Kurt Masur à 29 ans |
Retour en 1927, en Silésie
alors polonaise, date à laquelle
Kurt Masur
voit le jour. Il fait partie de ces jeunes hommes, même des adolescents, que
les nazis jusqu'au boutistes enrôlent alors que les villes allemandes
s'effondrent sous les bombes en même temps que leur régime de folie. Il
échappe par miracle à l'anéantissement de Dresde en février
1945 dans un cyclone de feu.
Bien entendu il a déjà commencé ses études, notamment celles de pianiste. Un
problème de tendon à la main l'empêchera de devenir un virtuose du clavier.
On a déjà rencontré des déceptions de ce genre avec
Klaus Tennstedt
au violon,
Byron Janis
ou
Leon Fleisher
au clavier. Là où ces
deux derniers choisissent la
voie de l'enseignement,
Kurt
préfère se diriger vers la direction d'orchestre. Sa carrière en deux
époques bien marquées sera exceptionnelle.
RDA
: 1955-1989 : en Allemagne de
l'est, la tradition de la musique classique va reprendre assez vite ses
droits à haut niveau après l'apocalypse mondiale. Premier poste pour le
jeune
Kurt Masur
à 28 ans : comme second chef
de la
Staatskapelle de Dresde
où il se perfectionne auprès de
Heinz Bongartz, chef titulaire. Dresde, l'orchestre concurrent des
Philharmonie de Berlin
et de
Vienne, le temple de la musique de
Richard Strauss. De 1970 à 1996, il va diriger l'autre grande phalange de la
RDA : L'orchestre du
Gewandhaus de Leipzig. Les plus grands maestros ont dirigé cet ensemble depuis 1835. Le
premier étant
Felix Mendelssohn
lui-même, un compositeur que servira particulièrement bien
Masur. Il succède à
Vaclav Neumann
et précède
Herbert Blombstedt
et
Riccardo Chailly. Dans l'histoire de cet orchestre, on trouve aussi à sa tête
Wilhelm Furtwängler
ou encore
Bruno Walter… Vous voyez le niveau, et
Kurt Masur
occupera le plus longtemps la place en deux siècles d'existence du
Gewandhaus. Son répertoire est très large incluant évidement les grands classiques de
la tradition germanique et autrichienne :
Beethoven,
Liszt,
Bruckner, etc.
Persuadé que le disque est un moyen de faire connaître la musique au plus
grand nombre, il enregistre beaucoup, notamment des intégrales : les
douze symphonies de jeunesse
de
Mendelssohn,
les poèmes symphoniques
de
Liszt, une rareté pour ces œuvres d'intérêt inégal que seul
Bernard Haitink
avait gravées à
Amsterdam.
Kurt Masur
aimait aborder des territoires musicaux méconnus, allumant le feu de
certaines œuvres un peu lourdes comme
Mazzepa
de
Liszt…
Masur en meeting en 1989 au Gewandhaus XXXX |
Le maestro, très populaire dans sa patrie, organise des forums monstres
dans la salle du
Gewandhaus
pour débattre et militer en faveur d'une transition pacifique, sans
violence. Il y parviendra comme d'autres intellectuels aux idées similaires.
Dans la salle, le public s'entasse, même dans les escaliers pour l'écouter.
Certains jeunes le pressentent comme nouveau président de cette Allemagne
libérée… Mais ce n'est pas "son truc". Dans la presse, on lit le
qualificatif de "héros de la réunification" !
L'ouest : 1991-2015
: En 1991, l'occident lui ouvre
une porte de prestige : diriger la
Philharmonie de New-York
où il succède à
Bernstein,
Boulez
et
Mehta. Il va y rester 11 ans jusqu'en 2002. Un jour funeste, le 11
septembre 2001, deux avions pulvérisent les Twin Towers provoquant la mort
de 2700 personnes. Hasard du calendrier de l'Orchestre, le 20 septembre, on
donne le
Requiem allemand
Brahms.
Kurt Masur
témoignera de son émotion lors de cette soirée en parlant du "concert de sa vie".
XXX XXXX |
Ayant vécu à l'est le début de sa carrière,
Kurt Masur
n'aura peut-être pas la notoriété d'un
Karajan
ou d'un
Bernstein. Il faut dire que ces deux derniers artistes savaient merveilleusement
orchestré un concert, mais aussi leur marketing. Il est indéniable que les
traits de génie de
Masur
pouvaient se faire plus rares que ceux du maestro autrichien qui par
ailleurs n'assurait pas toujours une régularité exemplaire dans ses
interprétations (les mauvais
Bruckner
des années 70). Mais chez
Masur, l'élégance et le respect scrupuleux des partitions étaient toujours au
rendez-vous, pureté et dynamisme. Et puis comme je l'avais écrit dans
l'article Richard Strauss, le chef commandait des œuvres originales et proposait à de nombreux
jeunes solistes de participer à ses concerts.
Kurt Masur
affichait un éternel sourire bonhomme, à l'opposé d'un
Reiner
faisant la gueule de manière chronique derrière ses bajoues ou l'air
sévère propre à
un Solti.
Bon repos à un musicien hors norme et à un humaniste…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Liszt
: un flamboyant poème symphonique exempt de tout pathos wagnérien : "Ce que l'on entend sur la montagne" d'après Victor Hugo avec le
Gewandhaus de Leipzig
puis la juvénile
9ème symphonie
pour cordes de
Mendelssohn
avec le même orchestre. En
live et au pupitre de la
philharmonie de New-York, le
concerto pour violon
de
Mendelssohn
avec
Anne Sophie Mutter
en soliste. On remarquera le nombre restreint de musiciens de l'orchestre,
ce qui sied à ce concerto et à tous les concertos romantiques pour violon d'ailleurs. Enfin la beauté crépusculaire du dernier lieder de
Richard Strauss "Im Abendrot"
chanté par
Jessye Norman
et le
Gewandhaus de Leipzig de nouveau. Un des mes disques pour l'île déserte. (Leitmotiv de la B.O. de Sailor et Lula de
David Lynch.)
C'est marrant comme l'appréciation de certains disques peut être tributaire d'une approche "locale" : les symphonies de Bruckner par Karajan / 75-82 sont diversement appréciées en France - notamment pour ce qui concerne les moins populaires d'entre elles-, alors qu'en UK et en Allemagne, elles furent unanimement louées et que le chef autrichien était salué comme le pus grand brucknérien du 20ème siècle -Jochum, largement considéré en France, était bien moins apprécié Outre-Manche ou Outre-Rhin et l'émergence de Wand fut tardive...-.
RépondreSupprimerQuant à Masur, c'est, après le départ récent d'Abbado, l'une des dernières légendes de cet âge d'or de la musique enregistrée qui s'en est allé. Ses Mendelssohn de jeunesse, évidemment, mais aussi sa première intégrale des symphonies de Beethoven, ont marqué leur époque. Etonnamment, j'ai peu de choses de ce grand chef dans une discothèque pourtant nourrie : il fut toujours excellent, mais rarement exceptionnel : c'est donc rarement mon premier choix, et, comme il avait une vision peu idiosyncrasique des oeuvres qu'il abordait, c'est également rarement une version de complément :-( ! L'honêteté artisanale ne paie pas toujours ;-(
Merci Diablotin
SupprimerPour revenir sur l'intégrale Bruckner 75-82, je pense que cette propension de Karajan a enregistré au pas de charge des intégrales (sinon rien) peut expliquer mon sentiment d'une vision teutonique du corpus. C'est sans doute un style granitique dont raffolent les anglo-saxons. Cela dit si DGG avait panaché (comme pour Brahms), le meilleur du chef : les 3 et 5 de cette intégrale et surtout les 7 et 8 en fin de vie et la 9 de 1966, les mélomanes disposeraient d'un testament incontournable du maestro autrichien dans ce répertoire…
Nota : la 8ème symphonie par Karajan en 1989 est au programme des chroniques 2016. J'essaye de changer d'interprète pour chaque symphonie: Wand (5), Young (2), Celibidache (4), Bernstein (inattendu dans la 9)… Mais peut-être as-tu déjà consulté l'index ;o) Idem pour Beethoven et Mahler et d'autres sachant que je suis un peu lié à ce que l'on trouve comme extraits sur YouTube.
"Toujours excellent, mais rarement exceptionnel" résume bien mon propos. Ce qui est un atout en concert, dans le sens où je n'ai jamais été déçu en salle, peut se révéler plus fragile dans le monde concurrentiel du disque. Je suis en train d'écouter ses Beethoven de 1974 à Leipzig. Parfaites sonorité et mise en place mais… un petit grain de folie aurait été le bienvenu, oui c'est vrai…
Une époque se termine, en effet. Bernard Haitink continue à plus de 85 ans… Il devrait diriger l'Orchestre royal du Concertgebouw d'Amsterdam lors de la saison 2016-17. Il a accepté après avoir été irrité (je le comprends) d'avoir été "oublié" lors de la célébration des 150 ans d'un orchestre qu'il a conduit pendant 27 ans :o(
Il y a une très belle vidéo de la première de Mahler par Kubelik en ligne :-)
RépondreSupprimerBien sûr je suis allé consulter l'index en haut à gauche, qui atteste d'un bel éclectisme :-) !
Quant à Karajan, il fut souvent poussé par son éditeur à l'étiquette jaune à terminer des intégrales en enregistrant des oeuvres qu'il n'avait pas fréquentées outre mesure : c'est le cas pour Bruckner, mais aussi pour Tchaïkovsky, par exemple -ou pour Schubert chez EMI, dont les allemands saluait la sortie comme "le plus grand enregistrement d'une intégrale symphonique depuis les symphonies de Beethoven du même chef en 1962 (sic : rien que ça...)-. En même temps, c'était un peu la "poule aux oeufs d'or" de l'industrie musicale classique -alors qu'on pouvait obtenir des places à des tarifs relativement raisonnables pour ses concerts-, puisqu'il représentait 40% des ventes de DGG à sa mort (sic : rien que ça aussi !).
C'est aussi à cause de cela que Bernstein fut contractuellement "contraint" de réaliser des enregistrements live uniquement avec le philharmonique de Vienne, les enregistrements studio chez DGG étant réservés d'abord à l'autrichien, à répertoire équivalent.
c'est vrai que ces dernières années ont été marquées par quelques disparitions qui marquent la fin d'un certain monde: Maazel, Davis, Abbado... Reste en effet Haitink, que j'aprcié énormément : une grande probité et beaucoup d'humilité face à la partition. Un peu comme Masur, en somme, mais avec le RCO Amsterdam en début de carrière !