John Kennedy Toole |
Ce livre a été élevé au rang de
roman culte, tant par son contenu, que par la tragique histoire de son auteur.
John Kennedy Toole, est né en 1937 à la Nouvelle Orléans. Il se pique très tôt
de littérature, écrit LA BIBLE AU NEON dès l’âge de 16 ans. Il expédie le
manuscrit partout, mais aucun éditeur ne le sélectionne. En 1961, il est enrôlé
sous les drapeaux, et en profite pour écrire son second livre LA CONJURATION
DES IMBÉCILES. Deux ans plus tard, il revient vivre chez ses parents, enseigne
dans un collège, et tente une nouvelle fois de se faire publier. En vain. Considérant
LA CONJURATION comme son chef d’œuvre, Toole est écœuré, sombre dans la dépression.
Il comprend qu’il restera un écrivain de l’ombre, un raté, et se suicide en
1969.
Sa mère tente une autre
approche. En 1976, elle contacte Walker Percy, professeur d’université et
écrivain, à qui elle soumet le manuscrit de son fils. Percy, d’abord réticent
(on lui fait ce genre de demande régulièrement) accepte de lire le bouquin, et
en tombe de sa chaise. LA CONJURATION DES IMBÉCILES sera édité en 1980, obtiendra
un grand succès, et son auteur JK Toole sera lauréat du prix Pulitzer à titre
posthume. LA BIBLE ET LE NEON sera édité ensuite, adapté au cinéma, et
sélectionné à Cannes en 1995.
Tableau de Juanjo Guarnido |
Ce gros benêt de 30 ans, qui
vit avec sa mère, c’est Ignatius Reilly. Quel personnage ! Un Don
Quichotte lancé dans une guerre « pour le bon goût, la décence et la géométrie ».
Il est en révolte contre tout (mais vraiment tout), seule sa personne est digne
d’intérêt, tout le reste n’est que vacuité, grossièreté, et doit être combattu.
Il se plaint, hurle, vocifère à longueur de temps, contre la société, les
communisses, les homosexuels, les drogués, les protestants, les flics, les
patrons, les employés exploités, la sexualité… Ignatius Reilly est un Gargantua
croisé de Falstaff et d’Oliver Hardy, qui se goinfre à longueur de journée,
entre deux bains et une branlette, quand son anneau pylorique le lui permet.
Car le baromètre émotionnel d’Ignatius, c’est sa valve pylorique, qui se
referme à la moindre contrariété.
Statue d'Ignatius, Canal Street, N.O. |
La cohabitation avec sa vieille
môman, Irène, qui titille la boutanche, vire aux disputes incessantes. Elle convainc
son fils de trouver un travail pour subvenir au besoin de la famille. Ignatius atterrit
aux Pantalons Lévy, et entreprend de redéfinir les relations sociales dans l’entreprise :
sabotages, grève, révolution, qui vont conduire à la ruine de l’usine ! Où
l’on fait la connaissance de Miss Trixie, une vielle sourde comme un pot que
personne n’ose mettre à la retraite, du proprio Gus Levy et de sa femme
casse-couilles sans cesse attelée à sa planche de sport, et qui comme cadeau de
Noël à ses filles leurs soumet une liste de griefs à reprocher à leur père !
On suit en parallèle le pauvre
agent Mancuso, sommé par son sadique sergent de faire des arrestations, l’obligeant
à se déguiser pour surprendre les dealers, travelos, ou les agents troubles !
Mancuso qui a une tante, Santa, qui devient copine de bowling d’Irène Reilly. Ce
qui met le fiston en rage, surtout quand la tata entreprend de brancher Robichaux
avec Irène. Ignatius entretient une relation épistolaire avec Myrna Minkfoff,
activiste féministe, adepte du sexe libre. Ignatius écrit beaucoup, sur de grands cahiers, son journal, ou ses programmes politiques, dont il change souvent. Il sera aussi vendeur de
saucisses de rue, trimbalant sa charrette, déguisé en pirate, et consommant bien sûr gratos ce
qu’il transporte.
au théâtre, Boston 2015 |
Et bien sûr, ce roman est
drôle. C’est ça le truc ! Entre les injures que se lancent les époux Lévy, la vieille Trixie qui s'endort n'importe où, Jones embauché aux Folles Nuits pour balayer, les yeux derrière des lunettes si noires qu'il ne voit pas la poussière, Darlène qui tente de se faire déssaper par son volatile... Les caractères, les situations, les dialogues, c’est
un véritable festival ininterrompu de vociférations, de tirades élevant la mauvaise
foi au rang de beaux-arts. Ignatius est proprement insupportable, névrosé, mythomane,
égocentrique, soupe au lait, suffisant, prétentieux. Personne ne trouve grâce à
ses yeux. D’un truc insignifiant il fait des tragédies antiques ! Alors
oui, le procédé s’enlise un peu, parfois, les effets de styles peuvent se faire
redondants (c’est aussi cette accumulation qui fait l’énormité du livre), mais
lorsque que les différentes intrigues repartent, on court vers un dénouement en
apothéose, et un final où Toole renverse toute la vapeur, faisant émerger in
extremis l’humanité latente de son personnage.
Autre force du roman, malgré
toutes les horreurs débitées à longueur de pages sur les Noirs, les Homos, les
femmes, les prises de position radicales, ce roman ne sombre jamais dans la méchanceté,
l’intolérance, le racisme. Farouchement libertaire, ou totalement réac,
difficile de se prononcer, mais terriblement drôle, affûté et jubilatoire,
certainement. JK Toole choisit le burlesque pour peindre ce concentré d'humanité, sa comédie humaine, là
où un Hubert Selby Jr choisissait le réalisme cru, ou LF Céline la noirceur
nihiliste.
Format Poche, 448 pages
un livre qui m'a profondément marqué, lu à sa sortie au début des années 80, le livre le plus frappé que j'ai lu sans doute, je l'ai fait lire à pas mal de monde autour de moi; certains n'ont pas accroché mais ceux qui sont allé au bout n' en sont pas ressortis indemnes..
RépondreSupprimerJe l'avais lu aussi y'a une vingtaine d'années, j'avoue qu'à part le personnage d'Ignatius et ses déboires gastriques (son "anneau pylorique" qui se referme !) j'avais occulté l'intrigue. Et puis il m'est retombé entre les mains avant les vacances... C'est vrai que certains n'accrochent pas, ses élucubrations peuvent lasser. On a parlé d'une adaptation au cinéma, c'était y'a un an ou deux, depuis rien... Pas simple de retranscrire ce style sur un écran (surtout américain) c'est pas du genre politiquement correct...
RépondreSupprimerLu il y assez longtemps aussi. Pas plus marqué que ça par cette lecture.
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