vendredi 25 décembre 2015

THE SHOP AROUND THE CORNER de Ernst Lubitsch (1940) par Luc B.


Pour ce jour de Noël, c’était tout indiqué. On a déjà chroniqué LA VIE EST BELLE de Capra, et LE MAGICIEN D’OZ… Le réalisateur Ernst Lubitsch a tourné près d’une centaine de films, quasiment tous muets, mais on connait surtout sa période américaine, avec HAUTE PEGRE, SERENADE A TROIS, NINOTCHKA, TO BE OR NOT TO BE, LE CIEL PEUT ATTENDRE… Et ce SHOP AROUND THE CORNER en 1940, appelé aussi en français RENDEZ-VOUS. Si l’intrigue vous rappelle quelque chose, c’est parce qu’elle a été tournée aussi par Nora Ephron en 1998, sous le titre VOUS AVEZ UN MESSAGE. 

au centre : Ernst Lubitsch
Le film est tiré d’une pièce de théâtre. L’essentiel de l’action se passe dans la maroquinerie de monsieur Matuschek, à quelques jours de Noël. Lubitsch nous présente les protagonistes qui arrivent le matin devant la boutique, les uns après les autres, et très vite les caractères se dessinent. Vadas le lèche-cul, multipliant les courbettes, jaloux de ne pas avoir été invité chez son patron, comme Alfred Kralik, le meilleur vendeur, grand échalas, jaloux lui aussi, mais d’une employée (Klara Novak) qui vient d’être embauchée, et menace son pourcentage. Il y a aussi Pirovitch, qui file se planquer à l’arrière-boutique dès qu’il entend « j’aimerais l’avis de quelqu’un… », ou le coursier Pepi. 

Ernst Lubitsch délaisse un temps la comédie sophistiquée qui a fait sa gloire, le champagne, les smokings, les palaces parisiens et la Croisette, pour brosser le portrait de modestes employés, dans un quartier de Budapest. A travers la vie au magasin, on découvre les travers des uns et des autres, finement observés, chacun voulant s’élever vers la classe sociale supérieure, à l’image du jeune Pepi, trop heureux de pouvoir recruter lui-même son remplaçant, sur lequel il pourra faire preuve d’autorité, lui qui était tout en bas de l’échelle. 

Le personnage de Matuscheck est au centre des attentions, c’est le patron, avare, paternaliste et colérique, mais aussi préoccupé. Un détective lui apprend que sa femme le trompe, avec un de ses employés... Si on rit d’une situation vaudevillesque, Lubitsch apporte de la gravité avec la tentative de suicide (même traitée comiquement). L’argent, le pouvoir et la condition sociale ne font pas tout, nous dit Lubitsch. Matuscheck est touchant à la fin, seul, il cherche à se faire inviter pour Noël, et finit au restau avec le larbin ! 

L’intrigue principale est une romance entre deux personnages qui n’en savent rien ! Krolik correspond avec une femme qu’il n’a jamais vue. Il lui envoie des lettres enflammées à la boite postale 237 (tiens, le n° de chambre dans Shining !). Seul Pirovitch est dans la combine, mais surtout pas cette pimbêche de Klara Novak, avec ses corsages hideux.  Sauf que Klara est la femme à qui Krolik écrit, mais il ne le sait pas. Et elle ne se doute pas que son secret soupirant est Krolik. Et ce soir, ils ont enfin rendez-vous…

C’est Krolik qui va comprendre la situation, et en jouer, en asticotant Klara dans des joutes superbes. Dans la brasserie, Lubitsch les filme d’abord de face, puis assis dos à dos. Klara attend son rendez-vous (avec Krolik, donc) et la présence de Krolik la contrarie. Elle lui sort des horreurs, mais lui, sourit comme un idiot. Elle compare son intelligence à un briquet en panne ! Plus il se fait humilier, plus Krolik est aux anges, admire l’éloquence de Klara. On est dans un jeu de dupes. C’est la Lubitsch’s touch, la subtilité des liens amoureux. 

Ca culmine avec la scène où Klara lit à Krolik la lettre que lui-même vient de lui envoyer ! On pense à  la dernière scène de CYRANO DE BERGERAC. La vérité éclatera dans une séquence longue et tendre, où les protagonistes éteignent les lumières du magasin les unes après les autres. Et pour vérifier que Krolik n’a pas une jambe plus courte que l’autre, Klara le contraint de lui montrer ses mollets ! C’est la dernière image, pleine de sous-entendu, entre les lumières qu’on éteint, le corps qu’on dénude… 

On est bluffé par cette histoire racontée avec autant de finesse, d’intelligence et de drôlerie. Chaque personnage s’inscrit dans l’intrigue, il y a le fil rouge de la boite à musique (horripilante selon les uns, romantique selon les autres) et des dialogues savoureux. Comme cet échange à l’hôpital entre un médecin et Pepi. Le médecin parle du cas de Matuscheck, puis a un doute quant à la qualité de son interlocuteur. Il lui demande : « Mais quelle est exactement votre fonction auprès de monsieur Matuscheck ?  / Je suis responsable des contacts entre la société Matuscheck corporation et ses clients, je fais le lien… à vélo. / A vélo ??? Vous êtes le coursier ? / Est-ce que je vous traite de vendeurs de drogues, moi ?!! ». Ou cette dernière tirade, lorsque Klara découvre la vérité sur Krolik. Il lui demande : « Vous n’êtes pas déçue ? ». Elle répond : « Psychologiquement je suis troublée, oui, mais personnellement, je ne me sens pas mal du tout ! ».  

C’est ce qu’on appelle un classique (on rajoute généralement le mot indémodable) mais si vous pensez avoir affaire un truc poussiéreux de cinémathèque, vous vous mettez le doigt dans l’œil ! (et pour mater un film, y’a mieux). Ce film garde toute sa pertinence et sa fraicheur, grâce au couple vedette, touché par la grâce. James Stewart (j’ai déjà hurlé mon admiration pour cet acteur dans nos pages) joue presque toujours à voix basse, loin des tics théâtreux de beaucoup de comédiens des années 30, il est d’une modernité incroyable. Margaret Sullivan joue sur le même ton, rien n’est forcé, tout est juste, limpide et miraculeux. Dire que la même année James Stewart tourne INDISCRETIONS de George Cukor, avec Cary Grant et Katharine Hepburn, autre fleuron de la comédie américaine, ça laisse songeur, sans parler de ses trois collaborations avec Franck Capra. 

Bon c’est Noël, est-ce qu’il y a BEN HUR à la télé ? De toute façon, ça a atrocement vieilli… Donc (re)découvrez THE SHOP AROUND THE CORNER, le revoir encore c’est le découvrir d’un œil neuf, et humide de bonheur !!   

Noir et blanc  -  1h40  -  format 1:1.37 

La bande annonce de l'époque (sans sous-titres), avec Lubitsch qui apparaît à la fin. 

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2 commentaires:

  1. Juste un des plus beaux films jamais réalisés -et sans doute mon film préféré- : tendre, drôle, d'une grande finesse, une nostalgie toute en espièglerie, des comédiens exceptionnels, une mise en scène virtuose... La "Lubitsch Touch" dans toute sa splendeur ! Bref, que du bonheur !

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  2. C'est très joliment écrit

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