samedi 21 mai 2016

Richard WETZ – Symphonie N° 1 – Roland BADER – par Claude TOON



- Dite M'sieur Claude, je connaissais Richard Wagner et Richard Strauss mais pas du tout ce Richard Wetz ! Encore une trouvaille, un oublié ? Une injustice à réparer ?
- Tout à fait ma belle Sonia, Richard Wetz est allemand, deux générations environ après Wagner et plus ou moins contemporain de Strauss le bavarois…
- Tournant du XXème siècle alors. Maintenant que je tâte un peu mieux, quelle école ? polyrythmique ? ou un postromantique comme Strauss ou encore un moderniste atonale et sérialiste comme Schoenberg ?
?????!!!!!
- Waouh, C'est bien tout cela mon petit… Disons plutôt un postromantique influencé certainement par Bruckner et Liszt mais à l'inspiration moins sévère…
- Et comme toujours pour ces artistes qui n'ont pas su gérer leur marketing, les enregistrements ne se bousculent pas !
- Oui et non. Grâce à des labels inventifs comme CPO, on redonne vie à ces musiques ostracisées et dans des conditions d'écoute de bon aloi…

Richard Wetz (1875-1935)
Wagner meurt en 1883. Le pape du chromatisme a approché par cette technique une forme d'asymptote dans l'écriture musicale occidentale : les limites de la tonalité pure et dure. En cette fin du XIXème siècle, vont naître deux pépinières de compositeurs : les modernistes et les postromantiques. Les premiers vont bousculer le solfège et les règles de l'harmonie en usage depuis l'époque baroque : Bartók et Debussy nés respectivement en 1881 et 1862 (la gamme tonale), Stravinsky né en 1882 (La polyrythmie) et le plus radical, Arnold Schoenberg né en 1874 (le dodécaphonisme et le sérialisme). Des modes de composition qui vont influencer durablement la musique du XXème siècle. Autre école : les postromantiques, nourris des hardiesses de Wagner et de Bruckner, et de citer Richard Strauss (1864-1949) ou Gustav Mahler (1860-1911), ce dernier poussant l'inventivité tonale et la forme sonate dans ses derniers retranchements. Ces listes ne sont pas limitatives mais mettent en avant les principaux acteurs des turbulences artistiques à l'orée de l'ère moderne. De nombreuses chroniques consacrées à ces compositeurs avant-gardistes ou plus ou moins conservateurs ont été écrites pour le blog (Index). Par ailleurs, d'autres billets nous ont permis d'aller à la rencontre de personnalités postromantiques peu connues, de Atterberg à Melartin, ou de Langgaard à Sibelius

Richard Wetz appartient de plein droit à cette génération postromantique qui allie tradition et expressionnisme. Né en 1875 en Silésie dans une famille peu musicienne, il joue du piano en autodidacte et gribouille dès 8 ans des petites compositions. En 1897, il entre pour tout apprendre au conservatoire de Leipzig pour suivre un enseignement très complet auprès de Carl Reinecke, un pédagogue qui dirigea le Gewandhaus de 1860 à 1895 : 35 ans à la tête de cet orchestre de légende, ça situe le niveau du prof. Il se passionne pour les compositions de Bruckner et de Liszt et écrira des ouvrages de référence sur ces deux géants. Il enseigne à son tour et compose brillamment dans tous les genres, notamment trois symphonies qui outre Rhin sont jouées régulièrement. En France, ben c'est comme pour Ralph Vaughan Williams, on le découvre souvent par hasard sur Youtube ou en épluchant de près, voire de très près, la presse spécialisée quand un disque paraît. On compte également dans sa production un requiem et de la musique de chambre.
Richard Wetz meurt d'un cancer en 1935 (59 ans), dans cette Allemagne brune où l'on ne veut entendre en boucle que ce que l'on connait déjà par cœur : du Wagner, du Beethoven, du Bruckner… Surtout pas Mendelssohn, il était juif ! Certes, Richard Wetz était joué. Il partageait avec les courants nationalistes l'amertume de l'humiliation du traité de Versailles. Aurait-il joué un rôle dans la culture du IIIème Reich et la folie à venir ? A-t-il été relégué après la guerre pour ses sympathies avec un régime nazi débutant et qui n'avait pas encore complètement montré sa face démoniaque. Wetz a emporté ses secrets dans sa tombe.
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Roland Bader
Alors que les grands labels comme Dgg, EMI ou Decca ressassent jusqu'à la pléthore le grand répertoire traditionnel de Beethoven à Mozart en signant des contrats avec des stars classiques (certes de talents) pour assurer le chiffre, des labels moins connus comme CPO en Allemagne, Ondine en Scandinavie explorent des territoires musicaux oubliés souvent à tort. Or, les anglo-saxons sont friands de nouveautés. Par ailleurs CPO garantit la pérennité de son catalogue et les gravures consacrées à Richard Wetz datant du début des années 90 sont toujours disponibles. Nous avions découvert les symphonies de Atterberg, Cartellieri et Gouvy grâce à ce label… En France, nous avons aussi Harmonia Mundi ou α qui défendent la même politique éditoriale et innovante. Merci à eux…
Les philharmonies de Berlin et de Vienne ne sont pas clientes de ces labels, mais de très bons orchestres font partie de cette aventure risquée de redécouverte commencée en 1986. C'est le cas aujourd'hui de la Philharmonie Szymanowski de Cracovie. Un orchestre polonais de qualité qui a été dirigé par des maestros comme Witold Rowicki ou le compositeur Krzysztof Penderecki… Cet orchestre joue fréquemment de la musique contemporaine, souvent des créations. Cette particularité rend l'orchestre très adaptable et donc lui permet d'être un bon choix pour servir de tremplin aux musiques négligées depuis la fin de l'époque romantique.

Né en 1938, Roland Bader a étudié le piano, l'alto et la composition à Stuttgart. Mais c'est comme chef de chœur que cet artiste s'est fait connaître dans les années 70 et 80. Il a été chargé en autres de préparer les parties chorales d'oratorio, de messes ou de symphonies pour les concerts de la philharmonie de Berlin. Ceux des chefs invités comme Claudio Abbado, Seiji Ozawa, Eugen Jochum ou encore Georg Solti et autres pointures internationales… Il exercera la même fonction à la NDR de Hambourg.
C'est en 1985, que le maestro prend possession du pupitre et de la baguette pour une carrière orientée vers la musique symphonique. Il va rester fidèle à l'orchestre de Cracovie avec lequel il enregistrera très logiquement des oratorios comme La Création de Haydn. Plus surprenant : un disque dédié à la suite humoristique Silhouettes de comédie de Charles Koechlin. Quel Label ? Ben CPO !
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Hans Emil Hansen (Nuages)
XXX
Richard Wetz connaîtra une reconnaissance tardive en tant que compositeur. Après le manque de succès de ses deux opéras dans les années 1900, il doit se contenter d'un poste de chef à Erfurt. Comme Brahms, les formes accomplies mais difficiles que sont les symphonies et les quatuors semblent lui faire peur et ne verront le jour que la quarantaine venue. Sa première symphonie écrite en 1917, ne sera publiée qu'en 1924. Elle est cependant créée par Peter Raabe dès les dernières notes couchées sur la partition.
Le nom de Richard Wetz est souvent associé à un avatar de Bruckner sans le génie polyphonique du maître autrichien. Lors de la première écoute, on entend des réminiscences évidentes des gadgets musicaux de Bruckner comme les transitions abruptes, les rythmes en triolet, etc. Par ailleurs avec une durée d'une bonne heure, sa forme en quatre mouvement des plus classiques, on ne peut éviter le rapprochement avec les éditions courtes des symphonies 1, 3 et 6 de son mentor ou encore les symphonies 1 et 4 de Mahler que Wetz a entendues.
Les écoutes suivantes témoignent d'un compositeur qui a étudié chaque mesure des compositions de ses prédécesseurs, mais qui devient adepte d'une forme musicale pure, dénuée de la religiosité sévère ou du Naturlaut propres aux deux génies cités. Donc comme je l'avais écrit à propos de Erkki Melartin, nous n'entendons plus de musique "à la manière de" mais bien un flot musical très personnel.

1 - Ruhig bewegt - anfangs etwas gehalten (calmement, début retenu) : Une pulsation rythmée des cordes et des bois, très articulée, agrémentée d'arpèges des harpes, du chant des clarinettes et d'appels lointains de cors, nous enveloppe d'un calme ressac et introduit directement le leitmotiv élégiaque qui va habiter tout le premier mouvement. Une réexposition de ce long thème nous renvoie à la forme sonate. [2:04] Une brusque rupture de ton offre un second motif plus épique avec participation des timbales et des trombones. Enfin [3:15] une pause précède une troisième idée très développée aux flûtes et aux cordes…
La mer en automne
Bon nombre, moi le premier à mes débuts, lors d'une écoute en aveugle, auraient dit "Tiens, du Bruckner". On retrouve en effet des procédés contrapunctiques typiques du symphoniste de Linz : les sinuosités introductives aux cordes, les changements de climats abrupts, les silences et les thèmes longs et à la polyphonie généreuse. Bon Ok, mais chez Wetz, le discours prend des libertés nouvelles. On ne retrouve guère le mode d'écriture choral si cher à Bruckner l'organiste. Malgré sa durée de vingt minutes, le compositeur joue sur les changements incessants de lumière et de tempo. L'introduction du troisième thème est interrompue par un étrange motif hyper dissonant voire agressif. Le matériau sonore reste spécifiquement germanique mais fluide. Et de vous à moi, la construction me semble mieux organisée que dans certains poèmes symphoniques de Liszt, ceux qui ne sont pas du meilleur cru. Wetz ne se perd aucunement dans son architecture grandiose. Quel sens Wetz veut-il donner à sa symphonie ? Chacun se déterminera à l'écoute de cette symbiose entre des mélodies empreintes de lyrisme et des climax plus volcaniques. Mon choix des peintures de Hans Emil Hansen (alias Emil Nolde) est guidé par mes émotions, mes visons : des ciels granitiques, des couleurs franches… La coda, pourtant rageuse, échappe curieusement à tout pathos ! Roland Bader maîtrise parfaitement la direction de cette œuvre qui peut paraître chargée. À l'évidence, son expérience de chef de chœur l'a aidé à dissocier finement les diverses lignes mélodiques.

2 - Scherzo: Leicht bewegt, aber nicht zu schnell – [19:46] : le scherzo, avec son ostinato scandé aux cordes et son thème pastoral chanté au cor anglais puis au hautbois, se rapproche a priori du style brucknérien tel que l'on peut l'entendre dans la 7ème symphonie par exemple. Par contre, le ton se veut moins rugueux, nettement bonhomme, dansant et humoristique. Le staccato frénétique se voit illuminé d'interventions fugaces et joyeuses des bois et flûtes. Si le discours recourt à un certain systématisme mélodique, ce n'est pas du tout le cas de l'orchestration très fantaisiste et allègre.
Jardin fleuri
[24:08] Un appel de cor introduit un trio au tempo plus retenu. Le climat plus ambigu cherche l'alternance des phrases diaphanes et des motifs interrogatifs ténébreux, certains accords énigmatiques sonnant à la manière d'un orgue. L'écriture, relativement complexe, riche de chromatisme, nous baigne ici dans des sonorités plutôt wagnériennes. [28:36] Trompeur lors de la reprise, le scherzo rejette le principe quasi immuable chez Bruckner du da capo (reprise in extenso). Une série de variations endiablées nous mène à la coda de cette page volontaire et ardente. Roland Bader adopte une battue carrée et énergique et obtient une fois de plus une belle transparence de son orchestre polonais.

3 -  Sehr langsam und ausdrucksvoll – [30:58] : Nouvel écart par rapport aux formules éprouvées dans les ultimes symphonies de Bruckner, le mouvement lent est assez court. Des vagues hésitantes aux cordes accompagnent le premier solo de hautbois rejoint par les cors. Richard Wetz part en ballade. Plus romantique ? Difficile ! Une mélodie expressive se développe de pupitre en pupitre. Il règne dans le flot tranquille une tendresse d'une grande simplicité, sans pathos dramatique ni métaphysique. L'indication en allemand du tempo peut s'interpréter par "adagio avec expressivité". Roland Bader traduit totalement cette précision sur le tempo, laissant libre cours à une myriade de solos illuminant ce paysage musical. Et par la souplesse de sa direction se dégage une affectueuse émotion. On distingue peu de thèmes caractéristiques de la forme sonate au bénéfice d'une succession de leitmotive. À la pesanteur teutonne parfois de mise à l'époque postromantique, Wetz privilégie une légèreté astrale dans ce mouvement gracieux.

4 - Finale: Kraftig und entschieden bewegt – [43:36] : Le final s'écarte nettement des formes et modes brucknériens. On retrouve cependant la technique des citations des mouvements précédents, la présence de puissants chorals, le thème du mouvement introductif resurgira en apothéose au début de la coda. Le discours se veut rugueux, assurant un lien tragique avec le début de la symphonie, esprit dramatique initial auquel s'opposaient la gaieté du Scherzo et la tendresse du 3ème mouvement.
On ne peut nier une certaine confusion dans le déroulement des idées. Plusieurs écoutes sont nécessaires pour mémoriser cet assemblage très (trop ?) élaboré de passages tantôt furieux, tantôt élégiaques. Les ruptures de phrasés sont légions et apportent une touche dionysiaque à ce final. Richard Wetz se lâche : insérant une mélopée paradisiaque aux flûtes et harpes entre deux climax aux accents barbares. Toute l'originalité du compositeur se révèle dans ce final mystérieux et protéiforme, d'une vivifiante éloquence comparable aux audaces d'une 7ème symphonie de Mahler
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2 commentaires:

  1. Vu la réception des œuvres de Wagner, chez certains, à l'époque, j'aurais dit post-traumatique.

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  2. Ah Ah Excellente !!! :o)
    Il faudra que la case dans un article en citant mes sources bien entendu... Rendez à César ses boulettes (heu, non, ça c'est une pub pour les toutous)

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