samedi 13 août 2016

PROKOFIEV – Symphonie N° 1 "Classique" – Carlo Maria GIULINI – par Claude TOON



- Tiens une symphonie de Prokofiev en cette période estivale M'sieur Claude ? Ce n'est pas un peu ardu ?
- La symphonie dite "classique" écrite par un jeune compositeur avant-gardiste de 25 ans est un OVNI en hommage à l'époque classique en général et à Haydn en particulier !
- Ah ? bien, mais est-ce une grande œuvre, les symphonies de Haydn que je connais durent environ 25 minutes et ne manquent pas de lyrisme et d'humour…
- Deux mots bien choisis ma chère Sonia. Contrairement aux monuments que sont les graves 5ème et 6ème symphonie de Prokofiev, voici un petit bijou d'un quart d'heure à peine.
- Vous avez choisi un chef souvent présent dans ce blog, l'italien Carlo Maria Giulini, un choix murement réfléchi…
- Non, il existe des dizaines de bonnes versions. J'ai trouvé une bonne vidéo de l'époque où le chef travaillait avec l'orchestre de Chicago. Très bien, ce n'est pas une œuvre métaphysique mais fantaisiste...

Prokofiev dans ses jeunes années
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La symphonie "classique" de Prokofiev est bien un OVNI dans la production du compositeur russe. Elle voit le jour en 1916, l'époque de la bataille de Verdun, de la boucherie absurde dans laquelle est plongée l'Europe, y compris la Russie qui dans moins de deux ans va connaître la révolution bolchévique. En 1918, Prokofiev quittera sa patrie plongée dans le chaos pour une vingtaine d'années de pérégrination aux USA et en France.
Oui, un OVNI, car pour un mélomane néophyte écoutant en aveugle pour la première fois cette amusante symphonie, des suggestions comme Mozart, ou plutôt Haydn vont fuser pour tenter de classer cette partition dans l'histoire de la Musique… Un Haydn très slave.
Réfugié à Saint-Pétersbourg, le jeune Serge de 25 ans n'a même pas un piano pour composer ! (Une légende urbaine ?). Il se passionne pour la perfection formelle des symphonies de Joseph Haydn, pape du genre lors du siècle des lumières puisqu'il en composera 104. Et ce ne sont jamais des œuvrettes composées à l'arrache, loin de là, mais de riches partitions avec des durées de 25 à 30 minutes qui ouvriront la voie pour l'exploitation de cette forme orchestrale par Mozart et par Beethoven.
À la même époque, Prokofiev compose plutôt des œuvres ouvertes vers le modernisme comme le 1er concerto pour violon qui n'a absolument rien de classique avec son écriture chaotique, ses ruptures de rythme et son orchestration luxuriante aux antipodes de celles du XVIIIème siècle (Clic). Il est évidemment critiqué pour ces innovations et il est licite de penser que l'écriture de cette symphonie "à la manière de" est une provocation cocasse pour montrer que le jeune compositeur maîtrise totalement les bases du métier. La création en 1918 fait un tabac y compris auprès des premières autorités artistiques communistes de Petrograd (qui, si je puis permettre ce mot, ne font absolument pas autorité en la matière). La seconde symphonie de 1924, composée en France, sera, à l'opposé, une musique fracassante et atypique influencée par le mouvement cubiste.
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Comme le précise Sonia Carlo Maria Giulini a déjà souvent fait la une des articles du blog, soit comme interprète du disque commenté dans l'article, soit comme choix recommandable dans les discographies alternatives. Quatre articles : comme accompagnateur de pianistes illustres dans le concerto l'empereur de Beethoven ou le premier concerto de Brahms ; de nouveau Brahms pour sa 4ème symphonie et enfin, déjà avec l'orchestre de Chicago, sa gravure culte de la 9ème symphonie de Mahler. (Index) La biographie la plus complète de cet immense artiste se trouve dans l'article consacré à la 4ème symphonie de Brahms.

L'orchestration de la symphonie est un clin d'œil aux symphonies de la maturité de Haydn : 2/2/2/2, 2 cors et 2 trompettes, cordes et timbales. Un effectif rigoureusement identique à celui de la symphonie N° 101 "l'horloge". De même la forme est en quatre mouvements avec une gavotte en lieu et place du menuet.
L'allegro initial démarre sur les chapeaux de roues. Quelques mesures crescendo et enlevées des cordes donnent la parole aux violons et aux vents pour énoncer un thème porteur plein de verve. Ça ressemble à du Haydn par la bonhomie du phrasé, ou encore par le solo pétillant du basson à partir de [1:02], et pourtant, on entend à merveille dans cette musique le Prokofiev chorégraphe des ballets comme Roméo et Juliette. Le discours semble encore plus concertant que dans les portées imaginées par ses aînés 150 ans auparavant. Il y a un parfum de concerto grosso dans cette vitalité cocasse et champêtre. Prokofiev veut accentuer l'attention portée à l'héritage "classique" en respectant avec soin la forme sonate : les développements, les reprises da capo, la brève coda. Carlo Maria Giulini pourra sembler adopter un tempo plus retenu que ses homologues russes. Ce n'est qu'un leurre dû à la limpidité de la mise en place et à l'équilibre précis entre pupitres (merveilleuses trilles à [3:26]). Haydn sans doute, Prokofiev surement, grâce à un legato très articulé, peu germanique en réalité, très slave par sa rythmique soutenue.
[4:38] Le mouvement lent ne l'est pas vraiment car noté larghetto. Prokofiev aborde le passage avec un style de marche délicat, une évocation courtisane. La seconde idée est réellement scandée avant de dériver vers une mélodie gracieuse, un ballet viennois par une douce lumière printanière. On retrouve le souci du détail et de l'équilibre, du contrôle absolu de chaque petit motif, une direction caractéristique du maestro italien.
[8:31] la gavotte notée allegro non troppo s'écarte sensiblement de l'univers abstrait de Haydn pour nous entrainer dans une danse de cour un peu ironique mais aux sonorités aucunement désuètes.

[10:06] Un final en forme de chevauchée. Prokofiev enjoué s'amuse. Une forme rondo fréquente dans une symphonie classique d'où la musique jaillit par divers motifs brillants et lyriques. Carlo Maria Giulini et son orchestre de rêve maintiennent leurs options métronomiques et surtout l'élégance raffinée de leur jeu. L'air circule entre tous les pupitres. Aucune précipitation, une joie bon-enfant pour cette partition aux accents ludiques.
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