Eric Satie Un Musicien en Décalage
Sachant que Claude n’est pas
un amateur inconditionnel de ce compositeur, je lui consacre
une chronique qui, j’espère, sera dans le style de notre ancien qui a la
verve, le phrasé et toujours le mot juste dans les analyses des œuvres
qu’il commente.
En plus de Hector Berlioz, j’ai toujours aimé Eric Satie avec son image de Topaze de Marcel Pagnol
comme on pourrait se
l’imaginer, le vieux maître d’école d’une époque révolue avec son faux col
et ses lorgnons. Eric Satie
et son humour mordant et les titres de ses œuvres complètement
décalés.
«Je suis venue au monde très jeune dans un temps très vieux». Voici comment Eric Satie citait ironiquement une époque qu’il ne semblait guère apprécier.
Eric Satie est né en 1866 d’une mère écossaise et d’un père courtier maritime à
Honfleur, ville qui verra beaucoup de célébrités voir le jour,
comme l’écrivain humoriste Alphonse Allais. Il recevra ses premières leçons de musique auprès de l’organiste de
l’église d’Honfleur, un ancien élève de l’école
Niedermeyer. la famille Satie montera
sur Paris en 1870 ou son père avait obtenu une place de traducteur
dans une compagnie d’assurance avant de devenir papetier, puis, plus tard,
éditeur de musique. Il a le malheur de perdre sa mère à l’âge de sept ans,
il retournera avec son frère à Honfleur chez ses grands parents pendant
six ans jusqu’à la mort
de sa grand-mère. Il retourne sur Paris chez son père. Entre temps son
père s’était remarié et sa belle mère
Eugénie Barnetche (Qui écrira une bluette pour piano sans
prétention : «Soie Bénie» romance sans parole pour piano seul opus 64), professeur de
piano, qui lui enseigne les bases de l’instrument. Mais ce dernier
n’accepte pas le coté rigide de la musique et de son enseignement. Il va
tout de même intégrer à l’âge de 13 ans le
Conservatoire de Paris,
il n’y est pas un élève brillant et il sera renvoyé trois ans plus tard en
1882 pour cause d’absentéisme. Il sera réadmis trois ans plus tard
et c'est à cette période qu’il va composer sa première œuvre :
Allegro.
Mais comme le destin
ne joue pas pas en sa
faveur, il n’obtiendra aucun diplôme. Il s’engage volontairement dans
l’armée mais il constate rapidement que le milieu militaire n’est pas pour
lui, il cherche à se faire réformer en s’exposant la poitrine nue en
pleine hiver et il en contractera une maladie pulmonaire.
«L’air de Paris est si mauvais que je le fais toujours
bouillir avant de respirer»
C.Debussy et E.Satie |
De retour à Paris, il retrouve son père devenue éditeur de musique qui
publie ses premières mélodies. En 1887, il quitte le domicile
familial et s’installe à Montmartre. Il commence à fréquenter le
Chat Noir dont il deviendra le pianiste
régulier et tiendra même la baguette de l’orchestre du cabaret. Il côtoie
Mallarmé,
Verlaine et il fait la connaissance de
Claude Debussy. Il compose en
1888 ses trois «Gymnopédies» (Les gymnopédies étaient des festivités religieuses à l’époque de
Sparte) qui seront orchestrées par
Claude Debussy. Les deux amis vont
s’engager dans l’ordre «Kabbalistique
de la Rose-Croix» où il composera
quelques œuvres pour cette
"secte". Deux ans plus
tard, il compose les six «Gnossiennes», un mot inventé par
Eric Satie, même si certains prétendent que l’étymologie du mot viendrait du
Crétois «knossos» ou «gnossus». Les «Gymnopédies» et les «Gnossiennes» resteront ses œuvres les plus populaires.
Il connaît en
1893 une courte et intense relation avec
Suzanne Valadon l’égérie de
Toulouse-Lautrec et d’Auguste Renoir, il lui propose le mariage au matin de leur première nuit. Il compose
pour elle les «Danses Gothiques» et elle, de son coté, peint son portrait. Une relation qui ne durera
que cinq mois et qui brisera
Eric Satie. Il va fonder sa propre église ou il écrira une «Messe des pauvres» pour orgue et chœur, mais en étant à la fois le président, le
trésorier, le grand-prêtre et surtout le seul fidèle, encore un projet
sans
lendemain. Il va
composer «Vexation» construit sur une mélodie courte de 1 minute 04 répétée 840 fois.
Jouée dans son intégralité, il faut 20 heures. La même année, il fait
connaissance de Maurice Ravel et remis
de sa séparation avec la Valadon,
ses partitions s’enrichissent d’indications «personnalisés»
qui surprennent par leur poésie,
leur fantaisie et leur ironie. Il va hériter d’un somme d’argent qui lui
permet de faire imprimer
quelques œuvres et de changer sa garde robe. Il fera faire un complet de velours
couleurs moutarde en sept exemplaires identiques qu’il portera sept ans
durant. Pour des raisons économiques, mais aussi pour se rapprocher d’un
public populaire, il déménage en banlieue à Arcueil-Cachan.
Il fera, quelques années plus tard, son apprentissage politique en
s’inscrivant au Parti Radical Socialiste, puis, après la mort de
Jean Jaurès, il adhère à la S.F.I.O (Devenue en 1969 le Parti Socialiste) pour ensuite s’inscrire au Parti Communiste. Il donnera dans le
social en veillant aux loisirs et en donnant des cours de solfège aux
enfants défavorisés.
Ce siècle avait trois ans, comme aurait pu le dire
Victor Hugo (Je sais, c’est deux ans pas
trois !), il compose «Trois morceaux
en forme de poire». Changement de look aussi en prenant l’apparence d'un
petit fonctionnaire :
chapeau melon, faux col et parapluie. A 40 ans il décide de tout
reprendre à zéro, il reprend ses études jugeant sa formation musicale
trop limitée. Il s’inscrit à la Schola Cantorum de
Vincent d’Indy pour étudier avec
Albert Roussel l’art du
contrepoint.
Trois ans plus tard il
décrochera un diplôme (Le seul qu’il aura obtenu) avec la mention
«Très bien».
Maurice Ravel
le représente comme le précurseur de la nouvelle musique. Il trouve
enfin des éditeurs et des interprètes pour ses œuvres de jeunesses mais
aussi pour ses nouvelles compositions comme «Quatre Préludes flasques (Pour un Chien)», «Embryons Desséchés», «Sports et Divertissements». La guerre va interrompre cette époque fructueuse jusqu’à un jour de
1916 ou Jean Cocteau l’entraine
dans la composition d’un ballet «Parade» qui sera donné au Châtelet par les Ballets Russes de
Diaghilev avec des décors et des
costumes de Picasso. (Claude nous a
souvent parle de ces ballets
qui
réunissait le gratin de la modernité musicale, picturale et chorégraphique
au début du XXème siècle :
«Le Sacre du printemps» de Stravinski,
«Daphnis et Chloé» de
Ravel
«Prélude
à l'après midi d'un
faune» et
«Jeux» de
Debussy (fin juillet
-
voir
Index classique
pour les détails de cette aventures des
Ballets
russes)
Comme pour le
Sacre, la première fut une véritable «Bataille d’Hernani», avec l'habituelle hostilité et incompréhension du public. A une
critique rageuse,
Satie répliquera «Vous n’êtes qu’un cul, mais un cul sans
musique» ce qui lui coûtera huit jours de prison. Sa réputation recevra le
soutien des nouvelles générations comme le fameux Groupe des Six. Même
s'il était considéré
comme un fumiste et un excentrique, les musiciens comme
Debussy,
Ravel et
Stravinsky reconnaissent son influence,
ben oui, les mêmes.
Il composera un drame symphonique «Socrate» d’après les dialogues de Platon
s’en suivra deux autres ballets «Mercure» avec Picasso et «Relâche» avec Picabia.
Il meurt à 59 ans le 1 juillet 1925
à l’hôpital. Ses amis après sa mort découvriront l'inextricable taudis où il avait vécu
et où il interdisait
l’accès à quiconque. Dans le fatras de sa vie, il restait deux pianos,
de la correspondance non ouverte, une collection de faux-cols et de
parapluies et dans une armoire, les sempiternels costumes de velours
gris qu’il portait toujours. Mais aussi ses manuscrits soigneusement
calligraphiés.
XXXXX |
Claude m'a envoyé un mail pour me faire penser de citer Daniel Varsano, fauché très jeune par le SIDA, et qui nous a légués un très bel album single de pièces diverses.
Quelques illustrations sonores :
Les «Gymnopédies» et les «Gnossiennes» par
Aldo Ciccolini. Parade par
Igor Markevitch. Enfin,
un petit jeu pour finir, écoutez
le titre «La
belle excentrique» et à quelle émission télévisée il servit de générique.
belle recherche complète! je connaissais très mal cet homme, merci Pat slade !!phil
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