- Tiens, de nouveau un
livre de Stephen King M'sieur Claude ! Polar ? Fantastique ? Horreur ?
- Polar pur et dur ma
chère Sonia. Enfin avec tout ce que peut réserver comme originalité l'auteur américain.
Rien à voir avec l'inspecteur Derrick…
- Vous aviez déjà parlé de
cet auteur à propos de deux livres : Docteur Sleep et Mr Mercedes…
- Vous faites bien de
parler de Mr Mercedes puisque l'on retrouve Bill Hodges de nouveau en enquête…
- Ah, c'est une suite
alors ? Le taré absolu de serial killer du premier thriller reprend du service
après avoir plongé dans le coma…
- Non, juste les mêmes
lieux et le retraité inspecteur Hodges qui retrouve sa bande
d'amis et complices… Mais un synopsis tout à fait original…
L'un des carnets noirs en moleskine |
1987 : Misery
: sans fantôme ni monstre. King
livre l'écrivain Paul Sheldon à
l'une de ses fans : Annie,
une infirmière psychopathe. Paul, un
peu beurré, se crashe un soir en voiture alors qu'il emporte chez son éditeur
l'ultime manuscrit d'une série de romans à l'eau de rose mettant en scène Misery,
une midinette un peu sotte. Résultat : deux jambes brisées rafistolées par Annie, une
admiratrice qui l'a secouru, mais qui s'aperçoit que Paul fait mourir son héroïne dans cet ultime opus. Paul souhaitait passer à des projets plus ambitieux.
Séquestré dans des conditions concentrationnaires, Paul doit réécrire son texte pour satisfaire Annie rendue folle de rage par le sacrifice de Misery qu'elle idolâtre. Excellente adaptation au cinéma avec le duo James Caan vs Kathy
Bates (qui recevra un oscar de la meilleure actrice pour sa
performance).
Stephen king à l'âge du jeune Peter Saubers |
Moralité : il est bien
difficile à un auteur de condamner à mort son double ou son personnage. Il en
devient l'otage.
2001 : une nouvelle : Vue imprenable sur jardin secret : Morton Rainey, écrivain dépressif en
crise identitaire, se voit accusé de plagiat par John Shooter, un fermier prétendu auteur d'une nouvelle qui aurait été pompée par Morton… Qui
est qui ? Interrogation sur le dédoublement de personnalité, grand écart entre la folie et le fantomatique.
Un récit un peu mince et une adaptation ciné, Fenêtre
secrète, sympa mais un peu étirée, sauvée par l'affrontement de
deux talents : Johnny Depp et John Turturro.
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2016 : Carnets noirs. Stephen King
remet au goût du jour dans la construction de son roman un concept qui lui est
cher : des récits distincts à des époques éloignées qui, par le truchement
des péripéties, convergent vers une trame unique. Dans Ça, il y avait trois
époques si ma mémoire ne me trahit pas.
1978 : John Rothstein, écrivain octogénaire, taciturne
vaguement ermite, coule sa retraite depuis vingt ans dans une bicoque paumée du New
Hampshire. Pendant toutes ces années, il a laissé ses lecteurs orphelins de Johnny Gold,
son personnage favori qui a fait sa fortune. Pourtant pour nourrir son jardin
secret de petit vieux, il a noirci plus d'une centaine de carnets manuscrits des
suites des aventures de Johnny Gold. John Rothstein avait déjà publié vingt ans auparavant une première trilogie sur les pérégrinations de cet ado en rupture de ban…
Morris Bellamy, 25 ans, un aficionado
compulsif, n'a jamais pardonné la mise au rencart du jeune héros qui a nourri ses lectures
de jeunesse. Il se doute que la saga a continué et déboule avec deux crétins
chez Rothstein pour voler les
carnets. Tabassé, l'écrivain lâche le code du coffre ! Butin : les
carnets et une fortune en dollars. Ça chauffe, Rothstein finit avec un pruneau dans le crâne ! Bellamy élimine ses comparses, puis retrouve
Andy, un bouquiniste receleur peu
pressé de marchander les inédits suite au meurtre. Dépité, Bellamy
se saoule la gueule mais, ne tenant pas l'alcool, il se réveille au ballon, en
combinaison orange de taulard, ne sachant plus trop pourquoi. Pas de bol, police
et justice, elles, le savent, et lui collent perpette et même pas pour le meurtre de Rothstein. Bellamy est un cumulard… les carnets et le fric ?
Ils font dodo dans une malle que Bellamy
avait enterrée dans son jardin avant sa cuite…
2010 : Chez les Saubers qui habitent dans ce qui fût le
repère de Bellamy trente cinq ans avant rien ne va ! Tom et Linda, les parents, se chamaillent à longueur de journée,
exaspérant le fiston Pete âgé d'une douzaine d'années et sa petite sœur Tina. Tom est au chômage. On compte les cents. Une nuit, il se rend à une
bourse pour l'emploi faire le pied de grue sur un trottoir gelé. Un pote
l'accompagne. Une femme au bout du rouleau attend avec son bébé. Effets de la récession.
Une Mercedes haut de gamme lancée comme une furie écrabouille la file
d'attente, tue la mère, le bébé, le pote et d'autres malheureux. Tom s'en sort vivant mais les jambes salement
brisées. (Clic : voir Mr Mercedes)
Pour
Tom : deux années d'hosto et de rééducation et, très rapidement, de nouveau les récriminations de Linda et les querelles de couple… Pete en a des acouphènes et, tout en
étant un petit gars sérieux, il s'évade pour s'aérer la caboche aux alentours de la maison.
Bizarre cet arbre, bizarre la terre ici, bizarre cette malle découverte incidemment
! Pete ne sait pas quoi faire des
carnets saturés de pattes de mouche, mais l'argent, si, il va savoir quoi en
faire… Des courriers anonymes vont améliorer l'ordinaire des Saubers jusqu'en 2014. D'esprit
littéraire, il va s'intéresser aux carnets et, internet aidant, en découvrir
leur valeur. Son imagination s'emballe, payer la fac pour lui et Tina, à savoir refourguer
le patrimoine. Oui pourquoi pas ? Mais le produit d'un vol avec meurtre, ce n'est pas facile à caser…
2014
: Morris Bellamy sort du pénitencier
à 59 ans. Presque 40 ans à y croupir. Une obsession intacte : sa malle, son pognon, la suite des aventures
de Johnny Gold. Aucune année
en enfer carcéral n'a atténué sa rage.
Et
voici de nouveau Bill Hodges, inspecteur à la
retraite mais enquêtant encore en free-lance. Hodges
est de retour avec ses amis : Holly, Jerome et Barbara, délicieuse petite sœur black de Jerome, devenue la copine de Tina.
Le monde est petit dans l'univers de Stephen King. Résumons :
Bellamy dépouillé mais libre, Pete bien jeune pour
côtoyer les trafiquants, et Tina qui déboule chez Hodges en larmes parce qu'elle pense que son frère est un voleur ;
un bon samaritain certes, mais un voleur quand même. Les pièces de l'échiquier diabolique
du romancier sont en place… Stop !
On
pourra dire que j'ai bien éventé l'intrigue. Pas faux, mais Stephen King fait de même. Quand un
personnage meurt, on sait de la main de qui, Stephen King ne brouille pas les pistes. Il détourne notre imaginaire des
spéculations policières pour nous inviter à partager en live les folies douces ou cruelles des
protagonistes. Le voilà de nouveau anthropologue d'un récit cartoonesque. Il s'intéresse à deux choses. En premier le pittoresque des péripéties parfois farfelues qui
ne surprennent guère en tant qu’éléments narratifs. Et deuxièmement, contrairement à un Harlen Coben, l'auteur se refuse aux stéréotypes
psychologiques. Morris Bellamy est-il
un monstre, le serial-killer pervers au QI stratosphérique ou un connard bête et méchant cumulant les
âneries ? Pete a bon cœur, on n'en
doute pas, mais ses maladresses et son innocence dans cette histoire de trafic
de manuscrits maudits font sourire. Au centre du drame criminel : des carnets de littérature à deux balles, pas géniaux mais mythiques, qui attisent les convoitises de collectionneurs potentiels un peu infantiles et des fans inconditionnels jusqu'à la bêtise.
Stephen King prend son temps, n'abuse jamais de
violence sordide, préfère développer son aventure avec humour noir, par petites touches. Un
livre moins dense que Mr Mercedes, le rythme est posée, la
rédaction fluide et sans digression confuse, la "lutte finale" commence assez
tard, mais en résumé : un chouette polar quand même…
Albin Michel - 432 pages
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