jusqu’au printemps.
Ce n’est pas sordide, c’est comme ça. On suit Lee et Patrick aux pompes
funèbres, chez le notaire. Il y a beaucoup de déplacements dans ce film, rien
n’est statique, Lee est sans cesse en voiture, il accompagne Patrick ici ou là,
chez une petite amie notamment, une des rares scènes plus truculentes, drôles.
Lee
Chandler est joué par Casey Affleck (le frère de), très Marlon Brando, ou Paul
Newman, dans l’attitude, vouté, regard fuyant, soumis à son destin, les mains
qui ne trouvent pas le chemin des poches. Il est superbe. Toute la distribution est brillante, même
si parfois, oui, ça sent le numéro d’acteur. Mais sur une telle partition !
Ce
qui semble naturel ou improvisé est en réalité écrit à la virgule près.
Kenneth Lonergan est aussi auteur et metteur en scène de théâtre, et c’est en
dirigeant Casey Affleck sur les planches qu’il a pensé à lui. Rôle dévolu à
Matt Damon, qui, n'y trouvant pas le temps, a tout de même soutenu et coproduit le projet.
Le
sujet n’est pas facile, mais MANCHESTER BY THE SEA vaut réellement par l'intelligence de son écriture, son mode de narration, la
qualité des interprètes. On rentre très vite dedans, on est tantôt surpris,
cueilli, bouleversé. C’est très beau film.
J'ai mis la bande annonce anglaise, celle aux US est un repoussoir mélo et
sirupeux en diable qui ne correspond pas à ce que dégage le film. Et sans sous titre, comme ça, vous n'aurez pas les détails !
MANCHESTER
BY THE SEA, écrit et réalisé par Kenneth Lonergan
couleur – 2h15 – format 1:1.85
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très beau film effectivement mais j'ai trouvé la bande son très envahissante à certains moments, un peu lourdingue......
RépondreSupprimerVous devriez regarder une variété de films ici https://fullfilmstream.net/ J'aime ce site et je l'utilise souvent, ce que je vous conseille.
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