- Cool M'sieur Claude, un peu de réjouissance avec deux symphonies de
Mozart. Enfin je suppose…
- Oui Sonia,
la symphonie
n°29
a été
composée pendant la période la plus heureuse de la vie de Mozart, la
période Salzbourgeoise, Mozart
a 18 ans
environ… La n°31, à Pari,s par un jeune homme de 22 ans.
- Ce ne sont donc des œuvres ni de franche jeunesse ni de la période plus
sombre de la maturité ?
- Exact, mais pas des œuvrettes non plus, la 29ème a même été
surnommée de manière posthume "la Jupiter de Salzbourg", un sous-titre
passé de mode…
- En 2012, Karl Böhm partageait la vedette avec John Eliot Gardiner dans
l'article consacré au célèbre Requiem, vous parliez d'un homme peu
sympathique…
- Un peu lapidaire de ma part ! Karl Böhm était certes un chef à
l'ancienne, autoritaire et exigeant, mais pour jouer aussi bien Mozart, il
faut quand même avoir une âme…
Karl Böhm (1894-1982) |
Comment
Mozart
pouvait-il écrire une musique aussi facile d'écoute sans jamais tomber dans
la facilité de l'écriture ? Un mystère et un danger… Oui un danger pour les
interprètes qui eux, dans tous les types d'ouvrage de Wolfgang, peuvent
ennuyer les mélomanes avec des interprétations atones, superficielles ou,
inversement, empreintes d'une lourdeur germanique hors sujet.
Mozart
ne pose guère de problèmes techniques majeurs à l'inverse d'un
Chopin
pour le piano ou d'un
Chostakovitch
pour l'orchestre. Par contre, toute la magie et la vitalité, voire la
poésie, émergera de l'intelligence de l'interprète, d'une osmose entre sa pensée et l'âme du compositeur.
Karl Böhm
était de ceux-là. Il est intéressant de constater que la musique de
Mozart
est restée peu sensible à la révolution des interprétations sur instruments
anciens, une musique qui a donc su atteindre l'universalité…
Si les travaux des baroqueux ont permis d'apporter un regard neuf sur un
style d'essence "classique", un allégement des orchestres et des tempos plus
enjoués, les "grands anciens" placés aux commandes d'orchestre symphoniques
modernes résistent bien au temps, et de
citer :
Josef Krips
(Clic),
Bruno Walter,
Neville Marriner
et même le
commandeur Otto Klemperer
avec des lectures au scalpel soulignant une modernité qui annonce le
romantique
Beethoven première manière.
Sur instrumentation d'époque, nous avions écouté la
symphonie N°28
dirigée par Christopher Hogwood
auteur d'une remarquable intégrale
(Clic). Dans tous les styles, les réussites ne manquent pas. Et
puis, nous trouvons les maestros qui ont su intégrer les acquis modernes et
traditionnels comme
Nikolaus Harnoncourt (Clic).
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Mozart vers 20 ans XXXXX |
Karl Böhm
était né à Graz en 1894. Après
des études brillantes sanctionnées par un doctorat en droit, c'est pourtant
vers la direction d'orchestre que le jeune homme va se tourner. Il commence
jeune sa carrière à l'opéra de Bavière en
1921. D'ailleurs
Karl Böhm
sera un homme de théâtre, dirigeant avec bonheur
Wagner,
Mozart,
Berg
et bien entendu
Richard Strauss ; il deviendra directeur de l'opéra de Vienne en
1943, une consécration…
1943
: Le début de la chute du nazisme et l'éternelle question de l'attitude des
intellectuels et artistes autrichiens en ces temps maudits. Les sympathies
pour les thèses nationalistes exacerbées par l'imbécile traité de Versailles
ont séduit
Böhm, cela ne fait aucun doute. Par contre, il n'a jamais adhéré au parti nazi
a contrario de
Karajan. Si l'anschluss lui est apparu comme une union culturelle salutaire,
Böhm
ne partageait pas l'idéologie raciale et antisémite du régime. Il ne sera
pas inquiété à la libération. Il créera en
1935 et dirigera trois fois, à
la grande fureur de
Goebbels et de
Hitler, "la femme silencieuse" de
Richard Strauss, opéra qui sera interdit,
Stefan Zweig, juif, en étant le
librettiste.
Karl Böhm
représentait à merveille cette génération de chefs autoritaires, exigeants
avec eux-même
et avec ses musiciens. Il existe des vidéos de répétition où le bonhomme
vitupère d'un ton cassant, mais dans lesquelles on voit la musique se
construire, s'organiser gracieusement note par note, mesure par
mesure.
Le répertoire du maître se concentrait sur les époques classique,
romantique et les opéras de son temps. Il connaissait des centaines de
partition de mémoire et a laissé un
legs discographique faramineux et de qualité superlative.
L'homme était courageux. Je me rappelle d'un concert avec la
8ème de Bruckner
(une de ses spécialités) et l'orchestre de Paris qui commençait à aborder ce répertoire dans les années 70.
Böhm
déjà octogénaire avait fait distribuer à l'entrée un billet pour s'excuser
de diriger assis car il s'était blessé un genou. 1H25 à 80 ans ! Il a
terminé debout un concert d'anthologie le visage rayonnant de bonheur. Donc,
oui, Böhm
savait sourire… Indispensable pour diriger
Mozart.
Dans les années 60,
Karl Böhm
entreprend d'enregistrer l'intégrale des
symphonies de Mozart
pour Dgg et en stéréo. Une première pour les 41 œuvres numérotées plus une
dizaine de symphonies posthumes. Même si on ressent encore l'héritage
romantique dans la direction et une couleur assez sombre due
à l'effectif étoffé de la
Philharmonie de Berlin, il souffle une ardeur et un lyrisme dans cette réalisation qui justifie
son maintien au catalogue. À la fin de sa vie,
Böhm
enregistrera à Vienne quelques symphonies avec un style plus épuré.
Hédoniste comme
Karajan
? Non ! Extravagant comme
Bernstein
? Non ! Ronchon ? Sans doute mais avec malice et discernement…
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Mozart, sa sœur Nannerl et son père Leopold à Salzbourg |
Plusieurs chroniques ont déjà été consacrées aux symphonies de
Mozart
(28, 36, 40, 41). Je rappelle quelques principes de composition chez
Mozart
: une petite harmonie à géométrie variable, l'usage quasi systématique de
tonalité en mode majeur bien en accord avec le caractère enjoué du
compositeur, et une forme très souvent classique en 4 mouvements : 2
mouvements vifs en introduction et en conclusion, un andante en seconde
position et un menuet qui préfigure les scherzos du romantisme. Pour me
faire mentir, la symphonie N° 31 ne comprend pas de menuet.
La
symphonie n°29
de 1774 ne met en jeu que deux
cors, deux hautbois et les cordes. À l'opposé, la
n°31
de 1778 joue les grandes : 2
flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes (qui viennent d'être inventées), 2
bassons, 2 trompettes, 2 cors, des cordes et des timbales. (Un
effectif beethovénien). En quatre années, que de hardiesses et d'expériences
nouvelles.
Deux orchestrations aussi opposées nécessitent une direction très
travaillée. Et
Karl Böhm
se révèle un as dans ce domaine en introduisant dans la première œuvre (29)
un climat de divertimento pour cordes (voulues peu nombreuses, étonnant en
ces années 60) laissant les quatre vents émailler de notes de couleur le
phrasé général. Certains trouveront le tempo lent. Normal,
Mozart
joue la carte de la poésie nocturne avec l'indication
allegro moderato. Le chef prend donc son temps, distille une tendre
rêverie mais avec un élégant dynamisme.
Mozart
et son interprète abandonnent la musique courtisane pour exprimer les
prémices du style plus intériorisé qui marquera les œuvres de la maturité.
C'est comme cela que
Karl Böhm
insuffle une pensée dans ce qui pourrait n'être qu'une musique de
divertissement. Du chant concertant des hautbois et des cordes dans
l'andante émane une frétillante sensualité… Magnifique…
On reproche parfois à
Karl Böhm
sa lenteur dans les menuets, possible, mais quelle légère alacrité quasi
chambriste. Même remarque pour l'allegro final qui n'est aucunement noté
vivace !
Paris vers 1778 |
La
31ème symphonie
fût écrite
par
Mozart
pendant son séjour à Paris en
1778. À l'évidence la
réputation de jeune génie l'avait précédé. L'ouvrage étant composé à
l'intention du comte
Karl Heinrich
Joseph von Sickingen,
ambassadeur, celui-ci mis les petits plats dans les grands en lui offrant un
orchestre imposant pour l'époque. Ce qui explique la liste d'instruments
caractéristique d'un grand orchestre classique énumérée avant.
Mozart, habitué aux harmonies frugales comme dans la
29ème
s'en donne à cœur joie…
La symphonie d'une durée modeste (20 minutes) est d'une construction
resserrée en trois mouvements, donc pas de menuet sans grand intérêt dans
cette partition concise et enjouée. Bien entendu une tonalité assez gaie :
ré majeur.
XXXXX |
On pourrait s'attendre à un discours germanisant avec
les
effectifs,
notamment les
vents, modernes et puissants de la
Philharmonie de Berlin. Et bien non, en grand mozartien,
Karl
Böhm
équilibre les sonorités, démasque chaque détail orchestral dans un climat
festif de divertissement. (N'est-ce pas le cas justement
?) Dans ces partitions mozartiennes, surtout celles
des ultimes
symphonies, le patron de l'orchestre de l'époque,
Herbert von Karajan, y mettait plus de fougue et révélait le côté altier d'un
Mozart
confortant sa maîtrise du style vigoureux et fébrile de la musique
orchestrale de l'époque classique en regard du baroque tardif. Un virage
définitif est le bon mot.
Karl
Böhm enlace les mélodies guillerettes de l'andante en laissant s'épanouir chaque
motif des bois et des cuivres. Poétique et séduisant. L'allegro final ne
subit pas un traitement de choc avec un tempo frénétique. Il n'en
est que plus élégant et facétieux.
Si l'intégrale
dont la jaquette illustre l'en-tête de cette chronique rebute avec ses 10 CD ou fait double
emploi pour les symphonies très
connues (40, 41),
l'album
à prix doux ci-contre existe
toujours avec en prime une fulgurante
symphonie N°25.
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Aie !!!! Les deux vidéos ont été supprimées par Youtube !! 😆 Karl
Böhm
a enregistré de nouveau à la fin de sa vie des symphonies de
Mozart avec l'orchestre Philharmonique de Vienne. Donc mise à jour :
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerHerr Professor Doktor BÖHM dans Mozart : choix souvent recommandé aux néophytes jusqu'au milieu des années 80, son intégrale chez DGG a connu de multiples rréditions... Je n'ai jamais aimé passionément, mais je n'ai jamais aimé passionnément Mozart non plus, surtout pas des ses symphonies ! Avec le recul, ça reste encore d'une écoute plutôt agréable, malgré un rien de raideur à mes oreilles. Dans ce répertoire, Pinnock fait tout-à-fait mon bonheur -en termes d'équilibre, de timbres, d'approche globale...-, et, dans des versions plus anciennes, j'ai tendance à préférer Karajan (Vienne/Decca ou Berlin/EMI) et, surtout Klemperer, qui apporte de la consistance verticale à des oeuvres qui me semblent en manquer quelque peu...
RépondreSupprimerMerci les amis,
RépondreSupprimerKlemperer et la rigueur, Karajan et un grain de folie un chouia romantique… Harnoncourt assagi à Amsterdam, et puisque je parle d'Amsterdam…
Josef Krips dans les symphonies 21 à 41 chez Philips, (sa mort ayant interrompu ce qui aurait pu être une intégrale). Dans le style "à l'ancienne", ces gravures restent mes favorites ne serait-ce que par la finesse du style et de la prise de son. (Voir article sur 40-41).
Pour les symphonies de jeunesse (y compris les hors K), j'ai un coffret par Neville Marriner très pimpant…
"dinosaure pompeux et lourd". Oui, il est du dernier chic chez nos commentateurs officiels de la presse spécialisée ou des tribunes comparatives de renvoyer Böhm dans la préhistoire. Cette querelle des "anciens et des modernes" me pompe l'air dans le sens où l'on privilégie à l'excès la forme sur le fond. Réécoutons ses opéra de Strauss, ses Beethoven de haute volée, ou encore Les Saisons de Haydn des années 60, je n'en jamais entendu une autre version plus vivante.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerUn peu de mal quand même avec les tempos de Bohm, même si je reconnais volontiers les qualités que vous exposez. J'ai une grande tendresse pour Krips, avec qui j'ai découvert les symphonies de Mozart (de même que celles de Beethoven d'ailleurs). Marriner est effectivement excellent, et les baroqueux insupportables de vacuité, et bien souvent de laideur. Je ne suis pas fan de Karajan dans Mozart mais je ne connais que ses enregistrements avec Berlin.
RépondreSupprimerBien amicalement
Jefopera
Merci Jefopéra pour ces remarques.
SupprimerMozart, comme Bach, cherchait à étendre sa palette orchestrale. C'est évident et je parle de son passage à Paris et de la composition de la symphonie 31 comme une aubaine, puisqu'on lui servi sur un plateau un orchestre avec l'effectif qui sera de mise chez Haydn dernière manière et Beethoven (article samedi sur la 1ère symphonie, c'est rare que je dévoile le programme à venir…)
Donc des orchestres baroqueux étiques ne font pas vraiment l'affaire, étrillent cette musique généreuse, je suis de votre avis.
Sur instrument d'époque, il y a une belle exception : Frans Brüggen avec son orchestre du XVIIIème siècle, étoffé, nous avait offert un Mozart truculent mais parfois survitaminé dans les années 90. Christopher Hogwood sortait également son épingle du jeu (voir article sur la symphonie 28).
De son côté, Harnoncourt avait fait le voyage au Concertgebouw d'Amsterdam (comme Krips) pour graver une dizaine des grandes symphonies dont le style fouillé me plaît (voir chronique sur la n°36 "Linz"). Le chef pourtant très baroqueux ne s'était pas trompé en pensant que les ensembles pour jouer Monteverdi ou Bach étaient inappropriés.
Bien amicalement
Claude