- Dite M'sieur Claude, je connaissais Richard Wagner et Richard Strauss
mais pas du tout ce Richard Wetz ! Encore une trouvaille, un oublié ? Une
injustice à réparer ?
- Tout à fait ma belle Sonia, Richard Wetz est allemand, deux générations
environ après Wagner et plus ou moins contemporain de Strauss le
bavarois…
- Tournant du XXème siècle alors. Maintenant que je tâte un
peu mieux, quelle école ?
polyrythmique ? ou
un postromantique comme Strauss ou encore un moderniste
atonale et sérialiste comme Schoenberg ?
?????!!!!!
- Waouh, C'est bien tout cela mon petit… Disons plutôt un postromantique
influencé certainement par Bruckner et Liszt mais à l'inspiration moins
sévère…
- Et comme toujours pour ces artistes qui n'ont pas su gérer leur
marketing, les enregistrements ne se bousculent pas !
- Oui et non. Grâce à des labels inventifs comme CPO, on redonne vie à
ces musiques ostracisées
et dans des conditions d'écoute de bon aloi…
Richard Wetz (1875-1935) |
Wagner
meurt en 1883. Le pape du
chromatisme a approché par cette technique une forme d'asymptote dans
l'écriture musicale occidentale : les limites de la tonalité pure et dure.
En cette fin du XIXème siècle, vont naître deux pépinières de
compositeurs : les modernistes et les postromantiques. Les premiers vont
bousculer le solfège et les règles de l'harmonie en usage depuis l'époque
baroque :
Bartók
et
Debussy
nés respectivement en 1881 et
1862 (la gamme tonale),
Stravinsky
né en 1882 (La polyrythmie) et
le plus radical,
Arnold Schoenberg
né en 1874 (le dodécaphonisme
et le sérialisme). Des modes de composition qui vont influencer durablement
la musique du XXème siècle. Autre école : les postromantiques,
nourris des hardiesses de
Wagner
et de
Bruckner, et de citer Richard Strauss
(1864-1949) ou
Gustav
Mahler
(1860-1911), ce dernier
poussant l'inventivité tonale et la forme sonate dans ses derniers
retranchements. Ces listes
ne sont pas limitatives mais
mettent en avant les
principaux
acteurs des turbulences artistiques à l'orée de l'ère moderne. De nombreuses
chroniques consacrées à ces compositeurs avant-gardistes ou plus ou moins
conservateurs ont été écrites pour le blog
(Index). Par ailleurs, d'autres billets nous ont permis d'aller à la rencontre de
personnalités postromantiques
peu connues, de
Atterberg
à
Melartin, ou de
Langgaard
à
Sibelius…
Richard Wetz
appartient de plein droit à cette génération postromantique qui allie
tradition et
expressionnisme. Né en
1875 en Silésie dans une
famille peu musicienne, il joue du piano en autodidacte et gribouille dès 8
ans des petites compositions. En
1897, il entre pour tout
apprendre au conservatoire de Leipzig pour suivre un enseignement très
complet auprès de
Carl Reinecke, un pédagogue qui dirigea le
Gewandhaus
de 1860 à
1895 : 35 ans à la tête de cet
orchestre de légende, ça situe le niveau du prof. Il se passionne pour les
compositions de
Bruckner et de
Liszt et écrira des ouvrages de référence sur ces deux géants. Il enseigne à son
tour et compose brillamment dans tous les genres, notamment
trois symphonies
qui outre Rhin sont jouées régulièrement. En France, ben c'est comme pour
Ralph Vaughan Williams, on le découvre souvent par hasard sur Youtube ou en épluchant de près,
voire de très près, la presse spécialisée quand un disque paraît. On compte
également dans sa production un
requiem et de la musique de chambre.
Richard Wetz
meurt d'un cancer en 1935 (59
ans), dans cette Allemagne brune où l'on ne veut entendre en boucle que ce
que l'on connait déjà par cœur : du
Wagner, du
Beethoven, du
Bruckner… Surtout pas
Mendelssohn, il était juif ! Certes,
Richard Wetz
était joué. Il partageait
avec les courants nationalistes l'amertume de l'humiliation du traité de
Versailles. Aurait-il joué un rôle dans la culture du IIIème
Reich et la folie à venir ? A-t-il été relégué après la guerre pour ses
sympathies avec un régime
nazi débutant et qui n'avait pas encore complètement montré sa face
démoniaque.
Wetz
a emporté ses secrets dans sa tombe.
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Roland Bader |
Alors que les grands labels comme
Dgg,
EMI ou
Decca ressassent jusqu'à la
pléthore le grand répertoire
traditionnel de
Beethoven
à
Mozart
en signant des contrats avec des stars classiques (certes de talents) pour
assurer le chiffre, des labels moins connus comme
CPO en Allemagne,
Ondine en Scandinavie explorent
des territoires musicaux oubliés souvent à tort.
Or, les anglo-saxons sont
friands de nouveautés. Par ailleurs
CPO garantit la pérennité de
son catalogue et les gravures consacrées à
Richard Wetz
datant du début des années 90 sont toujours disponibles. Nous avions
découvert les symphonies de
Atterberg,
Cartellieri
et
Gouvy
grâce à ce label… En France, nous avons aussi
Harmonia Mundi ou α
qui défendent la même politique éditoriale et innovante. Merci à eux…
Les
philharmonies
de
Berlin
et de
Vienne
ne sont pas clientes de ces labels, mais de très bons orchestres
font partie de cette
aventure
risquée de redécouverte
commencée en 1986. C'est le cas aujourd'hui de la
Philharmonie Szymanowski
de
Cracovie. Un orchestre polonais de qualité qui a été dirigé par des maestros comme
Witold Rowicki
ou le compositeur
Krzysztof Penderecki… Cet orchestre joue fréquemment de la musique contemporaine, souvent des
créations. Cette
particularité rend l'orchestre très adaptable et donc lui permet d'être un
bon choix pour servir de tremplin
aux
musiques négligées depuis la fin de l'époque romantique.
Né en 1938,
Roland Bader
a étudié le piano, l'alto et la composition à Stuttgart. Mais c'est comme
chef de chœur que cet
artiste s'est fait connaître
dans les années 70 et 80. Il a été chargé en autres de préparer les parties
chorales d'oratorio, de messes ou de symphonies pour les concerts de la
philharmonie de Berlin. Ceux des chefs invités comme
Claudio Abbado,
Seiji Ozawa,
Eugen Jochum
ou encore
Georg Solti
et autres pointures internationales… Il exercera la même fonction à la
NDR de Hambourg.
C'est en 1985, que le maestro
prend possession du pupitre et de la baguette pour une carrière orientée
vers la musique symphonique. Il va rester fidèle à l'orchestre de Cracovie
avec lequel il enregistrera très logiquement des oratorios comme
La Création
de
Haydn. Plus surprenant : un disque dédié à la suite humoristique
Silhouettes de comédie
de
Charles Koechlin.
Quel Label ? Ben CPO
!
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Hans Emil Hansen (Nuages) XXX |
Le nom de Richard Wetz
est souvent associé à un avatar de
Bruckner
sans le génie polyphonique du maître autrichien. Lors de la première écoute,
on entend des réminiscences évidentes des gadgets musicaux de
Bruckner
comme les transitions abruptes, les rythmes en triolet, etc. Par ailleurs
avec une durée d'une bonne heure, sa forme en quatre mouvement des plus
classiques, on ne peut éviter le rapprochement avec les éditions courtes des
symphonies
1,
3
et
6
de son mentor ou encore les
symphonies 1
et
4
de
Mahler
que
Wetz
a entendues.
Les écoutes suivantes témoignent d'un compositeur qui a étudié chaque
mesure des compositions de ses prédécesseurs, mais qui devient adepte d'une
forme musicale pure, dénuée de la religiosité sévère ou du Naturlaut propres
aux deux génies cités. Donc comme je l'avais écrit à propos de
Erkki Melartin, nous n'entendons plus de musique "à la manière de" mais bien un flot musical très personnel.
1 - Ruhig bewegt - anfangs etwas gehalten
(calmement, début retenu) : Une pulsation rythmée des cordes et des bois, très articulée,
agrémentée d'arpèges des harpes, du chant des clarinettes et d'appels
lointains de cors, nous enveloppe d'un calme ressac
et introduit directement le leitmotiv élégiaque qui va habiter tout le
premier mouvement. Une réexposition de ce long thème nous renvoie à la forme
sonate. [2:04] Une brusque rupture de ton offre un second motif plus épique
avec participation des timbales et des trombones. Enfin [3:15] une pause
précède une troisième idée très développée aux flûtes et aux cordes…
La mer en automne |
2 - Scherzo: Leicht bewegt, aber nicht zu schnell
– [19:46] : le scherzo, avec son ostinato scandé aux cordes et son thème
pastoral chanté au cor anglais puis au hautbois, se rapproche
a priori du style
brucknérien tel que l'on peut l'entendre dans la
7ème symphonie
par exemple. Par contre, le
ton se veut moins rugueux,
nettement bonhomme, dansant
et humoristique. Le staccato frénétique se voit illuminé d'interventions
fugaces et joyeuses des bois et flûtes. Si le discours recourt
à un certain systématisme mélodique, ce n'est pas du tout le cas de
l'orchestration très fantaisiste et allègre.
Jardin fleuri |
3 - Sehr langsam und
ausdrucksvoll
– [30:58] : Nouvel écart par rapport aux formules éprouvées dans les ultimes
symphonies de
Bruckner, le mouvement lent est assez court. Des vagues hésitantes aux cordes
accompagnent le premier solo de hautbois rejoint par les cors.
Richard Wetz
part en ballade. Plus romantique
?
Difficile ! Une mélodie
expressive se développe de pupitre en pupitre. Il règne dans le flot
tranquille une tendresse d'une grande simplicité, sans pathos dramatique ni
métaphysique. L'indication en allemand du tempo peut s'interpréter par "adagio avec expressivité".
Roland Bader
traduit totalement cette précision sur le tempo, laissant libre cours à une
myriade de solos illuminant ce paysage musical. Et par la souplesse de sa
direction se dégage une affectueuse émotion. On distingue peu de thèmes
caractéristiques de la forme sonate au bénéfice d'une succession de
leitmotive. À la pesanteur teutonne parfois de mise à l'époque
postromantique,
Wetz
privilégie une légèreté astrale dans ce mouvement gracieux.
4 - Finale: Kraftig und entschieden bewegt
– [43:36] : Le final s'écarte nettement des formes et modes brucknériens. On
retrouve cependant la technique des citations des mouvements précédents, la
présence de puissants chorals, le thème du mouvement introductif resurgira
en apothéose au début de la coda. Le discours se veut rugueux, assurant un
lien tragique avec le début de la symphonie, esprit dramatique initial
auquel s'opposaient la gaieté du Scherzo et la tendresse du 3ème
mouvement.
On ne peut nier une certaine confusion dans le déroulement des idées. Plusieurs écoutes sont nécessaires pour mémoriser cet assemblage
très (trop ?) élaboré de passages tantôt furieux, tantôt élégiaques. Les
ruptures de phrasés sont légions et apportent une touche dionysiaque à ce
final.
Richard Wetz
se lâche : insérant une mélopée paradisiaque aux flûtes et harpes entre deux
climax aux accents barbares. Toute l'originalité du compositeur se révèle
dans ce final mystérieux et protéiforme, d'une vivifiante éloquence
comparable aux audaces d'une
7ème symphonie
de
Mahler…
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Vu la réception des œuvres de Wagner, chez certains, à l'époque, j'aurais dit post-traumatique.
RépondreSupprimerAh Ah Excellente !!! :o)
RépondreSupprimerIl faudra que la case dans un article en citant mes sources bien entendu... Rendez à César ses boulettes (heu, non, ça c'est une pub pour les toutous)