Faut pas confondre Richard
Fleischer, qui est américain, et Richard Lester, qui est anglais. Le second est
célèbre pour ces comédies avec les Beatles, le premier est célèbre pour… plein
de bons films. L’ENIGME DU CHICAGO EXPRESS (1952) must de la série B, 20 000
LIEUES SOUS LES MERS (1954), le superbe LES INCONNUS DANS LA VILLE (1955), mais
aussi LES VICKINGS, BARABBAS, SOLEIL VERT, TORA ! TORA ! TORA !
et même CONAN LE DESTRUCTEUR… On appelle
ça un touche-à-tout, un éclectique, un bon artisan. Et dans sa filmographie, il
faut retenir aussi L’ETRANGLEUR DE BOSTON en 1968.
Un cas, ce film. Qui s’inspire
du fait divers du même nom, relatant la traque par la police d’Alberto DeSalvo,
tueur en série, qui entre 1962 et 1964 à Boston, assassina et viola treize
femmes. Parcours hélas classique d’un gamin lui-même battu et abusé,
traumatisé, qui dès l’adolescence est plusieurs fois arrêté mais relâché sans
être soigné, ni suivi, qui s’enfonce dans une spirale schizophrène, multiplie
les cambriolages et agressions sexuelles, avant de passer au meurtre.
L’intérêt de ce film vient de
son aspect presque documentaire. Pendant une heure, on suit le travail
méticuleux du procureur John Bottomly et des flics. Pas de scène d’action, de
suspens, mais une description des moyens mis en œuvre pour arrêter le
meurtrier. Parmi elle, une nouveauté : l’expert psychiatre. Le thème du
tueur schizophrène était déjà celui de PSYCHOSE d’Hitchcock (1960) ou de LE VOYEUR de Michael Powell. C’est aussi le cas ici, et pour
l’époque c’est assez nouveau. On repense inévitablement à des films comme
ZODIAC, SEVEN, LE SILENCE DES AGNEAUX. DeSalvo est clairement vu par le procureur
comme une victime, un malade qu’il faut guérir de son mal, avant de pouvoir le
juger. (Officiellement, DeSalvo ne sera jamais jugé pour meurtre. Il meurt en 1973 poignardé en prison par un co-détenu. Des analyses ADN semblaient le disculper, puis ont affirmé sa culpabilité).
fig. 1 |
A part l’agression manquée de
la fin, jamais Richard Fleischer ne filme les meurtres ou les viols. Mais on
est surpris, pour l’époque, du réalisme et de la crudité du film. Aucun détail
ne nous est épargné sur les sévices infligés. DeSalvo mettait en scène les cadavres
pour accentuer le choc de leur découverte. Quelques images éparses le suggèrent,
comme celle montrant le subjectif de la victime au sol (avec le balai, fig. 1) juxtaposée à celle des colocataires qui la découvrent.
fig. 2 |
Car la nouveauté, c'est l’utilisation
du split-screen. Pas si nouveau que ça (le film muet, les surréalistes s’en
servaient avant), ce procédé qui consiste à avoir plusieurs cadres dans
l’image, avait fait le succès de L’AFFAIRE THOMAS CROWN, et fera celui du
documentaire WOODSTOCK l’année suivante. Richard Fleisher l’utilise pour créer
la tension, le spectateur est contraint de regarder partout à la fois, comme
les flics fouillent chaque recoin de la ville. Il permet de montrer 5 ou 6
actions de police, en même temps, montrant la complexité de l’enquête (fig 2). Le split-screen
permet aussi de découper une même scène sous plusieurs axes, angles, diffusés en même temps. Autrement dit, un champ / contrechamps, mais juxtaposé (fig 1) ! Et l’écran divisé permettra surtout
de confronter l’image du tueur d’un côté, qui approche sa proie, et de la future
victime de l'autre. D’autres effets visuels permettent de traduire la psyché du tueur, notamment
l’utilisation de miroir qui dédouble le personnage.
Alors que la police croit avoir
arrêté le bon meurtrier, DeSalvo poursuit sa chasse, d’instinct, au hasard, il
agresse deux femmes, dont l’une parvient à le faire fuir. Il tente de pénétrer
dans un appartement, mais s’enfuit encore, poursuivi par un homme, qui alerte
la police. Albert DeSalvo est arrêté pour cambriolage, et ce n’est que par
hasard (la scène est fameuse) que la Bottomly fera le lien.
La troisième partie est la plus
célèbre, sans doute Sidney Lumet l’aura vue avant de tourner THE OFFENCE [- clic pour relire l'article -]. Il s’agit d’un face à face entre John Bottomly et DeSalvo. Le procureur,
au cours de longs entretiens enregistrés, cherche à faire prendre conscience à
DeSalvo qu’il est un meurtrier. Celui-ci s’enferme dans le déni, se sait malade,
violent, mais ne parvient pas à comprendre. Jusqu’au moment où, comme
sous hypnose, il rejoue sa dernière agression, mimant dans les moindres détails
son modus operandi.
La séquence est époustouflante,
car entièrement filmée en plan séquence, en focal longue (netteté du premier
plan, flou à l’arrière), ne cadrant pratiquement que le visage ou les mains du personnage. La pièce est blanche, silencieuse. Tony Curtis
interprète DeSalvo de manière stupéfiante, froide, sans hystérie de pacotille, le nez légèrement déformé par une prothèse nasale et lentilles noires sur ses yeux clairs. Certainement sa composition la plus forte, à milles lieues de ses mémorables facéties de CERTAINS L'AIMENT CHAUD.
Henry Fonda lui fait face, toujours impérial, dans le rôle du procureur. Un morceau de
bravoure passionnant à observer, terrifiant. George Kennedy complète une
distribution aux petits oignons.
Richard Fleischer ne juge pas,
il observe, raconte, essaie de comprendre la trajectoire et la personnalité de
DeSalvo, son impact sur la population, les médias. Le film peut paraitre daté, mais reste cru, angoissant, devant sa
réussite à une interprétation impeccable, et une mise en scène novatrice.
Ne convient pas à un public familial...
Ne convient pas à un public familial...
PS : Albert DeSalvo est
aussi le personnage de la chanson des Rolling Stones « Midnight rambler ».
L'ETRANGLEUR DE BOSTON (1968)
Couleur - 1h55 - scope 2:35 split-screen
ooo
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