L’Histoire en Marche
Quand
j’étais en 3e, je vis un film au ciné-club de mon lycée qui me marqua pour le restant de mes jours. Un vieux truc russe en noir et blanc de 1925 sous-titré. Un film qui fait
partie des plus grandes réussites du patrimoine cinématographique mondial. Son
histoire, sa musique, son réalisateur et son coté historique en font un
fleuron du cinéma qui ira rejoindre les chefs-d’œuvre des Murnau, des Keaton, des Griffith, des Lang, des Linder
et autres Sjöström.
Pour la petite histoire, nous sommes en juin 1905 et la Russie du Tsar Nicolas II est en révolte depuis le mois de
janvier. Sa flotte à pris une sévère tannée contre le Japon au large des îles
Tsushima. Sur les 45 navires russes, seuls deux destroyers et un croiseur
arriveront à rejoindre Vladivostok. Deux jours de batailles : 5.000 morts et
6.000 prisonniers cotés russe contre 700 tués pour les Japonais.
Le
pays gronde les grèves et les rébellions se multiplient depuis le désastre du
22 janvier 1905 à Saint-Pétersbourg où
l’armée va tirer sur 100.000 grévistes qui manifestaient pacifiquement et en
silence. Resté tristement célèbre sous le nom «Dimanche Rouge» Ce sera la goutte d’eau qui fera déborder le verre
de vodka et qui déclenchera la révolution de 1905. (Voir sur ce sujet la symphonie n°10 de Chostakovitch commentée par Claude. (Clic))
Mais
la révolte la plus célèbre restera celle de l'équipage du cuirassé Prince Potemkine de
Tauride, un nom emprunté d’un favori de Catherine II,
impératrice de Russie du XVIIIe siècle.
Le Cuirassé Potemkine le
Bounty Rouge
Une histoire
de viande avariée, d’officiers sadiques, d’escalier, de landau, de mort et de
martyrs. Juin 1905 va connaître la
plus célèbre page historique de la révolution. Pourtant entre la réalité et le
film de Sergueï Eisenstein de 1925, le réalisateur va prendre
quelques libertés.
Sergueï Eisenstein, né à Riga en 1898 fera ses premières
armes dans le cinéma au sein de l’Armée Rouge comme acteur et comme réalisateur. Il
s’intéressera dans un premier temps au théâtre traditionnel japonais Kabuki. Il
rentrera au bureau moscovite de production en 1924 où il réalisera son premier film «La Grève». L’année suivante sera
celle du cuirassé Potemkine ; suivra «Octobre» en 1927 pour la commémoration du dixième anniversaire de la
révolution. Beaucoup de ses films qui vont suivre seront inachevés, ou bien les
autorités Soviétiques donneront l’ordre de détruire le négatif comme pour «Le pré de Béjine».
Les deux grand films qui vont aussi maquer sa carrière seront «Alexandre Nevski»
qui, après une première interdiction, sera utilisé comme film de propagande
contre l’occupation allemande. Après avoir été fait membre de l’ordre de Lénine
en 1939, il travaillera au scénario
de «Ivan le
Terrible». Il obtiendra le prix Staline avec la première partie, la
sortie en salle de la seconde partie sera interdite. En 1947, il est nommé directeur de la section cinéma de l’Académie des
sciences. Un an plus tard, il meurt d’un arrêt cardiaque à Moscou à l’âge de
cinquante ans.
Le capitaine Guiliaroski |
«Le Cuirassé
Potemkine» est un film de commande pour l’anniversaire des
événements de 1905. Un film de
propagande ? Absolument ! Muet et en noir et blanc ?
Évidement ! Chiant, ringard ? Surement pas !! Ce film à 90
ans au compteur et il serait idiot de dire qu’il n’a pas vieilli (Quand vous aurez 90 balais, vous verrez vous
aussi que vous avez vieilli !). Certains passages par leurs contenus
sont tout bonnement caricaturaux, les méchants officiers avec leurs visages
grimaçants de haine, le méchant pope hirsute avec son crucifix qui en appelle aux
mutins de rentrer dans le rang, les gentils marins avec des visages telles les
statues exubérantes qui ornent la place rouge, l’image des héros de la
révolution plein de fougue, de hardiesse et d’allant.
Vakoulintchouk |
Sur
les 170 pages que constitueront le scénario, uniquement 7 racontent la
mutinerie des matelots en s’appuyant sur des témoins oculaires. 6 tableaux bien
distincts peuvent résumer ce film (Certains
disent 5, mais pas moi !),
le premier : La vie à bord avec ses corvées et ses exercices, la
seconde : la protestation des marins quand on leur sert de la nourriture
avariée, la troisième : La révolte à bord et la mort de Vakoulintchouk, le leader des mutins, la quatrième : le corps
du marin emmené sur le port d’Odessa et la veillée mortuaire, la
cinquième : La révolte du peuple et son massacre par l’armée tsariste sur
l’escalier d’Odessa, et enfin le sixième : Le ralliement à la mutinerie de
l’escadron de marine censé arrêter le cuirassé.
Beaucoup
de scènes du film sont restées célèbres. La première sera les prémices de la
mutinerie avec la viande avariée alors que le médecin du bord qui porte le nom de Smirnov (Un nom prédestiné
pour un Russe !) décide que celle-ci est propre à la consommation.
Quand les officiers décident de fusiller les mutins recouverts d’une bâche («♫ C’est mon frère
qu’on assassine, Potemkine ♪»), la révolte des marins (Menée par un militant marxiste Afanassi Matouchenko, le seul personnage réel qui n’apparait
pas dans le film) et la mort de Vakoulintchouk
tué par le capitaine Guiliarovski. Le corps du marin sur le port avec
les pleureuses et la révoltes du peuple, les gros plans sur les poings qui se
ferment, les orateurs qui haranguent la foule et l’attaque antisémite envers
une jeune agitatrice juive par un gros bourgeois «blanc» : «Sus aux juifs !». Ce dernier finira sous les coups des révoltés. La scène sur l’escalier d’Odessa
avec ses gros plans expressionnistes et ses plans larges sur l’armée blanche
qui tirent sur les civils en fuite. La fameuse scène du landau qui sera reprise
dans «Les
Incorruptibles», «Brazil», «Y a-t-il un flic pour sauver Hollywood» et même dans «La cité de la
peur». Mais dans la
réalité, cet épisode n’a jamais eu lieu, Eisenstein l’ajoutera pour accentuer le
coté dramatique du film à des fins politiques pour critiquer le pouvoir
tsariste alors en place.
Sergueï Eisenstein |
Le montage du film fait par Eisenstein
en sera la clé de voûte, ce que les critiques appelleront «Le Cinéma Poing», l’enchainement d’images créé par une rythmique et
des choix stricts dans la luminosité. La musique connaîtra plusieurs versions, Edmund Meisel, le créateur donne une grande intensité dramatique à l’image, elle sera utilisée après sa
mort et maintes péripéties, en 1972, sort
une nouvelle composition par le pianiste Arthur Kleiner qui fournit une version orchestrale de la
partition de Meisel. Le film sera restauré en 1975 et la musique sera constituée d’une
compilation d’œuvres de Dimitri Chostakovitch (Extrait
de la symphonie 10, 11, 12 et la
toccata de la 5). Pour la nouvelle restauration en 2005, la musique originale d’Edmund Meisel sera restaurée elle aussi. Mais ma version
préférée reste celle de Nikolaï Krioukov dans les années 50, plus Russe, plus
brillante, plus dramatique, plus… patriotique.
Dans ce film sans héros prédominent uniquement
deux groupes : les insurgés et les tsaristes. «Le
cuirassé Potemkine» reste aujourd’hui le film le plus célèbre
de son auteur mais pas son meilleur, «Octobre»
et «Ivan le Terrible» resteront à mon sens le duo de tête.
Le 8 janvier 2001, pour la première fois un film sera inscrit au patrimoine
de l’UNESCO, or ce ne sera pas "Potemkine", mais «Metropolis»
de Fritz
Lang, un film montrant une société imaginaire au futur
incertain et ses deux classes, l’exploitant et l’exploité, un film de fiction.
Alors que le cuirassé qui aura été une période vécue restera dans les placards. A-t-on
voulu récompenser la jeune république de Weimar ou punir la dictature
bolchevique ? L’histoire nous le dira peut-être un jour.
(Intégralité du film)
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