lundi 19 décembre 2016

LES CROIX DE BOIS de Raymond Bernard (1932) - par Pat Slade







Roland Dorgelès, son autobiographie





Depuis deux ans, nous sommes dans les commémorations de la grande guerre. Une fois le conflit terminé avec ses 18 millions de victimes, les écrivains ou les cinéastes qui ont connu l’horreur des tranchés vont composer des odes en mémoires de ces hommes qui y sont restés ou à ceux qui n’en sont pas revenus intacts.

Roland Dorgelès
Roland Dorgelès fera partie de ceux-là. Il est étudiant en architecture à l’école des beaux-arts. Comme beaucoup de ses camarades, il mènera la vie de bohème à Montmartre au cabaret du Lapin Agile dans les années 1910. Réformé deux fois pour des raisons de santé, il s‘engagera en 1914 avec l’appui de son patron du journal «L’Homme Libre», Georges Clemenceau. Versé dans un régiment d’infanterie de ligne, il connaîtra les violents combats de l’Argonne et ceux de l’Artois dans le cimetière de Neuville-Saint-Vaast. Démobilisé, il rentrera au «Canard enchaîné». En 1919, il publie le roman qui va le rendre célèbre «Les Croix de Bois». Véritable roman autobiographique de son expérience de la guerre. Il obtient le prix Fémina, mais loupera le Goncourt de deux voix face à Marcel Proust avec son «A l’ombre des jeunes filles en fleurs». Roland Dorgelès aura une phrase pour définir cette période de sa vie : «Je déteste la guerre, mais j’admire ceux qui l’ont faite» 

P.Blanchar - G.Gabrio
Son livre «Les Croix de Bois» va être adapté au cinéma en 1932 et réalisé par Raymond Bernard qui fera aussi une des premières versions des Misérables en 1934 avec Harry Baur et Charles Vanel. «Les Croix de Bois» : un film sombre ou le parcours d’un jeune étudiant en droit engagé volontaire au cœur de la grande guerre. Un film patrimoine mais négligé des cinéphiles ; pas d’intrigue romanesque, pas d’histoire d’amour, juste une amitié virile entre des hommes qui ne savent pas si leur voisin de tranchée sera encore vivant dans l’heure qui suit. Adapté fidèlement du roman, en voulant effacer le ressentiment «Anti-Boches», le but de Raymond Bernard était de faire poursuivre celui de l’auteur : «Faire Haïr la guerre…» Mais pas les soldats. En 1915, Gilbert Demachy (Pierre Blanchar) rejoint sa section en Champagne, idéaliste et naïf : «J’croyais que l’on allait se battre ?» croit encore aux victoires avec la fleur au fusil, alors que dans le 39e régiment d’infanterie auquel il est affecté, le combat parait bien loin. Dirigé par le sergent Bréval (Charles Vanel), un boulanger pâtissier qui désespère de recevoir une lettre de son épouse, il devient le  protégé de Sulphart (Gabriel Gabrio), la grande gueule du régiment. Il arrive dans un moment de calme relatif, mais il découvrira rapidement le front et le quotidien des tranchées.

P.Blanchar - C.Vanel
La force du film est la vérité de son témoignage. Les extérieurs seront tournés sur de véritables champs de bataille, en Champagne, aux environs de Reims, dans les ruines du Fort de la Pompelle et au mont Cornillet. Les traces des tranchées creusées quinze ans auparavant étaient toujours visibles, il suffisait de les remettre en état. Le tournage sera souvent interrompu, des cadavres de soldats et des obus refaisant surface. Des récupérateurs de l’armée et des artificiers sondaient le terrain afin que soient évités les pires accidents. Le réalisateur enrôla d’anciens combattants par souci de réalisme, les troupes de jeunes recrues fournies par l’armée française ne savaient pas se tenir dans les tranchées. La plupart des acteurs avaient connu la guerre et les tranchées Pierre Blanchar et Charles Vanel en tête et ce dernier dira : «Nous n’avons pas eu besoin de jouer, nous n’avons eu qu’à nous souvenir».

Les dialogues seront très naturels, presque le langage du titi parisien pour certains, mais aussi des mots d’auteur presque humoristiques, Sulphart après avoir pris un éclat d’obus sur la main : L’infirmier : «Va falloir t’couper le doigt» réponse de Sulphart : «J’m’en fous, j’suis pas pianiste». Et aussi avec une syntaxe et grammaire approximative «Puisqu’on est en république, on d’vrait tous être égals».

Des images et une photo sombre, le réalisateur jouant entre le jour et la nuit par le clair-obscur, un véritable film d’ambiance. Les fumigènes dans la nuit,  le soldat allemand qui chantent dans sa tranchée, l’angoisse des soldats dans leurs abris attendant la relève quand les allemands creusent une mine pour faire exploser la tranchée. La scène du cimetière et la mort de Bréval.

Un film montre aussi que la guerre se moque de la différence des classes, tout comme dans «La grande Illusion» ou l’aristocrate côtoie le parisien gouailleur, Sulphart, ouvrier de son état, visitera la famille bourgeoise de Demachy (Flash-Back). Des flash-back  apparaissent souvent  et décrivent très brièvement la vie d’avant les tranchées ; des souvenirs nostalgiques. La seul chose qui prédomine et noircit l’ambiance au film est la mort toujours présente qui frappe au moment où on ne l’attend pas. 

Même si les intonations de Pierre Blanchar, de Charles Vanel, de Gabriel Gabrio et des autres acteurs paraissent surannées, elles renforcent le témoignage d’une époque révolue. Pas d’effets spéciaux mirobolants, hormis une surimpression de l’ascension fantomatique des soldats morts avec leurs croix de bois à la main. Mon père et moi partagions notre attachement envers ce film. Une œuvre en tout point tragique, en tout point dramatique qui nous avait marqués l'un et l'autre.

Georges Brassens chantait «Moi mon colon, cell’ que j’préfère c’est la guerr’ de quatorz’-dix-huit !» dans le film Sulphart chante «T’inquiète pas, tu l’auras ta croix… ta croix de fer, de guerre, ou de bois». 

Bien restauré il y a peu de temps, «Les Croix de Bois» est un film oublié à découvrir.



Les Croix De Bois - VF par PremiereFR

2 commentaires:

  1. J'ai vu ça aussi à la télé quand j'étais gamin, c'était un grand classique diffusé presque tous les 11 novembre ! Y'avait pas trente six films qui parlaient de cette guerre, "les Croix de Bois" et "A l'Ouest rien de nouveau". Plus tard, il y a eu "Les sentiers de la Gloire", mais moins centré sur la vie des tranchées. Et "La Vie et rien d'autre" de Tavernier, très film film sur l'après 14-18.

    Tu l'as cité, de Raymond Bernard il faut voir aussi sa version des Misérables (la meilleure ?) qui dure 4h30, des plans de cinéma incroyables, une photo expressionniste, et un Harry Baur qui valait bien un Gabin, un Ventura et un Depardieu réunis !

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  2. la version de Raymond Bernard des misérables est surement la plus proche du roman de Victor Hugo. A mon souvenir, je crois que c'est la seul version ou tu vois l'éléphant de la Bastille, l'endroit ou Gavroche allait dormir. Mais même si la version de Jean-Paul le Chanois n'est pas aussi complète, le jeu des acteurs est excellent, Bourvil reste le meilleur Thénardier à l'heure actuel.

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