samedi 10 décembre 2016

MOZART – Quatuor N°19 "Les dissonances" – Quatuor MOSAÏQUE – par Claude TOON



- Un quatuor de Mozart cette semaine M'sieur Claude ? Après des symphonies, des concertos, un requiem, des sonates, que sais-je, Le Wolgang a aussi composé dans ce genre ?
- Oui et abondamment… D'ailleurs Mozart a brillé dans tous les styles, toutes les formations, un catalogue sans fin…
- Curieux surnom que "dissonances" ! Les musiciens doivent jouer faux ? Ne vous moquez pas de moi…
- Moui, ce n'est pas tout à fait cela… Le début du quatuor présente de nombreuses altérations, du chromatisme bien avant l'heure, une curiosité pour l'époque…
- Je pense que vous allez nous expliquer tout ça. Le quatuor Mosaïques n'a jamais donné lieu à un article d'après l'index…
- En effet, c'est un quatuor fondé par le violoncelliste baroqueux français Christophe Coin et trois amis autrichiens. Ils jouent tous sur des instruments d'époque…

De G à D : Erich Höbarth, Andrea Bischof, Anita Mitterer, Christophe Coin
Le débat perdure pour savoir qui a donné ses lettres de noblesses au quatuor, cette formation de chambre parmi les plus équilibrées et au répertoire immense. Une forme que tous les compositeurs ont abordée, et qui continue d'inspirer les créateurs les plus avant-gardistes. Deux candidats inventeurs sont en lice : Boccherini, l'italien (1743-1805) mais surtout Joseph Haydn (1732-1809). Il sera secondé dans ce rôle par Mozart dont nous parlons ce jour.
La forme définitive du quatuor sera fixée Ad vitam æternam par Haydn : un premier violon, un second violon, un alto et un violoncelle. La simplicité et l'équilibre d'un orchestre à cordes réduit à l'essentiel. L'objectif : donner à travers une polyphonie qui peut s'avérer complexe un rôle de soliste à chacun des instruments. Par ailleurs le compositeur autrichien s'inspire de la forme symphonique naissante pour la succession imposée des quatre mouvements : vif, lent, menuet puis scherzo, final vif. Depuis le siècle des lumières, ce découpage est rarement modifié, on trouve des exceptions chez Beethoven (voir 15ème quatuor), Chostakovitch (8ème quatuor). (Clic) & (Clic). Schubert ne dérogera pas à cette règle dans ses quatuors, même les plus ambitieux : le 14ème "La jeune fille et la mort" et le 15ème, (Clic) & (Clic).
Haydn, enthousiasmé par son "invention" et hyperactif composera pas moins de 68 quatuors réunis en plusieurs cycles. Haydn, dont l'imagination mélodique est inépuisable, va pouvoir ainsi écrire des quatuors de durée importante pour l'époque, près de 25'. De divertissement chambriste, le quatuor devient une œuvre aux intentions psychologiques marquées. L'œuvre d'inspiration religieuse la plus parfaite de Haydn ne sera pas l'une de ses nombreuses messes, mais un quatuor traduisant en musique "les sept dernières paroles du Christ". Un ouvrage qui sera décliné pour orchestre à cordes et même pour chœur et orchestre, prenant ainsi la forme d'un oratorio…

Mozart (28 ans) et Haydn (52 ans) vers 1784...
Joseph Haydn connaît bien Leopold Mozart et rencontra son fils Wolfgang en 1784 à Vienne alors que ce dernier a déjà 28 ans et est à l'apogée de sa carrière. Il confie à Leopold son admiration pour le génie de son fils, celui-ci ayant déjà un respect réciproque pour son aîné. Bien que  Haydn n'ait jamais été son professeur une amitié forte le liera à Mozart et donc rien de surprenant que Mozart, qui transcende tous les domaines musicaux qu'il aborde, ait déjà composé de nombreux quatuors avant cette rencontre. Mozart en a déjà composé 13. Il en composera en tout 23, jusqu'à la fin de sa courte vie, dont un groupe de six est dédié à Haydn (les n°14 à 19, ce dernier étant sous-titré "Les dissonances"). Les six œuvres influencées par celles de son mentor (notamment celles de catalogués HoB.43 de 1781) ont vu le jour entre 1782 et 1785. Elles seront jouées devant Haydn lui-même du 15 janvier au 12 févier 1785.
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Le quatuor Mosaïques a été créé en 1987. Il réunit trois instrumentistes autrichiens autour du violoncelliste français Christophe Coin, spécialiste de l'époque baroque. À ce sujet, les quatre musiciens jouent sur des instruments d'époque avec des cordes en boyau. (Guarneri, Carolus, Cagliano, XVIème et XVIIème siècles.)
Cet ensemble s'est naturellement orienté vers une interprétation "à l'ancienne" du répertoire de l'époque classique et du début du romantisme. Il a gravé des intégrales des productions imposantes de Haydn (10 CD) et Mozart, les pères du genre comme évoqué avant, mais aussi de Beethoven, de Boccherini et du très oublié compositeur français Louis Emmanuel Jadin… Sans oublier Schubert ou Mendelssohn !
Leur discographie est abondante, mais sa disponibilité souffre de lacunes face à une forte concurrence.
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1 – Adagio – Allegro : Mozart ne pouvait pas uniquement copier la forme établie par Haydn sans apporter ses innovations, sa petite touche personnelle, on s'en doute. Il va déjà étendre la durée du quatuor, notamment dans celui-ci, le 19ème, qui approche les 40' puisque le quatuor Mosaïques assure toutes les reprises. Et puis la grande originalité vient de l'adagio introductif. Cette introduction lente précédant l'allegro initial est rare chez Mozart. On trouve cette idée qui permet de plonger l'auditeur dans un climat d'austérité avant l'exposé des premiers thèmes dans la grande symphonie n°36 "Linz" datée de 1783, donc presque contemporaine du quatuor "Les dissonances" (Clic). Vers le fin du classicisme et au début de l'époque romantique, le principe sera de plus en plus fréquent, symphonies londoniennes de Haydn, 1ère et 4ème symphonies de Beethoven. (Clic)
Les surprises ne s'arrêtent pas là. Mozart a choisi la tonalité la plus basique, le do majeur, tonalité réputée pour le sentiment d'optimisme qu'elle dégage. Et pourtant dès l'écoute des scansions introductives du violoncelle et des vingt et une mesures suivantes, une atmosphère oppressante nous étreint. La sonorité semble peu harmonieuse voire grinçante. La lecture de la partition livre le secret : beaucoup de notes sont altérées ♭ et ♯, une ébauche de chromatisme presque un siècle avant Wagner. Le recours à une atonalité distillant une ambigüité sonore témoigne d'un mal être chez le compositeur. On doit se rappeler que les années 1780 marquent un tournant dans le comportement de Mozart le rebelle. La brouille et les querelles récurrentes avec le prince-archevêque Colloredo, son protecteur, conduisent à son évincement. Il a appris que l'un de ses amours de sa vie, Aloysia Weber, s'est détournée de lui pour un autre homme. Le mariage avec Constance Weber l'a opposé durablement à son père qui n'était pas consentant. Mozart est libre, connaît le succès, mais il est criblé de dettes et la lutte pour l'indépendance a été rude, et tous ces conflits l'ont souvent conduit aux portes de la dépression. Cette introduction douloureuse et son solfège aux tons funèbres (qui sera à l'origine du sous-titre "Les dissonances") préfigure la morosité rampante de l'allegro [1:42]. Ô bien entendu, les mélodies s'entrecroisent, riches et volubiles, le souffle épique du grand Mozart, mais le cœur n'y est pas vraiment. Mozart, comme souvent, veut divertir, mais aussi se confier, démasquer sa réputation de joyeux luron insolent qui même de nos jours lui colle à la peau. Le jeu du quatuor Mosaïques met parfaitement en avant cette ambivalence dans les sentiments : un phrasé clair, peu de vibrato, donc un soupçon de dramatisme dans un discours qui pour autant reste éminemment lyrique…

Soirée quatuor chez haydn
2 - Andante cantabile : [14:40] L'andante contraste avec la vivacité de l'allegro. Le discours se développe de manière à la fois sinueuse et scandée par des motifs du violoncelle, une marche presque sépulcrale. Noté Fa majeur, le mouvement s'étire en déploration. Pas de nostalgie ou de regret, mais des doutes existentiels. Que Mozart est loin désormais des divertissements de sa jeunesse ! La magie d'un récit musical passionné opère grâce à la subtile maîtrise des lignes de chant qui s'entremêlent tantôt avec gravité, tantôt avec une évidente spiritualité, une prière intime contrastant avec l'état d'esprit agnostique d'un Mozart qui vient d'entrer en loge maçonnique.

3 - Menuet (allegretto) : [22:11] On attend d'un menuet un moment de détente joyeuse voire festive. Le tempo allegretto ne prête guère ici à la fantaisie, à l'esprit dansant. Le goût pour le plaisir serait-il en berne chez le compositeur ? Un mouvement étrange qui fascine par la fluidité et la simplicité presque naïve de son flot musical sans réelle tristesse.

4 – Allegro : [28:31] Le final apporte enfin la gaieté. On retrouve le style divertimento et des thèmes qui se pourchassent avec allégresse. Un solo ludique et frivole du premier violon montre un Mozart qui tourne le dos à la tentation sournoise du renoncement. Les instruments du Quatuor Mosaïques caracolent joyeusement avec un tempo retenu pour ne pas rompre avec la volonté d'intériorité voulue depuis l'adagio. Grande interprétation pour l'un des quatuors les plus essentiels du siècle des lumières.
Le Quatuor Mosaïques apporte une grandeur quasi symphonique à leur interprétation. N'était-ce pas le but recherché par Haydn le père fondateur du genre ? Les timbres de leurs instruments sont fastueux. L'élan de leur jeu expansif exempt de toute mièvrerie évoque les premiers soubresauts du romantisme d'un Beethoven.
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Les six quatuors dédiés à Haydn ont donné lieu à de nombreux enregistrements. Les gravures sont regroupées la plupart du temps dans des intégrales où des coffrets. Intégrale globale de référence avec le Quartetto Italiano dont la souplesse du phrasé et l'élégance chaleureuse du son font merveilles dans ce répertoire. Je n'insisterai jamais assez sur le fait que si la musique de Mozart ne présente pas de difficultés techniques majeures et gratuites, son interprétation nécessite d'entrer en communion avec la profondeur qu'elle recèle. C'est le cas pour ces enregistrements des années 60 et 70 d'origine Philips (DECCA – 6/6). À la même époque le Quatuor Alban Berg, sans les reprises, nous offre trois cycles de quatuors de la maturité. Plein d'énergie, sans doute un léger manque de poésie en ce début de carrière (TELDEC – 5/6). Enfin, plus récemment et pour se recentrer sur ce quatuor dit des dissonances, le Quatuor Ebène est un choix qui fait consensus (Erato – 5/6).

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