vendredi 29 mai 2015

LES CHIENS DE PAILLE de Sam Peckinpah (1971) par Luc B.



Même lorsque Sam Peckinpah ne filme pas de western, comme ALFREDO GARCIA, LE CONVOI, on s’y croit quand même. Parce que le décor est celui du vieil Ouest rugueux, battu par la poussière, et ses personnages ont des profils de cowboys. LES CHIENS DE PAILLE est donc un réel dépaysement, tourné en Cornouilles, Angleterre, où se déroule l’action. C’est aussi son premier film contemporain.

Sam Peckinpah et Dustin Hoffman
Comme dans la HORDE SAUVAGE, le film commence par des enfants qui jouent. L'image est floue, on ne devine pas tout de suite, mais ils font une ronde dans un cimetière et sautent sur les tombes. Puis emmerdent un chiot. Et on découvre la jolie Amy, ou plutôt ses seins, cadrés serrés, ballotant sous son pull, fixant tous les regards (enfants compris). Cruauté, absence de moral, désir sexuel. En deux minutes, Peckinpah a posé le décor. Pour le cinéaste, les instincts les plus vils sont présents chez chaque être humain, dès l’enfance. Si à cet âge, ils n’ont pas le recul moral nécessaire, le film montrera qu’une fois adultes, ce ne sera pas gagné pour autant !  

LES CHIENS DE PAILLE met en scène un personnage atypique pour le réalisateur : David Summer est un intellectuel. Un matheux, astrophysicien, américain fuyant la violence sociale de son pays, qui s’installe dans un bled anglais avec sa jeune femme Amy (native du village) pour travailler sa thèse. Le grand air et la solitude, voilà qui est propice à la résolution d’équations. Il habite une vieille bicoque, et demande à quatre types du coin (dont Charlie, l’ex petit ami de sa femme) de retaper une annexe. Les quatre gus sont bien contents de gagner un peu de fric, et puis cet amerloque, David, est assez rigolo à observer avec ses bonnes manières. Sa femme aussi est chouette à observer ! Amy est drôlement jolie avec ses mini-jupes, un régal, ça donne envie...  

La tension est palpable dès la première scène. David Summer est un intrus, intello, nabot doté de la plus jolie femme du coin, il suscite les convoitises. Et les moqueries. Il grimpe encore à gauche de sa voiture, alors que le volant est à droite… David est mal à l’aise, il n’est pas grande gueule comme les mecs qui s’enivrent au pub, quand y’a de la friction dans l’air il bat en retraite. Tom Hedden, soiffard, violent, chef de meute, lui fait clairement sentir qu’ici, et il est un étranger. 

Le major Scott, qui fait office de shérif local, est plus affable, qui invite David et sa femme diner chez le pasteur. Il y a aussi Janice, ado délurée qui teste sa toute jeune féminité sur l'américain. Elle aussi aime bien reluquer la nuit David et Amy en train de baiser. Et puis il y a Henry, le simplet du village, qu’on accuse de peloter les petites filles. Tom Hedden lui règlerait bien son compte, la corde au cou, the law of the west... comme au bon vieux temps.

Peckinpah va développer deux axes : la lâcheté de David, et la sexualité d’Amy. Il est visible que David craint les ouvriers qui viennent travailler, il n’aime pas donner des ordres (sauf à sa femme) il est trouillard, hésitant. Pour les joutes intellectuelles avec le pasteur, ça va, il a de la repartie, quand il dit : « mais le royaume le plus sanglant n’est-il pas celui du Christ ? ». Mais quand le couple est victime d'une très mauvaise blague (atroce scène du chat...) David ne ressent même pas de colère (lui-même aimait bien s'en prendre au chat, une proie facile...). Amy prend peur et pousse son mari à réagir. David promet, mais ne fera rien. Quand il convoque les ouvriers pour les virer, il se déballonne, offre des bières, et se laisse embobiner dans une partie de chasse, le lendemain, sur la lande. Et les quatre mecs le laisseront en plan, toute la journée. Un piège à con.

Amy est belle, libre, pourtant on ne la sent pas comblée sexuellement. Les scènes intimes avec son mari ne montrent qu’une complicité apparente. Alors qu’elle attend son bel étalon, lui préfère régler le réveil matin… Amy perçoit le regard des hommes sur elle, ça la gêne, l’effraie, quand elle remet ses bas en sortant de sa voiture, et que les ouvriers reluquent sa culotte. Encore une fois, elle somme David d’intervenir, mais il lui répond : « Bah, c’est qu’ils ont bon goût ». Trois minutes après, elle s’exhibe seins nus à la fenêtre. Défi, concupiscence, vengeance ? Ce plan rendra la scène du viol peu confortable. Car pendant que David est abandonné sur la lande, tirant maladroitement sur des perdrix (oui, parce que ce naze, ne sait même pas tenir un fusil…) Charlie, en profite pour rendre visite à Amy, restée seule.  

La scène est terrible car à double détente. Charlie s'impose chez Amy, qui est surprise, et troublée encore par son ancien amant. Mais elle se refuse à lui, et il la violente. Amy feint le plaisir pour s'éviter plus de violence, ou le ressent-elle réellement, frustrée de sa vie conjugale ? Puis un deuxième ouvrier entre dans la maison, armé de son fusil de chasse. Il veut sa part. Charlie, qui aurait pu l'en dissuader, protéger Amy, et contraint de cèder sa place... 

On croit souvent que LES CHIENS DE PAILLE raconte la vengeance d’un homme contre les violeurs de sa femme. Non. Car jamais Amy n’avoue le viol. David dit à sa femme en rentrant de la chasse : « ils m’ont éloignés de la maison, pour m’abuser ». Elle répond : « On peut aussi être abusée en restant à la maison ». Mais David ne capte pas.

Peckinpah montre le traumatisme du viol par le montage, et non par le dialogue. A la fête du village Amy est prostrée, muette, des flashs lui reviennent, violents, nombreux. A cette fête, la jeune et déjà perverse Janice, possédée par le Mal qui ronge toute l’humanité, va provoquer le drame final. Le film est alors un long crescendo, Peckinpah souligne les signes annonciateurs. Dès le départ, tout converge vers un dénouement violent. Des braves gens assiégés dans leur maison par une horde de sauvages, le cinéma en a filmés beaucoup. Figure classique du film d’horreur. Mais là, pas d’horreur, ni de peur, ni de suspens. Car David, sûr de son bon droit (« je suis dans ma maison » réflexion bien américaine !), sûr de son éducation, de sa morale, refuse de céder. Il ne livrera pas un innocent à la vindicte populaire. Mais chez Peckinpah, il n'y a pas plus d’innocence que de justice. Confronté à la violence, l'homme retourne à l'état sauvage. Peckinpah filme le lâche devenir un tueur, organisé, réfléchi, méthodique, face aux cul-terreux imbibés et stupides. C’est un carnage.

Personne ne sort indemne du film, enfin… pour ceux qui s’en sortent vivant. Surtout pas le couple Amy et David, qu’on voit disparaitre en voiture, dans la nuit. Ils étaient venus en Angleterre pour une vie meilleure. Et l'obscurité se referme sur eux.

Dustin Hoffman y trouve un des ses plus grands rôles, secondé par la débutante Susan George. On y reconnaitra aussi Peter Vaughan (92 ans à ce jour, il joue encore dans Game of Thrones !) habitué des séries british. Le film fit évidemment scandale, limite classé X si on n'opérait pas de coupures. Sam Peckinpah une fois de plus trainé dans la boue, accusé de fascisme et de misogynie. Il faut dire que la censure avait supprimé du montage la seconde partie du viol, ce qui changeait totalement la perception de la scène, et du film. On reproche à David de sauver son âme en se vengeant. La rédemption par la violence et le meurtre. Rédemption ? A-t-on regardé le même film ?   

Un remake a été tourné en 2011 par le québécois Rod Lurie.

Les Chiens de paille (STRAW DOGS)
Couleur  -  1h55  -  format 1:85



ooo

2 commentaires:

  1. Ouais super film comme quoi on ne règle pas les problèmes avec la violence mais seulement nos limites à les résoudre

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  2. En fait c'est un peu l'antithèse des autres films de Peckinpah. Dans lesquels la violence était générée par des gens "naturellement" violents.
    Ici, D Hoffman est juste une mauviette cérébrale qui ne sort les flingues et autres outils tranchants, brûlants et contondants divers que pour protéger "son bien", en l’occurrence sa baraque. Réflexe cependant très macho, parce que c'est celle de ses beaux-parents ...

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