Depuis
deux ans, nous sommes dans les commémorations de la grande guerre. Une fois
le conflit terminé avec ses 18 millions de victimes, les écrivains ou les
cinéastes qui ont connu l’horreur des tranchés vont composer des odes en
mémoires de ces hommes qui y sont restés ou à ceux qui n’en sont pas revenus intacts.
Roland Dorgelès |
Roland Dorgelès fera partie de ceux-là. Il est étudiant en architecture à
l’école des beaux-arts. Comme beaucoup de ses camarades, il mènera la vie de
bohème à Montmartre au cabaret du Lapin
Agile dans les années 1910. Réformé deux fois pour des raisons de
santé, il s‘engagera en 1914 avec
l’appui de son patron du journal «L’Homme Libre», Georges
Clemenceau. Versé dans un régiment d’infanterie de ligne, il connaîtra
les violents combats de l’Argonne et ceux de l’Artois dans le cimetière de
Neuville-Saint-Vaast. Démobilisé, il rentrera au «Canard enchaîné». En 1919, il publie le roman qui va le
rendre célèbre «Les
Croix de Bois». Véritable roman autobiographique de son
expérience de la guerre. Il obtient le prix Fémina,
mais loupera le Goncourt de deux voix
face à Marcel Proust avec son «A l’ombre des jeunes filles en
fleurs». Roland Dorgelès aura une
phrase pour définir cette période de sa vie : «Je
déteste la guerre, mais j’admire ceux qui l’ont faite»
P.Blanchar - G.Gabrio |
Son
livre «Les Croix
de Bois» va être adapté au cinéma en 1932 et réalisé par Raymond Bernard qui fera aussi une des premières versions des Misérables en 1934 avec Harry Baur et Charles Vanel.
«Les Croix de
Bois» : un film sombre ou le parcours d’un jeune étudiant en droit
engagé volontaire au cœur de la grande guerre. Un film patrimoine mais négligé
des cinéphiles ; pas d’intrigue romanesque, pas d’histoire d’amour, juste une
amitié virile entre des hommes qui ne savent pas si leur voisin de tranchée sera
encore vivant dans l’heure qui suit. Adapté fidèlement du roman, en voulant effacer
le ressentiment «Anti-Boches», le but
de Raymond Bernard était de faire poursuivre
celui de l’auteur : «Faire Haïr la
guerre…» Mais pas les soldats. En 1915,
Gilbert Demachy (Pierre Blanchar) rejoint sa section
en Champagne, idéaliste et naïf : «J’croyais que l’on
allait se battre ?» croit encore aux victoires avec la fleur au
fusil, alors que dans le 39e régiment d’infanterie auquel il
est affecté, le combat parait bien loin. Dirigé par le sergent Bréval (Charles Vanel), un boulanger pâtissier qui
désespère de recevoir une lettre de son épouse, il devient le protégé de Sulphart
(Gabriel Gabrio),
la grande gueule du régiment. Il arrive dans un moment de calme relatif, mais il
découvrira rapidement le front et le quotidien des tranchées.
P.Blanchar - C.Vanel |
La
force du film est la vérité de son témoignage. Les extérieurs seront tournés
sur de véritables champs de bataille, en Champagne, aux environs de Reims, dans
les ruines du Fort de la Pompelle et au mont Cornillet. Les traces des
tranchées creusées quinze ans auparavant étaient toujours visibles, il
suffisait de les remettre en état. Le tournage sera souvent interrompu, des
cadavres de soldats et des obus refaisant surface. Des récupérateurs de l’armée
et des artificiers sondaient le terrain afin que soient évités les pires accidents.
Le réalisateur enrôla d’anciens combattants par souci de réalisme, les
troupes de jeunes recrues fournies par l’armée française ne savaient pas se
tenir dans les tranchées. La plupart des acteurs avaient connu la guerre et
les tranchées Pierre Blanchar
et Charles Vanel en tête et ce dernier dira :
«Nous n’avons pas eu besoin de jouer, nous n’avons eu qu’à nous souvenir».
Les
dialogues seront très naturels, presque le langage du titi parisien pour certains, mais aussi des mots d’auteur presque humoristiques, Sulphart
après avoir pris un éclat d’obus sur la main : L’infirmier : «Va falloir t’couper
le doigt» réponse de Sulphart : «J’m’en fous, j’suis
pas pianiste».
Et aussi avec une syntaxe et grammaire approximative «Puisqu’on est en république, on d’vrait tous
être égals».
Des
images et une photo sombre, le réalisateur jouant entre le jour et la nuit par le clair-obscur, un
véritable film d’ambiance. Les fumigènes dans la nuit, le soldat allemand qui chantent dans sa
tranchée, l’angoisse des soldats dans leurs abris attendant la relève quand
les allemands creusent une mine pour faire exploser la tranchée. La scène du
cimetière et la mort de Bréval.
Un
film montre aussi que la guerre se moque de la différence des classes, tout
comme dans «La
grande Illusion» ou l’aristocrate côtoie le parisien gouailleur, Sulphart, ouvrier de son état, visitera la famille
bourgeoise de Demachy (Flash-Back). Des flash-back apparaissent souvent et décrivent très brièvement la vie d’avant
les tranchées ; des souvenirs nostalgiques. La seul chose qui prédomine et noircit
l’ambiance au film est la mort toujours présente qui frappe au moment où on
ne l’attend pas.
Même si les intonations de Pierre
Blanchar, de Charles Vanel, de Gabriel Gabrio et des autres acteurs paraissent
surannées, elles renforcent le témoignage d’une époque révolue. Pas d’effets
spéciaux mirobolants, hormis une surimpression de l’ascension fantomatique des
soldats morts avec leurs croix de bois à la main. Mon père et moi partagions notre attachement envers ce film. Une œuvre en tout point tragique, en tout point dramatique qui nous
avait marqués l'un et l'autre.
Georges Brassens
chantait «Moi
mon colon, cell’ que j’préfère c’est la guerr’ de quatorz’-dix-huit !»
dans le film Sulphart chante «T’inquiète pas,
tu l’auras ta croix… ta croix de fer, de guerre, ou de bois».
Bien restauré il y a peu de temps, «Les Croix de
Bois» est un film oublié à découvrir.
Les Croix De Bois - VF par PremiereFR
J'ai vu ça aussi à la télé quand j'étais gamin, c'était un grand classique diffusé presque tous les 11 novembre ! Y'avait pas trente six films qui parlaient de cette guerre, "les Croix de Bois" et "A l'Ouest rien de nouveau". Plus tard, il y a eu "Les sentiers de la Gloire", mais moins centré sur la vie des tranchées. Et "La Vie et rien d'autre" de Tavernier, très film film sur l'après 14-18.
RépondreSupprimerTu l'as cité, de Raymond Bernard il faut voir aussi sa version des Misérables (la meilleure ?) qui dure 4h30, des plans de cinéma incroyables, une photo expressionniste, et un Harry Baur qui valait bien un Gabin, un Ventura et un Depardieu réunis !
la version de Raymond Bernard des misérables est surement la plus proche du roman de Victor Hugo. A mon souvenir, je crois que c'est la seul version ou tu vois l'éléphant de la Bastille, l'endroit ou Gavroche allait dormir. Mais même si la version de Jean-Paul le Chanois n'est pas aussi complète, le jeu des acteurs est excellent, Bourvil reste le meilleur Thénardier à l'heure actuel.
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