- Musique pimpante et rythmée
ce matin M'sieur Claude ? Après la gravité de Liszt ou Strauss ces dernières
semaines, un peu de fantaisie dirait-on…
- Oui Sonia, mais
attention de ne pas se méprendre, le pape de la musique minimaliste et
répétitive sait insuffler de la profondeur dans ses partitions…
- En tout cas, c'est
virevoltant pour l'instant ! Heuu… Marin Alsop est un nom qui ne me dit rien,
un monsieur ou une dame, quelle origine ?
- Et bien, une fois de
plus cette semaine, bienvenue à une maestro de sexe féminin, une dame qui a
déjà une belle carrière derrière elle, notamment aux USA dont elle est native.
- Et l'orchestre de Bournemouth
? Ce n'est pas en Angleterre cette ville
?
- Oui, et l'un des
meilleurs orchestres qui n'ont pas pignon sur rue à Londres. Un orchestre qui
permit à Simon Rattle, le patron de la Philharmonie de Berlin, de débuter !
Ah,
les bon apôtres de la musique contemporaine qui ne jurent (et ne jugent) que
par le sérialisme, les recherches tonales alambiquées, que sais-je encore. Ce
sont les mêmes qui prétendent hors-jeu des compositeurs qui n'appartiennent pas
au sérail avant-gardiste* des Boulez,
Ligeti, Penderecki
première manière (ils ont honni le Penderecki
néoclassique à partir des années 80). Et parmi ces compositeurs, nous trouvons Terry Riley, Steve
Reich, l'ami Philip Glass
ou Michael Nyman, les chefs de fil des
courants minimalistes et répétitifs. Philip Glass
et ses potes, loin de dédaigner ces recherches, ont tous un objectif premier :
écrire de la musique variée (pas de de la variété, ça va de soi) qui enchante
un public large…
La
bonne vanne à propos de Glass
consiste à balancer : "Ô c'est
certain, c'est répétitif et le travail doit être minimaliste vue la surproduction
de Glass". Très drôle !
Que reproche-t-on à Glass ? Tout et rien. Oui, Glass est un inventeur et un touche à tout
: opéras, symphonies, quatuors, pièces pour piano, ballets, etc. Et, crime de lèse
majesté, il ne se commet pas avec le gratin de la musique savante (et souvent rasoir),
organise des récitals avec Patti Smith
autour des textes du poète sulfureux Ginsberg,
travaille à des adaptations chorégraphiques avec David
Bowie sur ses albums comme Heroes…
Glass : un génie révolutionnaire ou un traître à la cause
classique ? Je crois qu'il s'en f**t et moi encore plus, car même si sa production
surabondante n'offre pas à tout moment des innovations voire des chefs-d'œuvre impérissables
comme ceux d'un Mozart ou d'un Schubert, sa musique reste à la portée du
grand public, notamment depuis qu'il a abandonné des expériences extrêmes comme
l'opéra Einstein
on the Beach, 4-5 heures de micro motifs constitués de micro
intervalles à n'en plus finir. Franchement, là, moi aussi je craque 😆 !
Glass n'est pas un nouveau venu dans le blog, un article
consacré à ses attachantes études et métamorphoses pour piano
avait déjà fait la une (Clic). Sa biographie complète peut y être
consultée. Et aujourd'hui, un autre style : sa deuxième symphonie
pour grand orchestre.
* Attention : je vise par mes propos les critiques et
musicologues intégristes, en aucune manière ces compositeurs imaginatifs…
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2016 aura été l'année des maestros féminines
dans le blog. Un métier si longtemps réservé exclusivement à la gent masculine…
dans le désordre : JoAnn Falletta, directrice
de l'orchestre de Buffalo, Simone
Young, une australienne qui préside aux destinées de l'orchestre de Hambourg, et aujourd'hui : Marin Alsop qui dirige depuis 2007 l'orchestre symphonique
de Baltimore, l'un des 17 orchestres de renom américains.
J'insiste sur ce dernier point pour montrer que cette dame ne dirige par une humble
phalange à la justesse et à l'organisation défaillantes dès que l'on aborde un
répertoire un peu ardu.
Par
ailleurs, Marin Alsop est invitée au
pupitre des orchestres de niveau superlatif comme le Concertegbouw
d'Amsterdam, le symphonique de
Londres et bien d'autres… comme l'orchestre
de Bournemouth avec lequel elle a enregistré deux symphonies de Glass en 2003, ensemble prestigieux qu'elle a conduit de 2002 à 2008.
Pour
parler du début de cette aventure, Marin
a vu le jour en 1956. Curieusement,
dans Wikipédia, il y a un véritable roman pour une artiste quand même moins
célèbre que feu Abbado ! En résumé : l'enfant
Marin est une tête de mule qui rechigne à
travailler le piano puis le violon, un instrument qu'elle pourra néanmoins maîtriser à la Julliard School. Drôle de fille
: malgré la phallocratie qui bloque le cursus des femmes souhaitant jouer de la
baguette, Marin essaye à contrecœur de
vivre de son violon, dans la rue, survivant en vendant des pizzas… Du Dickens !
Pourtant, un seul objectif : la direction d'orchestre…
À
17 ans, elle rencontre Philip Glass
et Steve Reich, personnalités non machistes
qui vont l'aider à intégrer les ensembles expérimentaux qu'ils ont créés. Elle
jouera même du violon dans des groupes de rock.
En
1984, à 24 ans, elle trouve le
remède à sa rage de diriger en fondant son propre petit orchestre : l'orchestre Concordia qui rappelle par son
programme le Boston Pop Orchestra d'Arthur Fiedler. Au menu : du classique, du
Jazz, rien n'arrête la demoiselle… L'ensemble atteindra 50 musiciens mais disparaitra
en 1990.
Après
avoir été humiliée par Leonard
Bernstein lors d'une audition, le maestro hédoniste lui donne
une autre chance en l'invitant au festival de Tanglewood
en 1988. Le chef américain est
misogyne, c'est connu, mais de conflits en conflits, le bonhomme va reconnaître
le talent inné de la jeune femme. Sa carrière est lancée. Son répertoire est éclectique,
des classiques et des romantiques à la musique
moderne US récente, Adams,
Glass et, sans rancune : Bernstein. Sa discographie est abondante.
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Peinture de Jackson Pollock (1912-1956) |
La
seconde
symphonie de Philip Glass
répond à une commande de l'académie de musique de Brooklyn. Elle est créée à
New-York en 1993 par son complice et
ami de toujours Dennis Russell Davies. (Clic)
La
partition est imposante et, tant son découpage tripartite, que la durée des mouvements
(45 minutes environ pour l'ensemble) fait songer aux proportions de la 6ème
symphonie de Prokofiev
(Le style est bien évidement très différent). Autre similitude, la richesse de
l'orchestration :
1
piccolo, 2 flûtes, 2 hautbois + cor anglais, 3 clarinettes + clarinette
basse et clarinette contrebasse, 2 bassons, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones,
tuba. Une percussion délirante mais sans timbales : triangle, cloche,
tambourin, caisse claire, tambour, grosse caisse, chimes, cymbale, charleston,
Tam-tam, (4 percussionnistes), un piano
classique, un piano électrique et un célesta, 2 harpes et l'ensemble
traditionnel des cordes.
- Pourquoi ce tableau de
Pollock M'sieur Claude ? Heuu, ça ne fait pas un peu fouillis ?
- Le contraste entre la sensualité
du corps féminin hyperréaliste et des raies qui, telle une toile d'araignée,
baignent l'ensemble me fait penser à cette symphonie et à ses lignes de forces sonores
qui s'entremêlent. À noter Sonia, que Pollock, même bourré à longueur de vie,
organisait ses traits de couleurs suivant des lois très mathématiques. Il faut
prendre du recul pour constater les perspectives et l'écrin offert à la
demoiselle nue…
- Le second tableau symbolise les motifs minimalistes et répétitifs ? de Pollock lui aussi ?
- Non, mais c'est l'idée Sonia… Une
peinture de 1948 de Lee Krasner, la compagne de Pollock de 1945 à 1956…
Lee Krasner (1908-1984) : White squares |
Les
trois mouvements ne portent pas d'indications de tempo a contrario des
symphonies et autres œuvres symphoniques depuis des siècles. Par contre le
métronome est précisé : 𝅘𝅥 = 112 (disons… Allegretto)
1 - : Les premières
mesures, comme souvent chez Glass,
préfigure un perpetuum mobile. Répétition de courts arpèges des harpes et des
violoncelles. Une note tenue aux contrebasses apparaît avant l'énoncé d'un
thème plus mélodique par le cor anglais. Arpèges, mélodie, curieux vocabulaire
pour une musique minimaliste et répétitive dans l'esprit qui, oui, est très rythmée
voire scandée ? Cet effet provient d'un principe de ce courant musical : dans
une mesure ou un groupe de mesures, toutes les notes ont la même durée : des
croches ou des noires pour les harpes et les cordes. Exception : le court solo
de cor anglais : rondes, blanches, noires, mais en aucun cas des notes pointées
ou d'autres variations plus complexes de durée.
Glass ne semble pas chercher un sens métaphysique ou
descriptif dans son discours musical. Il crée par la musique pure des climats contrastés
en jouant sur les modifications incessantes de la structure de ses motifs et
surtout sur les conflits poétiques ou farouches entre lesdits motifs élémentaires
confiés chacun à une pléthore d'instruments. On pourra trouver le procédé d'une
facilité et même d'une naïveté confondante. Certains commentateurs ne s'en privent pas… Pourtant,
gagné par le rythme et en écoutant bien toutes les facéties orchestrales, on se
sent pris à bras le corps dans cette danse démoniaque et la magie opère. S'il échappe
à la forme sonate, le mouvement juxtapose plusieurs parties très différenciées
avec des ruptures de tempos (mais sans aucun rubato, 100% métronomique) et une palette de couleurs très vaste. Sans compter la
polytonalité, autre dada de Glass,
et les sonorités oniriques qui en résultent.
Quelques
exemples : après une introduction assez intime et un peu nostalgique, [3:37] voici
un intermède andante avec ses notes cristallines de triangle et un leitmotiv
qui serpente entre les bois et les cuivres. [5:06] Accelerando plus jovial qui
va gagner en puissance.
Glass ne dédaigne pas l'enseignement de ses mentors comme
Bach et Schubert
en utilisant les bons vieux principes du développement et des variations. Les métamorphoses
du flux musical sont légions jusqu'à la furie [7:17]. Bref, on pourrait
continuer longtemps, je vous laisse écouter…
Lee Krasner et Jackson Pollock. Je vais bientôt ouvrir une rubrique peinture dans le blog 😎 |
2 - : [16:35] Le
premier mouvement opposait des climats sombres et épiques à travers un tissu
orchestral non dépourvu de lyrisme. Le second peut-il s'apparenter au mouvement
lent traditionnel d'une symphonie ? Oui, si on considère l'indication de tempo
initial et non en regard des incursions de passages plus allants. La valeur du tempo est
exactement la même que celle de l'introduction de ce que j'avais sous-titré allegretto
: 𝅘𝅥 = 112. L'enchaînement avec le premier mouvement se fait sans transition via des
mesures ténébreuses où domine un halètement des bassons sur un motif itératif
des premiers violons en sourdine. Hautbois puis flûte font leur entrée pour
énoncer une mélodie crépusculaire. Une première fanfare agreste vient troubler
cette quiétude qui va dominer dans tout le mouvement malgré les éclats intermittents
et plus joyeux jaillissant du groupe des cuivres. Des accords nostalgiques et
isolés des trombones marquent la fin du mouvement dans lequel réapparait le
motif initial et obsédant des premiers violons.
3 - : [29:58] Aux
angoisses perceptibles depuis le début de l'œuvre va répondre un final
jubilatoire ! On pense à une corrida, à un jour de liesse populaire. Le
contraste est abrupt avec les funestes accords de trombones conclusifs de la
partie centrale. Curieusement, si la rythmique caractéristique du style du
compositeur transparait toujours, le flot musical retrouve des accents plus
mélodiques. Un feu d'artifice de timbres. La mise en place par la chef
américaine et son orchestre d'exception est parfaite. Une musique qui pourra
surprendre, "emballer" par sa vivacité ou ennuyer. C'est selon, mais
difficile d'y être indifférent…
Immensément
cultivé, ayant été formé à l'école Nadia Boulanger
et à celles des musiques orientales, Philip Glass
intègre tous les courants de la musique de notre temps : classique, rock, pop,
jazz et autres expériences parfois farfelues. L'homme, à près de 80 ans, n'a
pas la grosse tête et du coup, bien que n'étant pas dans le domaine public, on
trouve la partition en ligne !!! (Partition). La feuilleter remet les pendules
à l'heure sur les attirances vers la facilité souvent attribuées à Glass : 288 pages, 24 portées et c'est
noire de notes et d'indications, notamment dans le final. Pas moins que chez Richard Strauss ou Franz
Liszt…
Il
existe un autre bel enregistrement par le créateur : Dennis
Russell Davies.
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