- Tiens M'sieur Claude, de nouveau un album Richard Strauss… De quoi
s'agit-il, des poèmes symphoniques, autre chose ?
- Métamorphosen, est une œuvre atypique et désenchantée pour 23 cordes,
de 1945, déjà chroniquée.
Mort et transfiguration est un poème symphonique de jeunesse…
- Moui, tout comme Ainsi parla Zaramachin rendu célèbre par Kubrick dans
l'indicatif de 2001 Odyssée de l'espace. Il est aussi connu et intéressant
?
- Oui, plus concis et moins confus (Ainsi parla Zarathoustra ne fait pas
toujours dans la dentelle),
une œuvre profonde qui
continue de faire carrière en concert et au disque.
- Heu, je suis peut-être un peu ignare, mais que signifie
"transfiguration" ? Et puis de nouveau Karajan souvent entendu dans ce
blog…
- En deux mots, transfiguration est un
terme chrétien qui suggère
la libération de l'âme dans la sérénité au moment de la mort. Quant à
Karajan, force est d'admettre qu'il fut talentueux dans beaucoup de
domaines, notamment comme interprète de Richard Strauss.
Richard Strauss à 26 ans en 1888 XXXXX |
XXXXX |
Cette gravure de 1983 est,
au-delà de sa magnificence, le témoignage de l'intérêt compulsif que portait
le chef pour le disque et les nouvelles technologies, utilisant ainsi son
image médiatique pour faire découvrir la musique classique au plus grand
nombre. Il se remettra à enregistrer, malgré l'âge, souvent pour la énième
fois, son répertoire de prédilection : le romantisme et le postromantisme.
On peut épiloguer sur un classement subjectif entre les versions de l'époque
vinyle et celles du CD. Ce n'est pas d'un intérêt majeur. Les symphonies
n°7
et
8
de
Bruckner
enregistrées avant sa mort en
1989 sont des références au
contraire de celles des années 70, mais il y a aussi des absents comme
Mozart, un compositeur dont
Karajan
n'avait pas su vraiment maîtriser la finesse (à mon humble avis), sauf dans
les opéras et dans les années 50 grâce à des chanteurs de génie.
Herbert von Karajan
reste un passage obligé pour découvrir l'univers de
Strauss, tant pour les opéras que pour les poèmes symphoniques. Il enregistrera de
nombreuses fois les partitions les plus marquantes comme
Don Quichotte
(avec
Pierre Fournier
et
Mstislav Rostropovitch),
Une vie de
héros, autre monument à commenter,
Don Juan,
Till Eulenspiegel
et bien entendu
Ainsi parla Zarathoustra. Au regard
de l'hédonisme commun au
compositeur et au maestro, et vu leur goût mutuel pour la magie de
l'orchestration et de l'esthétique sonore, rien de surprenant que
les gravures de
Karajan
soient
marquées d'une telle aisance.
Il faut prendre aussi en compte la qualité des orchestres dont disposait
le chef qui ne rencontra
qu'une seule fois
Strauss, en 1939. Karajan
a enregistré 4 fois
officiellement ce poème symphonique
: 1953, 1960, 1974, 1983
! (EMI, DECCA, DG)
Et pour conclure sur le chapitre
Strauss-Karajan, j'ajouterai
que cette gravure me semble supérieure dans sa réflexion métaphysique à
celle de 1974. Et côté
transparence de la prise de son, il n'y a pas photo ! Pour la bio
complète de Herbert, voir
Brahms
(Clic).
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De nos jours, un débat perdure sur le fait que
Richard Strauss
n'était que le compositeur postromantique ringard perdu dans un siècle qui
n'était pas le sien, ou alors celui qui porta ledit style romantique aux
limites de sa richesse émotionnelle. Je suis plutôt un membre du second camp
même si j'admets que le bonhomme fut capable du meilleur, comme
Metamorphosen, le
Chevalier à la Rose
(son 3ème opéra) ou les
quatre derniers lieder, comme du "très anecdotique voire médiocre", et de citer
Aus Italian
avec l'air de
funicula funiculi
pour charpenter le final (pas top le dépliant touristique orchestral). Et je
ne parle pas du ballet
Schlagobers
(littéralement : crème fouettée) que seuls les autrichiens doivent pouvoir
digérer (il n'existe qu'un seul enregistrement complet réalisé au Japon où,
c'est bien connu, on peut avaler n'importe quoi).
On ne se moque pas, tous les compositeurs ont commis des nanardies pour
payer leurs impôts. Mes chroniques depuis plus de cinq ans ne sélectionnent
que les meilleurs œuvres, réputées comme telles, ou au moins de sympathiques
curiosités à redécouvrir. (D'où une notation moins sévère que celle de mes
petits camarades du rock qui sont confrontés à l'actualité avec ses hauts et
ses bas.)
Assez digressé, revenons en
ces années 1886-1899 pendant
lesquelles
Richard Strauss
compose l'essentiel de sa musique orchestrale, notamment ses poèmes
symphoniques.
Mort et transfiguration
composé en
1891
est le 4ème de la série après le besogneux
Aus Italian
de 1886, l'excellent et
fougueux
Don Juan
et
Macbeth
en 1890. Ce sont quatre œuvres
écrites avant les 26 ans du compositeur. Des faiblesses de jeunesse dans
cette musique ? Sans doute, mais si
Strauss
mourra en 1949 en ayant rien
inventé d'après ses détracteurs, il y a pourtant une méthode
Strauss…
1891
:
Bruckner
termine la seconde mouture de sa
8ème symphonie, œuvre emblématique du contrepoint et du chromatisme wagnérien.
Brahms, son concurrent dans la vie musicale (un peu ennemi), adepte du
classicisme, a proposé six ans plus tôt sa
4ème symphonie, montrant que la musique pure, héritière de
Bach,
Mozart
ou
Beethoven
première manière, a encore de beaux jours devant elle. C'est d'ailleurs à
cette école que le jeune
Richard
va être formé avant de découvrir en tant que chef d'orchestre débutant
l'univers de la musique à programme et la composition par leitmotive
inventées par
Liszt
et
Wagner.
Mort et transfiguration
et ses meilleurs poèmes vont épouser le principe lisztien sans la brutalité
un peu fruste que l'on trouve chez le compositeur austro-hongrois.
Mort et transfiguration
se rapproche plus de la vitalité élégante de
Ce que l'on entend sur la montagne
que du liquoreux, fanfaronnant et un peu creux
Du berceau à la tombe, même si les sujets
sont similaires.
Mort et transfiguration aurait pu rejoindre Ainsi parla Zarthoustra dans 2001... |
À l'inverse d'un
Liszt
qui s'inspire d'une œuvre poétique pour composer ses poèmes symphoniques,
Richard Strauss
structure les siens à partir d'une pensée personnelle libre de toute
influence littéraire préexistante. Une thématique récurrente va cependant
apparaître d'œuvre en œuvre : l'homme confronté à une existence mouvementée
et au trépas :
Don Quichotte,
Hamlet,
Don Juan,
Till l'espiègle, une vie de héros
et aujourd'hui un artiste.
Richard Strauss
recourt à un orchestre enrichi comme celui de
Liszt
: 3 flutes, 2 hautbois, cor anglais, 2 clarinettes, clarinette basse, 2
bassons, 1 contrebasson, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, 1 tuba, 3
timbales, 2 harpes, tam-tam, cordes.
Strauss
va se révéler un orchestrateur de talent, d'autant qu'il deviendra l'un des
chefs d'orchestre majeur du début du XXème siècle.
Mort et transfiguration
est une pièce monolithique jouée dans la continuité. Les musicologues ont
tenté de discerner des mouvements, mais le nombre de parties varie d'un
"spécialiste" à un autre !! La belle diversité de climats va plutôt
émerger des modulations
abruptes de tempos et d'une grande variété de thèmes. À propos de tempos,
l'adhésion à la musique de
Strauss
est ultra dépendante de la maîtrise de ces derniers par l'interprète. La
lenteur excessive pour chercher une soi-disant clarté provoque un ennui
mortel. Je ne sais pas pourquoi mais le phénomène est souvent radical et
sans appel. Il existe une gravure de
Strauss
himself de 1944 qui fixe l'idée : 23'40".
Sergiu Celibidache, pourtant expert de la retenue (souveraine
dans le mysticisme de
Bruckner), se ridiculise avec ses 30' lors d'un concert à Tokyo. Excusez de la
trivialité, mais c'est carrément "ch**nt".
Otto Klemperer, grand commandeur, amateur de tempo lent et fidèle à la tradition
germanique
ne tomba pas dans le piège et
le grava en 22' avec le
Philharmonia. Une conception totalement poignante d'émotion et de grandeur qui reste un
modèle. On peut trouver l'origine du
problème dans le mode
de composition par
superposition savante et à l'unisson des phrases mélodiques. Ce que
j'appelais plus haut la "Méthode"
Strauss. Trop de lenteur disloque cette harmonie, l'unicité du récit musical étant
rompue. Le choix de l'ultime version de
Karajan
n'est pas complètement le fruit du hasard. (23'40). Celle de
1974, plus lente, me paraît un
soupçon plus pesante (très subjectif).
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- Oh là M'sieur Claude, que de remarques préliminaires, vous allez
développer longuement l'analyse ?
- Justement non Sonia, seulement quelques
indices pour permettre aux
néophytes de mieux se repérer dans les méandres de cette musique
métaphysique…
Image du film "Klimt" : le peintre viennois sur son lit de mort... |
Un frémissant trémolo syncopé et hésitant des seconds violons et des altos
en sourdine nous accompagne vers la chambre d'un artiste à la porte du
trépas. Surgit pp une note
sombre des bassons à laquelle répond un long accord tenu par le
contrebasson, deux cors, les clarinettes et la clarinette basse. Lugubre !
La mort déploie ses ailes. Cet accord complexe au timbre indéfini mais
étouffant signe la marque de l'orchestration straussienne ; on retrouve le
même type de motif dans l'introduction d'une étrangeté abyssale de
Ainsi Parla Zarathoustra
obtenu avec d'autres instruments parmi les plus graves (Trémolos de
contrebasses, roulement de grosse caisse, contrebasson,
le monolythe de Kubrick).
Cette reptation funèbre et oppressante illustre bien l'art de
Strauss
soucieux de créer des sonorités extra-instrumentales originales. Les instruments disparaissent en tant que solistes au bénéfice de l'émission
unitaire de timbres
nouveaux. Interpréter
Strauss
nécessite de la part des musiciens une grande capacité
à jouer à l'unisson. Que
d'exigences draconiennes au niveau des tempos et des tuttis…
Rien d'étonnant que
Mort et transfiguration
ne puisse s'épanouir que joué par des orchestres de haut niveau technique
avec des chefs intransigeants. Si
Strauss
n'a pas fait œuvre de novateur, se
limitant aux
expériences
du chromatisme wagnérien
dans son écriture, cette manière de traiter l'orchestre est réellement
inédite à l'époque. Pour les hardiesses harmoniques, il faudra attende le
vénéneux opéra
Salomé
(Clic).
Un homme et la mort (Egon Schiele, ami de klimt) - 1911 |
|
[0:24] Dans le largo initial,
Strauss
confirme son talent de mélodiste. Le premier leitmotiv envoûtant aux altos
et seconds violons symbolise l'agonie, le halètement.
Strauss
va baigner l'ultime voyage d'un homme d'une musique nourrie de 8 motifs.
Oui, il y a un homme de chair et d'âme, pas uniquement un mourant anonyme et
un second thème énoncé par la flûte [1:27] lui est dédié après les arpèges
de harpes qui ont apporté un peu de repos (pas encore éternel) dans cette
chambre des derniers souvenirs.
Strauss
va travailler avec émotion tous ces premiers matériaux, ainsi, le thème de
la flûte est repris au hautbois [2:36], puis dans un touchant solo du
premier violon quelques mesures plus tard [3:10].
Strauss
n'abandonne donc pas un discours concertant comme pourrait le faire penser
mes propos sur les accords complexes… Doucement, la musique a basculé de la
noirceur à la rêverie…
[5:20] Un coup de timbale
ff suivi d'un climax aux bois et
aux cuivres confronte le mourant à une première attaque de la
grande faucheuse. Un passage
noté allegro molto agitato. On retrouve les superpositions mélodiques
exposées par vagues successives comme une danse macabre
fantasmée.
[8:42] Un thème méditatif dit "de l'idéal" va contrer de nouveau
l'inéluctable avancée vers le trépas. Sereinement d'autres souvenirs de
l'adolescence apparaissent. [11:08] Une danse aux accents viennois
s'insinue, réminiscence d'un moment de bonheur lors d'un bal chic
?
La polyphonie très riche et
la luxuriance de l'orchestration montrent un jeune
Strauss
de plus en plus habile à traiter des partitions élaborées.
Un phrasé tantôt galant
tantôt furieux (Meno mosso),
des expositions et
réexpositions incessantes de motifs qui se confondent : une architecture
intrigante et virulente qui fait songer aux formes sonates propres aux
symphonies classiques. On a pu reprocher au compositeur ce mélange des
genres : poème symphonique vs symphonie. Peu importe, le flot dramatique et
lyrique s'impose par sa logique contrapuntique très construite et somme
toute facile à suivre. Strauss
ou la synthèse des différents courants musicaux.
[17:54] Après moult péripéties et une dernière attaque du thème de la mort,
l'inévitable se produit.
Strauss
fait résonner un glas par le tam-tam (Berlioz que le compositeur admirait n'est pas loin).
Issu d'un silence mortuaire,
le thème de l'immortalité gagne en puissance pour s'imposer crescendo, de
manière martiale, avant que le repos éternel
n'advienne. Tous les
pupitres (les cordes sont même divisées par groupes) baignent les dernières
mesures (lento) de la douce lumière de l'au-delà… Œuvre encore imparfaite
peut-être, mais un jeu de couleur génial. L'accord du point d'orgue comporte
48 notes
réparties sur tous les pupitres !!
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Si
Karajan
en 1983 offrait une très grande
version complétée par un must de
Metamorphosen, d'autres lui font concurrence. Parmi les gravures notables, j'en ai déjà
cité certaines. Trois coups de cœur avec des couplages divers.
Rudolf Kempe
est évidement le maître de
Strauss dans son intégrale avec la
Staastkapelle de
Dresde
réalisée dans les années 70. Des tempos tendus,
Mort et transfiguration
est diablement vivant… comme il devrait toujours l'être. Si le coffret de 9
CD rebute, un double album réunit une sélection des meilleurs opus (Warner – 5/6). On a réédité
l'intégralité des captations de
Otto Klemperer
avec le
philharmonia
dans un coffret fourre-tout à prix imbattable avec des pages célèbres de
Wagner… Pourquoi pas ! Le double album comportant deux incontournables qui siéent
parfaitement à la gravité du chef emportent les suffrages :
Metamophosen
et la
9ème symphonie
de
Mahler. Trois œuvres majeures du répertoire et d'inspiration sépulcrale. (EMI – 6/6 l'album, 5/6 pour Mort et transfiguration). Enfin pour me contredire en partie et admettre qu'un chef inspiré
disposant d'une belle phalange (la
Philharmonie de New-York) peut s'autoriser des tempos lascifs, le disque de
Giuseppe
Sinopoli
est idéal, le couplage avec
Ansi parla Zarathoustra
peut séduire, et la prise de son claire et dynamique met parfaitement en
valeur l'orchestration de
Strauss
(DG – 5/6).
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Richard Strauss
créa lui-même son œuvre le jour du printemps
1890. Excellent chef, il
dirigera souvent ses œuvres
lors de soirées fleuves consacrées
à un large répertoire. Après l'exécution par
Karajan, un document exceptionnel : un concert avec l'orchestre
Philharmonique de Vienne
de 1944, alors que les bombes
pulvérisent le IIIème Reich. Le son est d'un autre âge, mais la
régularité de la battue,
le raffinement de la mise en place
(quels chants des bois et du violon solo !) offrent une référence absolue
pour tous les chefs modernes qui veulent se mesurer à cette partition
imposante de 88 pages de 26 portées ! Un document rare et précieux.
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