vendredi 1 juillet 2016

Hommage à MAURICE G. DANTEC (1959 - 2016) par Luc B.



Je vous avais parlé de son dernier livre, sans penser que ce serait effectivement… le dernier. Maurice G. Dantec, est décédé à 57 ans la semaine dernière. Une sacrée plume. Qui a commencé sur le tard en littérature, en dynamitant la vieille Série Noire. Avant cela il a tâté de la publicité, et de la musique avec son groupe de punk-rock Artefact. Il écrit aussi pour No one is innocnent.

Ses débuts comme écrivain il les fait sous l’égide de Gallimard et la fameuse Série Noire. Qui édite des volumes de 250 pages généralement. Avec LA SIRÈNE ROUGE (1993), il envoie le double de feuillets à son éditeur, qui rechigne, mais sort le bouquin. Qui tient du polar, de l’aventure, de la politique, à travers la cavale d’une gamine de 12 ans pourchassée par des tueurs dans toute l’Europe. Le héros s’appelle Hugo Cornélius Toorop, un vétéran de la guerre en Yougoslavie, qui croise le chemin de la gamine, et l’aide à retrouver son père. Un bouquin formidable, qu'on dévore, prenant, et laisse le lecteur sur les genoux. Un bouquin noir et violent, sur fond d’exploitation sexuelle et de snuff movie.
  
Mais c’est rien à côté de ce qui nous attend deux ans plus tard : LES RACINES DU MAL (1995) enfonce le clou, un pavé de 700 pages, le plus gros volume édité dans la Série Noire, et qui va dynamiter les frontières du genre. Enquête policière, serial killer à l'échelle industrielle, roman noir, anticipation, se mêlent le long d’un récit hallucinant, qui surfe sur la parano du passage à l’an 2000. Le héros s’appelle Arthur Darquandier, un cyber-flic, qui se trimbale avec sa neuromatrice (ordi connecté au cerveau, je crois, le concept m'avait quelque peu échappé à l'époque...). Dantec parsème ses pages de termes techniques, informatiques, bidons ou pas, peu importe. Son écriture et de plus en plus brutale, capable de se plonger dans le cerveau d’un schizophrène (les 100 premières pages sont hallucinantes) ou peindre de grandes scènes d'action.  LES RACINES DU MAL allie les grandes réflexions sur le monde, le futur, l’humanité, la technologie, au polar viscéral. On ne s'en remet pas facilement...

Le personnage Hugo Cornélius Toorop revient dans BABYLONE BABIES (1999), toujours pour Gallimard, mais réédité en Poche chez Folio SF. Car Dantec a quelques petits soucis avec ses éditeurs, dont il change souvent…  Le héros du livre doit escorter une femme enceinte de jumeaux génétiquement modifiés, pourchassée par une secte !  On est toujours bluffé par le talent narratif, les fulgurances d’écriture, mais Dantec commence à tartiner sa prose de références scientifico-mystiques un peu lourdingues, auxquels on ne comprend pas grand-chose. Malheureusement, cette dérive ne fera que se confirmer avec le temps, et les fans de l’auteur commencent à laisser tomber. Les deux livres avec Toorop sont adaptés au cinéma, et malheureusement ratés : le premier par Olivier Mégaton, (le mec de TAKEN et du TRANSPORTEUR, que pouvait-on en attendre ?) le second par Mathieu Kassovitz, dépossédé du projet par les studios américains qui produisaient).

A force de prévenir que le monde va droit au chaos, Dantec commence à y croire, et se tourne vers des idéologies légèrement nauséabondes. Il se rapproche de l’extrême droite, Renaud Camus, les identitaires, les adeptes de Grand Remplacement… L'Homme se révèle mystique, affirme ses racines chrétiennes, et dénonce un monde dominé par l'Islam. Et ben Momo, c'est quoi tes pilules ? Parce l’homme est adepte de tous ce que peut vous faire sauter les neurones… Une des raisons pour lesquelles les éditeurs s'en méfient, l’homme est instable, imprévisible, et s’enfonce dans un nihilisme extrémiste, là-bas, au Canada où il s’était exilé.

Il va abandonner le roman pour se consacrer à des essais géo politique, journaux de bord, MANUEL DE SURVIE EN TERRITOIRE ZERO, LE THÉÂTRE DES OPÉRATIONS 1 à partir de 2000. Il revient au roman en 2003 avec VILLA VORTEX (pas lu), COMME LE FANTÔME D'UN JAZZMAN DANS LA STATION MIR EN DÉROUTE (2009), pour une fois très court, toujours incroyablement ciselé. Dantec invente ses mots, ses expressions, son phrasé. Mais ne peut s’empêcher de partir dans ses divagations paranoïaques, qui plombent le récit. Son dernier livre, LES RÉSIDENTS [ clic vers l'article ] était annoncé comme un retour au polar. On y suivait trois histoires, qui allaient se fondre dans un final apocalyptique crypté et redondant auquel il était difficile de se raccrocher. C’est d’une violence inouïe, extrême (viol, pédophilie) qu’il m’arrivait de lire en diagonale pour éviter la nausée. Mais l’écriture était là, le style, toujours le style, Dantec triture les mots, joue du rythme, des syncopes, malaxe sa prose. Comme souvent, beaucoup de références musicales parsèment le récit, citations d'auteurs, de textes. Et puis patatras, il retombait dans ces démons, sa mayonnaise cyber-techno-politico machin, ça redevenait incompréhensible, et chiant.

Quel dommage, quel gâchis, quels regrets… Maurice G. Dantec  avait un talent fou. C’était un scénariste et un styliste, un raconteur d’histoire autant qu’un homme de réflexion. Mais qui s’est enfermé dans un personnage peu recommandable (le parallèle avec L F Céline est pour une fois justifié) s’enfonçant inexorablement dans ce qui n’était pas seulement une posture d’artiste pour choquer le bourgeois (on lui aurait pardonné), mais une détestation du Monde et de ses habitants.

A lire : LES RACINES DU MAL. Si vous tenez le coup, ça le vaut… le coup !   

4 commentaires:

  1. Les circonstance de sa mort n'ont pas donné lieu à de grands développements. Il y aurait sûrement vu du louche.

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  2. D'ailleurs, à part "crise cardiaque", on ne sait pas grand chose. Sur ses dernières photos, il est méconnaissable.

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  3. Vu sur le Net :
    " Maurice Dantec n'avait pas une santé de fer ces dernières années. Il avait en effet subi trois opérations chirurgicales (dont deux ratées), en 2011, suite à un choc septique, c'est-à-dire une diminution brutale de la circulation sanguine due à la présence de toxines bactériennes dans le sang. Il souffrait également d'un double pneumothorax. Maurice Dantec avait même passé une semaine en coma artificiel et avait subi divers actes chirurgicaux comme l'ablation d'un nodule au poumon, racontait L'Obs. "On me laissait entre une et deux heures de survie", aurait-il dit. Sa maladie avait été rendue publique car l'auteur accusait Ring, son éditeur d'alors, d'avoir profité de sa fragilité pour lui faire signer un contrat abusif.

    L'auteur affirmait qu'il était sous l'emprise d'"une quantité très importante de médicaments psychotropes et de médicaments morphiniques" au moment de la signature, le 2 août 2011. Il prenait en effet des médicaments suite à ses opérations mais également car il était bipolaire, rapporte France Culture. La demande de Maurice Dantec de faire interdire la parution de "Satellite sisters" n'a pas abouti et l'écrivain a été contraint à payer 1500 euros aux éditions Ring et 1000 euros au distributeur français. Un accord amiable avait finalement été trouvé en 2013 pour rompre le contrat qui unissait Maurice Dantec et les éditions Ring."

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