vendredi 19 août 2016

LE SILENCE DES AGNEAUX de Jonathan Demme (1991) par Luc B.


Ce film reste un modèle absolu du genre, qu'on revoit avec le même plaisir (morbide) et cette pointe d’inquiétude toujours chevillée au corps. Rarement un film a propagé un tel climat anxiogène, sans effet tape à l’œil. Là réside toute sa réussite.
Anthony Hopkins et Jonathan Demme
Jonathan Demme a commencé à tourner dans les années 70, sous l’égide de Roger Corman, pape du cinéma bis, signant en 1975 CRAZY MAMA. Sa filmographie est méconnue, il alterne films, documentaires, productions de studio ou indépendantes. Il a filmé des clips, son dernier film est musical, RICKY AND THE FLASH, avec Meryl Streep en guitariste country rock. Ses deux grands succès publics sont LE SILENCE DES AGNEAUX et PHILADELPHIA.
Le thème du serial killer n’était pas nouveau, mais ce film le remet à l’honneur. On peut remonter à M LE MAUDIT, LA CINQUIEME VICTIME, PSYCHOSE, LES TUEURS DE LA LUNE DE MIEL, L’ETRANGLEUR DE BOSTON, COP de James B Harris, d’après un bouquin de James Ellroy, et bien sûr LE SIXIEME SENS de Michael Mann. Mais le film de Jonathan Demme a remis tous les compteurs à zéro, tant il redéfinit le genre, largement exploité depuis, y compris en littérature.
L’histoire s’inspire des livres de Thomas Harris. Michael Mann avait adapté le premier bouquin de la série mettant en scène le personnage d’Hannibal Lecter, dès 1986, une réussite, mais un peu datée esthétiquement aujourd’hui, et remakée dans DRAGON ROUGE en 2002. Il y aura une suite, HANNIBAL, d'un Ridley Scott visiblement peu convaincu de son sujet, et même un préquel. 
Si Michael Mann mettait le flic et l'enquête au coeur de son intrigue, Jonathan Demme prend habilement le contrepied. Il a compris ce qui fascinait le public : Hannibal Lecter, illustrant l'adage d'Hitchcock : plus le méchant est réussi... Non seulement le personnage de Lecter n'apparait très peu à l'image, et quand on le voit, il est entravé, menotté, en cage. Ce qui lui confère cette aura monstrueuse. En plus, ce n'est même pas lui le tueur recherché par la police dans l’intrigue, mais un certain Buffalo Bill ! Malgré tout, on ne se souvient que d'Hannibal le cannibale, son esprit pervers et machiavélique, sa cruauté. Voir sa rencontre sur le tarmac avec la sénatrice dont la fille a été enlevée. Un tueur qui ne garde pas de trophées de ses victimes, comme le font les autres, parce qu’il les mange ! Cette réplique glaciale : « J’ai été interrogé par un employé du recensement. J’ai dégusté son foie avec des fèves au beurre, et un excellent chianti ».
Lecter est un des personnages les plus terrifiants du cinéma. On est prévenu en même temps que l’enquêtrice Clarice Starling, lors de sa première entrevue quand le gardien affable lui lance, derrière les barreaux « je vous regarde, tout ira bien... ». On le découvre debout au fond de sa cellule, le maintien aristocratique, mains le long du corps, voix calme, avec cet éclairage blafard. Comme Mabuse, il manipule psychologiquement ses proies. On apprend qu’il a réussi à convaincre son voisin de cellule de se bouffer la langue, et s'étouffer avec. Regardez la scène ou le directeur du centre, le docteur Chilton, dégoulinant de prétention, perd son stylo... C'est anodin. Mais il suffit d'un plan sur Lecter pour piger que c'est lui qui a fait le coup (comment, en camisole ?!!) et que les conséquences seront terribles... 
Autre intelligence de Jonathan Demme, d’avoir choisi Jodie Foster pour interpréter le rôle de la jeune flic. De nombreuses actrices, glamour, banquables, avaient été castées. Mais Jodie Foster apporte à Clarice Starling, un côté ampoulée, fragile, provincial. La gentille fille mal dégrossie. Ce que Lecter le prédateur comprend, en reniflant son parfum bon marché, remarquant ses godasses de supermarché, en déduisant ses origines modestes, son traumatisme d’enfance.
Jonathan Demme n’use pas d’effet grandiloquents ni de musique tapageuse (au contraire, grave, ample, sombre, lourde, signée Howard Shore, on entend aussi du Tom Petty). Il alterne les scènes avec figuration, et huis-clos, sans qu’on sache lesquelles sont les plus stressantes. Il place sa caméra souvent derrière Clarice Starling, genre "vas-y d'abord, on te suit..." alors qu'on sait la fliquette inexpérimentée, donc une proie facile. On cherche à reconstituer le puzzle avec elle, suivre le jeu de piste morbide d’Hannibal Lecter. Et nous avons peur avec elle. Le film n’édulcore pas les actes violentsDemme filme frontalement, cliniquement, mais sans fascination, il est aussi du côté des victimes, leurs souffrances, leurs angoisses, leur incompréhension. Jonathan Demme donne dans la proximité, la banlieue, les petites gens.
Il faut intégrer beaucoup d’informations, la narration est parfaitement maitrisée, ne souffre d’aucune baisse de régime jusqu’au dernier plan. Le film regorge de scènes restées célèbres (à vrai dire... toutes !) : les face à face psychanalytiques avec la flic, celle où Lecter en cage (celle d’un fauve de cirque) attend d’être transféré, et qu’on lui apporte son repas. L’image du flic éviscéré et crucifié, décoré de ruban tricolore. La traque dans l’immeuble qui s’en suit, l’ascenseur… Buffalo Bill dansant dans sa cave, masquant ses parties génitales entre ses cuisses pour nous apparaitre virginal. Le puit, le chien...
Et puis ce plan génial, où des hommes du FBI s’apprêtent à investir une maison identifiée comme celle de Buffalo Bill, alors qu'en parallèle, à 200 bornes de là, Clarice Starling poursuit son portes à portes. Tout est dans le raccord de montage. Le spectateur comprend d'un coup ce que Clarice ne sait pas encore ! Donc on angoisse d'autant. Avec la poursuite du tueur dans la cave, éclairée aux infrarouges, Jonathan Demme joue sur nos peurs (« alors Starling, les agneaux ont-ils cessé de hurler ? ») la peur du noir. Il réussit tout ce qu’il entreprend, impossible de le prendre en défaut, de racolage ou de voyeurisme. Seul apport plus léger, les deux entomologistes binoclards qui en pincent pour Starling. Et encore… gentils, mais un peu tordus les mecs, non ?
LE SILENCE DES AGNEAUX, maintes fois copié, parodié, est devenu une référence. Le David Fincher de ZODIAC et SE7EN peut lui dire merci. Acteur déjà expérimenté, Anthony Hopkins y a trouvé la célébrité, un rôle qui l’a presque cannibalisé (sic), tant il nous a refait ça ensuite (comme le Nicholson de SHINING). Jodie Foster et Scott Glenn sont impeccables. Le film est froid, sans humour, sans héroïsme, sans atermoiement ni psycho de pacotille. C’est le traitement qu’il fallait. Ah si, y’a une réplique plus légère à la fin, la dernière, prononcée par Lecter : « excusez-moi agent Starling, j’aimerais poursuivre cette conversation, mais j’ai un vieil ami pour diner »… Bon film, et bon appétit.     
couleur  -  2h00  -  format 1:1.85

       

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2 commentaires:

  1. Quand tu aperçois Lecter pour la première fois, après avoir remonté de se couloir sinistre et être passé devant des tarés de classe international, tu t'attends à voir un monstre issue d'un film d'horreur et paf !! Tu vois un homme bien sur lui, genre qui pourrait travailler dans la fonction public, voila une scène qui marque. L'image de l'asile de "Vol au dessus d'un nid de coucou" ou de "Shock Corridor" est balayé !! Lecter ce drogue t'il ? Car il ce retrouve souvent seul et comme la came isole de force.... o k! je sors !

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  2. Non non, reste ! Elle est très bonne ! "Shock Corridor", en voilà de bon film, qui en préfigure beaucoup.

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