- Tiens
M'sieur Claude, lecture cette semaine, lassé des chroniques sur le répertoire musique
classique ?
- Non ma
belle Sonia, mais je suis en rupture d'Internet depuis deux semaines : pas de
référence sur les artistes et compositeurs, pas de vidéos, la galère en un mot
!
- Oui je
vois… Serge Brussolo ? J'en ai lu quelques-uns, c'est une première dans le
blog. Je me souviens avoir frissonné lors de ces lectures…
- En effet
mon petit chat aux yeux bleus… Un auteur prolixe, certains parleront de roman
de gare, mais son imagination et sa plume lui permettent de dépasser cette
étiquette un peu péjorative…
- Oh m'sieur
Claude, vous me faites rougir, mais pourquoi s'intéresser à mes yeux ?
- Parce que
nous allons rencontrer un chat aux yeux jaunes… empaillé et plutôt miteux…
- Beurk !
Serge Brussolo est né
comme votre chroniqueur en 1951. Il
a écrit sous son vrai nom et quelques pseudos un nombre incalculable d'ouvrages
dans divers genre : la SF dès l'âge de 12 ans, le polard, le fantastique
technologique voire horrifique, le roman historique et l'héroïc fantaisy et
même pour les enfants comme la série Peggy
Sue. Il arrive difficilement à se faire éditer en début de carrière, son
imagination déjantée n'étant pas encore à la mode dans les années 70. Les éditeurs Fleuve noire et
Présence du futur lui donneront enfin sa chance dans les années 80. Il recevra même un prix Appolo en 1983. L'auteur est doté d'une
imagination et d'une force de travail hors du commun. Un as du suspens qui n'a
pas peur de plonger ses héros dans les situations les plus périlleuses qui, au
fil des pages, semblent sans issues jusqu'à un dénouement surprenant.
L'écriture est aérée, incisive même si elle ne peut guère se revendiquer de
Flaubert…
Important : les passages horrifiques ne laissent
jamais place à la complaisance. Chaque roman se révèle en nombre de pages moins
ambitieux que ceux de Thilliez,
Chattam ou encore Jean-Christophe Grangé, mais moins gore ou
gratuitement sadique (La ligne noire). Brussolo
privilégie l'humour noir même si les âmes sensibles pourront vérifier leurs
verrous trois fois de suite après lecture et avant de se coucher…
Agence 13 se
présente comme une saga, un triptyque de 3 thrillers, trois aventures chronologiques
: Dortoir interdit, Ceux
d'en bas et pour conclure : Le chat aux yeux
jaunes, le moins palpitant, plus polard donc sans ressorts fantastiques.
À ce propos, même si ces histoires de Brussolo
flirtent avec l'étrange voire le surnaturel, la rationalité (enfin presque)
reprend toujours habilement la main dans cette série.
Autre particularité : pas de narrateur.
L'héroïne Mickie Katz partage avec
le lecteur ses aventures hautes en couleurs et en dangers. Elle se présente
elle-même : une allure à la Charlotte Gainsbourg* (surtout le nez hérité de
papa Serge) mais un tempérament à la Lara Croft ! Mickie Katz a été élevée par un père seul fuyant le FBI, la CIA, la
NSA et les autres, du fait de son statut d'anarcho-terroriste. À l'âge où l'on
pimploche des poupées Barbie, Mickie apprenait
le close combat et la confection de bombes avec des produits ménagers, etc.
Combats avec son père comme coach, d'où le nez cassé lors de ces joutes, cause
de l'appendice nasal aquilin. Papa s'était fait la malle après avoir transformé
sa fille en activiste redoutable, mais la jeune femme n'avait pas suivi ces
traces et avait préféré l'architecture d'intérieur.
(*) D'après l'intéressée.
Dortoir interdit débute
alors que Mickie a eu maille à partir
avec la justice suite à un coup monté par sa patronne à qui elle faisait de
l'ombre par son talent de décoratrice. Suspicion de vol d'objet d'art sans
preuve, mais néanmoins un petit passage en tôle pour compléter sa formation de
Warrior. Non-lieu, mais comme ladite patronne s'était suicidée, les rumeurs de
vengeance allaient bon train… Nous sommes aux USA, Mickie pourtant innocentée, se
traine des casseroles défavorables pour trouver un nouveau job ! Petit
espoir : une certaine agence 13 sis
à Hollywood lui propose du boulot. Pfff, Hollywood… Mickie s'imagine devoir copuler à contre cœur avec son futur boss pour
gagner sa croûte… C'est dingue les a priori.
Elle se
présente chez le patron de l'agence : Martin
Devereaux, un gnome en Armani (dixit
Mickie). La vocation de l'agence se révèle pittoresque voire glauque :
redonner un peu de fraîcheur et de coquetterie, donc de bien vivre, dans des
lieux déclarés maudits car théâtres de crimes atroces. Entendez par là : meurtres
en série, suicides en groupe, massacres au sein d'une secte et toutes les
joyeusetés qui plombent la cote à la location ou à l'achat des bâtisses ou
propriétés. Pas de fantômes, mais une refroidissante réputation aux yeux de
l'acquéreur potentiel… Pas folichon ce taf, mais des contrats juteux, un
salaire correct. Mickie n'a peur de
rien, donc elle accepte.
Décor planté dans les chapitres liminaires et première
mission : relooker un vieux bunker du Nevada abandonné par l'armée à la fin de
la guerre froide, après une expérimentation qui a mal tourné. Au moment où
l'Amérique vit dans la terreur des bombes russes, les A, les H, comme
l'explique si bien Noël Roquevert dans Les Barbouzes, une bonne centaine de
militaires a été sélectionnée pour une expérience survie dans ledit bunker,
pour trois ans sans contact extérieur. Quelques semaines plus tard, stop ! Car
tous les cobayes se sont entretués jusqu'au cannibalisme ! Une maigre poignée
de survivants dont seuls deux sont encore en vie et nonagénaires. Pourquoi ce
drame ? Blackout complet ! Cela ne décourage pas Tobbey Zufrau-Clarckson, magnat du pétrole, qui projette de s'y
installer douillettement avec sa famille, des guerriers et des
"reproductrices". Durée : plusieurs générations. Il est persuadé que l'apocalypse
nucléaire est imminente. Mouais ! Le client est roi… Mickie doit rétablir un écosystème chaleureux dans les souterrains.
Un brin halluciné le Tobbey qui se prend également pour la réincarnation de son grand
père, héros de la guerre de sécession. Un héros mort lors d'un carnage, et dont
l'âme chercherait à se venger depuis 1862, faute d'une sépulture décente, la
glaise n'ayant jamais rendu le corps. Tobbey
en rêve tellement de son aïeul qu'il se réveille certains matins avec les
stigmates des blessures subies à l'époque. La phase suivante : tête coupée
(difficile à soigner). Mickie sympathise
avec Evita, une medium (un peu
arnaqueuse) chargée de trouver la dépouille pour inhumer avec classe feu le
guerrier et stopper la malédiction. Ça urge donc… elle trouve les ossements,
lesquels ? Peu importe, le Boss met la pression, alors un os ou un autre…
L'opération survie dans le Bunker peut commencer. Tobbey a tout prévu. Il dispose d'une
armée d'ancien GI, des machines à tuer qui s'entrainent à balles réelles. Sa
femme, Jenny, est encore plus
fanatisée et offre chacune de ses filles comme récompense au soudard le plus
méritant de la "promo" lorsque chaque gamine atteint 16 ans. Le gentil
couple retournant vivre à l'âge de pierre dans les montagnes. Le tour de Sarah Jane approche, une ado étrange
qui prétend qu'il existe des survivants de l'expérience des années 50 dans un
lieu "interdit" du bunker… Il ne manque pas d'imagination Brussolo pour compliquer l'affaire.
Pratiquement prises en otages, Mickie et Evita doivent subir l'entraînement et seraient
"fortement" les bienvenues pour devenir des "reproductrices".
Pour temporiser, Mickie prépare un
projet et un devis.
L'histoire tourne au cauchemar quand toute la famille Zufrau-Clarckson est retrouvée
massacrée, sauf Sarah Jane qui a
fui. Par qui et pourquoi ? Et quel lendemain pour le projet ? Serge Brussolo
entraîne son héroïne dans une course poursuite pour retrouver Sarah Jane unique héritière de l'empire
Zufrau-Clarckson. Une seconde partie
nous montre une Mickie issue d'une
BD Marvel quitter sa tâche d'humaniser le bunker et partir à la recherche de la
jeune fille à travers mille dangers et fausses pistes jusqu'à une conclusion
très inattendue. Martin Devereaux se
fiche de ces contretemps et des conditions de travail… il a été payé d'avance !!!
palpitant !
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Il y a bien des squelettes dans les placards, et pas
uniquement ceux des indiens. La superstition rôde, bien alimentée il faut dire
par des volées de flèches qui s'abattent de temps à autres sur la ville,
faisant quelques victimes éparses. Une idée à la con, mais de qui ? Vous
imaginez la suite : les mystères, la lâcheté mal assumée depuis deux siècles.
Il y a aussi la réserve d'or engloutie par le lac, donc des convoitises qui conduisent
souvent à la mort. Mickie expérimentera
le risque en scaphandre dans de l'eau à 0,5° ! Les hypothèses sur les jets de
flèches mettent en scène au choix : des survivants des indiens exterminés, ou alors
ceux de la mine à qui l'on n'a pas porté le secours attendu lors de la
catastrophe… Vivent-ils toujours sous terre, "ceux
d'en bas", dont il ne vaut mieux pas parler ? Mickie
découvrira la réalité en étant enlevée pour devenir… une esclave sexuelle
destinée à pondre des rejetons dans une antre que n'aurait pas reniée H.G.
Wells… Ça devient une malédiction récurrente pour notre héroïne qui ne veut ni
mari ni gosse…
On tangente en permanence un univers fantastique mais,
dans cet amusant délire, l'auteur revient les pieds sur terre, et nous avec,
par des artifices cartésiens, même si ils sont un tantinet tirés par les
cheveux. À la fin du second tome, une certitude se fait jour : je n'ai jamais
lu un roman à la trame aussi insolite. Brussolo
apparaît comme l'opposé d'un Coben
qui nous ressert, dans 7 livres sur 10, l'affaire de la disparition de l'ado,
de la veuve ou de l'orphelin. La réputation de notre écrivain s'est bâtie sur
une imagination féconde, je confirme. Bien sûr, Mickie sauvera sa peau grâce à un vieil indien, un peu ermite et
ambigu, nommé Trois Griffes, qui l'accompagne
depuis son arrivée dans cette vallée sinistre où je déconseille les randos et
les bivouacs…
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Quelques décennies auparavant, Peggy a été vitriolée par une femme laide et jalouse de la beauté
de l'actrice. Un chirurgien un peu fou mais soi-disant talentueux a pu, au prix
de greffes et de mois de souffrance, lui redonner bonne allure. Le job de Mickie : créer des décors, car pour
tuer le temps dans cet hospice, tous les anciens de la série (souvent tombés
dans le ruisseau une fois leur gloire passée), ont été recueillis par Peggy pour continuer de tourner la
série pour le plaisir !!! Ok, c'est mieux que de vivoter d'expédients, même si
il faut porter des masques en latex cachant les outrages du temps et autres
singeries. En un mot, une retraite pathétique, et quelle dépendance vis-à-vis
de cette vieille star excentrique qui vit cloîtrée à près de 80 ans avec son
horrible chat moisi !!!
Mickie s'aperçoit
assez vite de l'ambiance anxiogène des lieux et, curieuse comme à son habitude,
démarre un complément d'enquête. Ainsi la vitrioleuse est devenue vendeuse dans
une supérette après avoir purgé une peine de prison étrangement courte, et mène
grand train de vie secrètement. Ça pue le chantage, une supposition qui devient
une certitude quand on la retrouve à son tour morte et vitriolée ! Pour
enfoncer le clou, Peggy exige que Mickie joue son rôle dans un épisode
et, sans son entrainement de commando, la jeune décoratrice aurait pris sa dose
d'acide sulfurique pendant le tournage. Coup monté ? Certainement mais pourquoi
? Le ou la coupable s'est enfui. Qui est vraiment Peggy ? Je n'en dis pas plus…
Ce troisième roman se démarque des fausses pistes
fantastiques des deux premiers opus. Mickie
devient détective dans le milieu pourri des anciens d'Hollywood : les
producteurs véreux, les acteurs médiocres et fats. Brussolo
égratigne avec fougue le monde de l'apparence de la TV et des coups bas. Ça se
lit facilement mais la trame se révèle moins fantasque que celles des deux
premiers romans. Mais j'insiste : un scénario pareil, quand on avance dans
l'intrigue, il fallait y penser…
(*) Prix créé par les fondateurs des magasins La
Samaritaine au XIXème siècle et récompensant des mères de familles ayant eu 10
gosses ou plus…
Dortoir interdit & Ceux d'en bas
Le chat aux yeux jaunes
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